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29/10/2011

Temple Drake

 The Story of Temple Drake, réalisé en 1933 par Stephen R. Roberts, est un film réjouissant à découvrir, non tant parce qu'il recèlerait une modernité particulière susceptible d'épater le spectateur de 2011, mais parce qu'il contribue à éclairer d'un jour nouveau le cinéma de son époque. Cinéma américain, hollywoodien en l'occurrence. Et cet éclairage qui porte à la fois sur la représentation de certaines réalités comme sur l'expression de la sensualité, voire de la sexualité, contribue à nous rendre plus proche ce cinéma. Il casse la barrière des années et ce concept aussi irritant que répandu du « vieux film ». Certes, le cinéma selon les époques et les lieux est le premier responsable de l'image un peu raide, un peu naïve, un peu prude, où l'on ne montre pas ceci, où l'on ne parle pas de cela, qui nous est renvoyée. Les codes, à Hollywwod comme ailleurs, ont imposé des représentations conformes aux bonnes mœurs en vigueur, celles qui ont bonne mine avec leur « o » et leur « e » publiquement enlacés comme écrivait Miguel-Angel Fernandez-Bravo. L'évolution de ces mœurs a donc éloigné les films plus sûrement que celle des techniques, jusqu'à ce que l'on oublie presque que les êtres sur l'écran comme ceux qui les contemplaient étaient hommes et femmes de chair et de sang, de sexe et de violence. S'en rendre compte, c'est un peu comme découvrir que ses grands-parents ont été jeunes.

stephen r. roberts

« La sexualité sans humidité est quelque chose... d'hollywoodien » disait Tinto Brass. C'est assez juste, mais incomplet. Marlène, King Kong, les freaks de Tod Browning, Louise Brooks, Ernst Lubitsch, Scarface, Tarzan, ont su à leur façon, parfois subtilement, parfois directement, faire oeuvre d'humidification si je puis me permettre de filer la métaphore. Tous ont eu maille avec la censure et l'interdiction, avant d'être brillamment réhabilités. La découverte d'un film comme The story of Temple Drake, projet plus classique d'un studio (Paramount Pictures) confié à un réalisateur tout terrain permet d'élargir l'idée de transgression au-delà des cas (King Kong, Freaks) et des figures exceptionnelles (Lubitsch, Hawks). Et quand le champ de la transgression s'élargit, la transgression est moins transgressive, ce qui veut dire pour faire simple que le cinéma hollywoodien de l'époque pouvait être aussi humide qu'un autre. CQFD.

The story of Temple Drake est donc un film humide, un film de brouillard et d'alcool, de marais proches, de pluie et de larmes. Adapté du roman Sanctuaire de William Faulkner et bien que sérieusement édulcoré par le scénariste Oliver H. P. Garrett (qui écrivit pour John Ford, William Wyler et King Vidor), le film raconte l'histoire de la jeune et délurée Temple Drake, fille de bonne famille du Sud, papillonnant sans conséquences d'un homme à l'autre et qui se retrouve après un accident en pleine campagne dans un repaire de bootlegers. Son chevalier servant du moment bien amoché, elle se retrouve rapidement en nuisette satinée après avoir tenté de fuir sous la pluie (humidité, etc.). Au matin, elle est violée par Trigger, un gangster façon Paul Muni mais, tombant sous son emprise, elle le suit en ville, se prostitue peut être et rompt avec sa famille. Quand elle prend conscience de sa déchéance, elle fini par tuer son brutal amant.

Joli scénario de mélodrame raconté en flashback lors du procès qui s'ensuit. Le film associe donc brouillard et pluie au basculement d'une vie aisée, belle maison, beaux costumes, haute société, à un autre univers dominé par le vice, la pauvreté et la violence. Le film, et particulièrement le travail du chef opérateur Karl Struss qui travailla sur Sunrise (L'aurore - 1927) de Murnau ainsi que pour Chaplin, passe ainsi d'une esthétique lisse, sophistiquée, à un expressionnisme aux tonalités sombres, jouant sur les lumières vacillantes dues à la tempête et les brumes, créant une ambiance quasi fantastique qui rend parfaitement les atmosphères de Faulkner où l'on voit la réalité se dissoudre (La façon, par exemple dont certains personnages sortent de l'obscurité comme du néant). Ce basculement est bien sûr celui de Temple Drake qui, à partir de la scène du viol assez directe et filmée comme la découverte de Kong par Fay Wray attachée à son poteau, passe dans un état second (admirable scène où Trigger la présente à la madame du bordel) et d'où elle ne sortira vraiment qu'avec les larmes libératrices lors du procès.

Temple, rôle en or, est incarnée par une des actrices les plus fascinantes de son époque, Miriam Hopkins. Terriblement sensuelle, authentique beauté du sud (elle est originaire de Georgie), Hopkins a inspiré Lubitsch, Wyler, Hawks, et Rouben Mamoulian pour lequel elle joue la prostituée dans sa version de Dr Jeckyll et Mister Hyde de 1931, rôle où elle apparaît là encore en nuisette et satin dans une scène à couper le souffle photographiée, déjà, par Karl Struss. Hopkins est aussi à l'aise dans le registre léger des premières scènes que dans les variations de couleur d'émotion de son personnage qui passe de l'angoisse diffuse à la terreur, de la répulsion qu'elle éprouve au contact de la femme du bootleger et de l'enfant (découverte de la pauvreté et de la trivialité), à l'horreur du viol puis les phases de résignation et désespoir avant la rédemption finale. La mise en scène de Stephen R. Roberts, sans être révolutionnaire, a la sophistication du beau travail de studio de l'époque. C'est un écrin pour sa star, entourée de figures masculines tour à tour rassurantes ou terrifiantes, une jolie galerie de portraits dans l'antre des bootlegers et un Trigger à la limite de la caricature incarné par Jack La Rue qui faillit être le Scarface de Hawks. Rien ne se perd. Roberts, originaire lui aussi du Sud, fut pilote durant la première guerre mondiale avant de devenir cascadeur puis de mettre en scène une centaine de films de 1922 à 1936, date à laquelle il décéda d'une crise cardiaque à 41 ans.

Il n'existe pas de DVD du film, mais il a été diffusé par TCM et est disponible sur Youtube.

Photographie DR (copyright Paramount)

Chronique par Jandy Stone sur Row Three (en anglais)

Chronique par sur Obscure classics (en anglais)