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16/10/2011

California Dolls

...All the marbles (Deux filles au tapis) est le dernier film de Robert Aldrich. Il sort sort en 1981 deux ans avant le décès du réalisateur de Kiss me deadly (En quatrième vitesse - 1955) et Ulzana's raid (Fureur apache – 1972). C'est un film d'une grande générosité et d'une grande tendresse, non seulement dans son ton et envers ses personnages, mais aussi vis à vis de ses spectateurs. ...All the marbles est un film qui fait du bien, comme une veste familière dans laquelle on a plaisir à s'enrouler. C'est aussi un film que l'on a envie de partager, plutôt avec des amis, avec ceux dont on sait qu'il vont l'apprécier. C'est un peu comme cela que le film a bâtit sa réputation après un démarrage en demi-teinte, avec des textes derrière lesquels on sent le sourire heureux de celui qui écrit.

robert aldrich

Le titre, déjà, avec ses trois petits points de suspension, est une expression américaine, intraduisible, qui signifie pour ce que j'en ai compris « tout ce qu'il est possible d'obtenir ». C'est une histoire toute simple, très américaine là encore, celle de deux filles sublimes, Iris la brune et Molly la blonde qui pratiquent le catch, et de leur manager Harry. Partis de rien, ils vont progresser de matchs miteux en foires provinciales, construisant leur notoriété jusqu'à un combat qui verra leur apothéose. Du solide donc qui a servi à bien des films autour du sport. Aldrich joue le jeu et adopte la forme libre du « road-movie » s'attachant à décrire au fil des évènements les relations entre ses trois personnages par petites touches. Il prend son temps, ne révélant par exemple la dimension amoureuse de la relation entre Harry et Iris qu'a la moitié du film. Chaque révélation nuance, éclaire ou remet en cause ce que l'on sait de chacun, affinant le portrait, lui faisant gagner en profondeur. L'empathie que l'on ressent va croissant sans qu'Aldrich ne cherche à cacher certains côtés moins reluisants, notamment le mauvais caractère et le côté calculateur de Harry. On en accepte d'autant mieux l'inévitable finale en beauté que le catch est un sport arrangé où la part de spectacle est prépondérante. Avec le show que Harry organise pour ses deux athlètes, il aboli la frontière entre sport et spectacle tandis qu'Aldrich fait sauter celle d'avec le cinéma. Acte à la fois d'amour et professionnel de la part du manager-ami-amant, hommage aux actrices et à leur beauté, visions de rêve données aux spectateurs sur l'écran comme dans la salle, cette longue séquence est, comme l'a écrit Christian Viviani, un superbe testament artistique.

robert aldrich

Le côté musical du film est tout aussi remarquable, comme une ballade de Bruce Springsteen, la bande originale étant par ailleurs signée du musicien fétiche d'Aldrich, Franck de Vol dans un style jazzy discret. Sont également utilisés plusieurs morceaux d'opéra italien que Harry joue dans sa voiture. Springsteen, c'est pour l'ambiance et la poésie. Harry et ses catcheuses traversent une Amérique de la fin des années 70 triste, froide et humide, succession de banlieues industrielles, de zones pavillonnaires populaires, de motels et de routes sans fin, proches m'a-t-il semblé de ce que Michal Cimino avait filmé dans The deer hunter (Voyage au bout de l'enfer – 1978). Et derrière cette Amérique, il y a la passion du spectacle, le désir d'évasion dans le rêve, qu'il soit vulgaire lorsqu'il est combat de femmes dans la boue ou sublime lors du final. Aldrich, sans complaisance mais sans misérabilisme, joue sur les contraires, les oppositions, dans les sons comme dans les images (le petit Harry entre les deux grandes bringues), la beauté de la photographie de Joseph Biroc pour les décors vastes mais tristement ordinaires, la grandeur d'âme des deux filles et la modestie de leur condition, les mesquineries de Harry et l'amour profond qu'il leur porte. « Je vous aime toutes les deux » leur dit-il juste avant qu'elles ne montent sur le ring. Quand il dit cela, on y croit et c'est bouleversant.

Peter Falk, et ce film lui donne peut être bien son meilleur rôle, est magistral. Il joue moins que d'habitude sur son regard si particulier et étend son registre, que ce soit dans la violence quand il démoli la voiture de Burt Young, une certaine façon d'être héroïque quand il défend Iris ou d'être injuste vis à vis de la même. Laurene Landon (Molly) et Vicki Frederick (Iris) sont aussi grandes et physiques que belles et sensuelles, un équilibre pas forcément évident à tenir. Mais elles le tiennent avec élégance. Outre leur façon de fonctionner ensemble, le sentiment de complicité qu'elles traduisent, elles assurent l'essentiel de leurs combats. Elles sont irrésistibles. Landon fréquentera le cinéma de genre, surtout avec Larry Cohen. Vicky Frédérick, danseuse avant tout, était appréciée dit-on de Bob Fosse et sera de la distribution de A chorus line, que ce soit à Broadway ou devant la caméra de Richard Attenborough. Il est plaisant de penser que Robert Aldrich, lui qui a toujours pratiqué un cinéma assez viril, lui qui a orchestré le duel entre Gary Coper et Burt Lancaster de Vera Cruz (1954), lui qui filmé les 12 salopards, Mike Hammer et l'empereur du Nord, se soit tourné avec ...All the marbles vers l'expression la plus pudique et la plus juste des sentiments, prolongeant un peu son polar en demi-teinte où primait l'histoire sentimentale, Hustle (La cité des dangers – 1975).

Photographies © MGM (source Cineplex)

24/09/2011

Laurene et Vicki

Robert Aldrich, Vicki Frederick, Laurene Landon

Laurene Landon et Vicki Frederick (Molly et Iris)

...All the marbles (Deux filles au tapis - 1981) de Robert Aldrich

Photographie © MGM