16/03/2017
Requiem pour Alan Ladd
13 West Street (Lutte sans merci - 1962) un film de Philip Leacock
Texte pour Les Fiches du Cinéma
Curieux polar américain plutôt modeste que ce 13 West Street (Lutte sans merci) tourné en 1962 par un metteur en scène anglais, Philip Leacock. Curieux projet adapté du livre The tiger among us écrit par la géniale romancière et scénariste Leigh Brackett. Un projet d'abord ambitieux sous la houlette du producteur Charles Schnee qui imagine John Wayne dans le rôle principal. Difficile d'imaginer le Duke dans le rôle du scientifique Walt Sherill, agressé un soir par une bande de jeunes et qui, devant le peu d'énergie de la police, entreprend de remonter leur piste. C'est que les agresseur ne répondent pas à un stéréotype, celui disons de The backboard jungle (Graine de violence -1955) de Richard Brooks. Ce ne sont pas des cas sociaux, mais des cas psychologiques. Ils sont bien mis, vivent dans les beaux quartiers et semblent sortis d'un inoffensif film de teen-agers. Ils n'en sont que plus redoutables à commencer par le meneur, Chuck Landry, qui évoque les jeunes étudiants de Rope (La corde – 1948), le film d'Alfred Hitchcock. Difficile disais-je d'imaginer Wayne victime d'une telle bande. C'est donc un autre film qui se fera et Sherill va être incarné à l'écran par Alan Ladd.
Star du film noir et du western, héros emblématique du Shane (L'Homme des vallées perdues - 1953) de George Stevens, Ladd est en perte de vitesse au début des années soixante après quelques films mineurs. L'acteur négocie mal l'évolution de Hollywood à l'époque. Il a même tenté l'aventure du peplum italien. Il s'engage dans ce film comme vedette et comme producteur. Il est probable que Ladd a trouvé des résonances particulières dans le rôle de Sherill. Comme lui, l’ingénieur est d'abord un homme qui n'est plus en phase avec son époque. Il y évolue le visage tiré, le corps crispé, raide, comme absent. Malgré son travail dans le domaine spatial, signe extérieur de modernité, Sherill apparaît comme décalé. L'Amérique de 1962 est pour lui un monde hostile et incompréhensible. Il a des problèmes dans son travail et ses compétences sont mises en doute. Il est victime d'une agression gratuite lors de laquelle son courage physique ne lui sert à rien. Ses agresseur le prennent en traître, à plusieurs où par surprise, la nuit quand il a déjà été blessé. Ses patrons ne lui manifestent que la compassion minimum quand ils ne cherchent pas à le menacer. La police incarnée par l'inspecteur Koleski joué par Rod Steiger préférerait étouffer l'affaire.
L'homme d'action, incarnation des valeurs américaines, est impuissant face à une société devenue trop complexe. Alan Ladd qui réglait les problèmes colt à la main, en étant sûr de son bon droit et des frontières entre le bien et le mal, est cette fois perdu face aux comportements de ses contemporains. Il doit encaisser les coups tant physiques que psychologiques en espérant ne pas tout perdre. L'acteur s'investit à fond dans cette dimension du film et lui donne tout son prix. Le regard qu'il porte sur son temps et son époque possède une force pathétique qui me touche. Seule son épouse, incarnée par la belle Dolores Dorn apporte une part de réconfort à Sherill même si elle a du mal à vraiment comprendre ce qui le ronge. Symboliquement, la jeune actrice venait de jouer dans Underworld U.S.A. (Les bas-fonds new-yorkais – 1961), polar emblématique d'une nouvelle modernité signé par Samuel Fuller.
Tout ceci pouvait donner une œuvre âpre et puissante. Pourtant le film manque d'une vraie énergie. Philip Leacock , le réalisateur venu du documentaire n'a pas le même degré d'implication que sa vedette. Et peut être que, homme de télévision, anglais, il ne saisit pas les enjeux d'un tel récit. Fuller ou Robert Aldrich auraient pu... mais inutile de rêver. Tel qu'il est, 13 West Street est un polar honorable, bien mené malgré quelques coups de mou, avec une esthétique très années soixante, écran large, noir et blanc signé Charles Lawton Jr. qui a travaillé pour rien moins que John Ford et Orson Welles. Outre une distribution solide, ce film possède désormais avec les années une intéressante valeur documentaire. Tout son arrière plan du Los Angeles du début des années soixante, banal au temps du tournage, est aujourd'hui un rien excitant : les rues, les voitures, les intérieurs, les maisons, les petits chapeaux des hommes, les tenues des femmes, la sociologie des quartiers, tout ceci rehausse la valeur cette œuvre modeste. 13 West Street est un film bien de son temps au contraire de son héros. Restent aussi quelques scènes assez intenses, de l'agression originale au final tendu entre Landry et la femme de Sherill qui dégage un érotisme trouble. Et puis la silhouette plus fragile que je ne l'aurais cru de l'homme des vallées perdues.
Photographies : © Columbia
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21:56 Publié dans Cinéma, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philip leacock | Facebook | Imprimer | |