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13/06/2016

Mon corps pour un poker

Il mio corpo per un poker (Belle Starr story - 1968) de Lina Wertmüller et Piero Cristofani

Texte pour les Fiches du Cinéma

A l'époque de la sortie de Meek's cutoff (Le bout de la piste) en 2013, je m'étais fait la réflexion que la réalisatrice, Kelly Reichardt, était la première femme à avoir fait un western et que cela venait bien tard. Et puis c'est la découverte de ce western inédit en France, Il mio corpo per un poker (Belle Starr story - 1968) signé à l'origine du seul Piero Cristofani sous le pseudonyme de Nathan Wich mais qui s'est révélé avoir été largement réalisé par la cinéaste italienne Lina Wertmüller. Grande amie de Sergio Corbucci et future réalisatrice de succès avec le couple Giancarlo Giannini et Mariangela Melato comme Travolti da un insolito destino nell'azzurro mare d'agosto (Vers un destin insolite, sur les flots bleus de l'été - 1974) Lina Wertmüller aurait en outre co-signé le scénario sous le patronyme masculin de George Brown. Plaisir du brouillage de pistes du cinéma de genre européen. Ceci fait, jusqu'à plus ample informé, de Il mio corpo per un poker le premier western réalisé par une femme de l'histoire du cinéma. Il doit cette particularité à sa vedette, la belle Elsa Martinelli pour qui il avait été conçu. Après avoir été dirigée aux États Unis par André De Toth, Orson Welles et Howard Hawks, elle avait trouvé Piero Cristofani pas à la hauteur et l'avait fait remplacer par Wertmüller.

lina wertmüller,piero cristofani

Le film est donc construit autour de et pour Elsa Martinelli qui incarne un mythe de l'Ouest : Myra Maybelle Shirley Reed Starr, alias Belle Starr. Née dans le Missouri, agente des troupes confédérées durant la guerre de Sécession, amie de Cole Younger lui même lié aux frères James, Belle aura au terme de bien des aventures sa propre bande de hors la loi avant de finir comme Jesse James, abattue dans le dos à 41 ans. La légende de la « Queen of the Oklahoma Outlaws » se construit très vite autour d'elle dans un monde avare en figures féminines fortes. Woody Guthrie et Emmylou Harris lui consacrent des chansons. Le cinéma s'emparera à plusieurs reprises de cette légende et Belle Starr sera incarnée par Gene Tierney, Jane Russel ou Pamela Reed dans des récits très romancés. Mais comme chacun sait quand la légende est en contradiction avec les faits, dans l'Ouest on imprime la légende. Le scénario de Il mio corpo per un poker se situe dans la même veine, évoquant à peine le contexte historique et se basant sur l'icône féminine et son rapport compliqué avec deux personnages masculins de pure fiction. Il y a d'un côté Cole Harvey joué par le lisse Robert Woods, un bandit dont l'aventure nous est racontée en flash-back, qui survient à point nommé pour aider Belle à se débarrasser d'un oncle sadique qui veut la mener au fouet. Miam ! Mais Harvey n'est pas d'une grande délicatesse. Après avoir surpris Belle au bain dans une scène qui rappelle celle, inoubliable, de The indian fighter (La rivière de nos amours – 1955) tournée par De Toth, il tentera de la violer avant de se faire abattre par l'amie indienne de notre héroïne. Un joli personnage qui aurait gagné à être un peu plus développé, en particulier dans la relation ambiguë qu'entretiennent les deux femmes, une piste à peine suggérée.

De l'autre côté, il y a Larry Blackie incarné avec force par George Eastman. Eastman alias Luigi Montefiori est un grand collaborateur de Joe d'Amato avec un beau palmarès de scénariste. Côté acteur, Lugi possède une présence magnétique à la Klaus Kinski. Un regard de feu, une stature, une brutalité à fleur de peau, une étrange élégance, sa composition en Blackie domine le film comme il domine Belle la plupart du temps. Le film est surtout le récit de leur relation tumultueuse. C'est avec Blackie que Belle dispute la partie de cartes dont son corps est l'enjeu, (d’où le titre original : mon corps pour un poker). Et si Belle triche pour mieux se donner, c'est aussi pour tomber dans une nouvelle relation sado-masochiste avec étreintes brutales, je t'aime moi non plus et toutes ces sortes de choses. Cette histoire d'amour tordue se complique d'une rivalité professionnelle, les deux amants étant tour à tour rivaux ou complices. Le film décline cette relation en plusieurs scènes dont certaines sont réussies (la partie de cartes, le duel dans le saloon, la séance de torture où Belle sauve la mise à Blackie), mais cette construction en patchwork manque de cohérence et handicape quelque peu la réussite de l'ensemble. La mise en scène a le même défaut, peut être accentué par l’éviction de Cristofani, et autant certains passages sont originaux et travaillés (découpage, cadres, travail sur des décors baroques), autant plusieurs autres sont d'une plate banalité. Les extérieurs ont été tournés en Yougoslavie, ce qui change agréablement des étendues dépouillées et espagnoles d'Almeria. La photographie est signée Alessandro d'Eva qui vient du cinéma de genre avant de passer à la comédie avec Dino Risi puis Sergio Corbucci. Son travail est assez original pour le genre, travaillant de multiples variations sur les noirs et les blancs, irrégulier lui aussi selon les scènes mais il met en valeur la plastique d'Elsa Martinelli moulée dans ses tenues masculines de cuir noir façon Emma Peel, ses guêpières féminines et ses jupons affolants. Cerise sur le gâteau, de superbes gros plans sur ses délicieuses tâches de rousseur. Il y a donc ici une intéressante tentative de faire vivre une héroïne au sein d'un genre renommé pour son machisme. Encore que la belle Belle reste à mi-chemin d'une véritable alternative féminine. Certes elle tire juste et fume le cigare, mais elle reste dans un jeu de séduction pour mâle dominant, peu crédible dans l'émotion, loin des héroïnes morales de Corbucci où de la Jill leonienne. C'est un peu dommage. Et puis, elle pousse la chansonnette à mi parcours avec un « No Time for Love » qui n'est pas une réussite.

Au final un western inégal mais original à plusieurs titres ce qui en fait une curiosité estimable. Pas besoin de faire un dessin, il ne m'est ce film que d'Elsa. Circulant jusqu'ici dans de très mauvaises versions, le film bénéficie cette fois d'une superbe copie dans l'édition Artus accompagnée d'une présentation érudite d'Alain Petit.