06/03/2014
Aux rêveurs
Aux rêveurs – Trois films de Mehdi Benallal
Texte pour Les Fiches du Cinéma
Édité par l'Harmattan, Aux rêveurs propose trois courts métrage de Mehdi Benallal, chacun d'eux arpentant un territoire bien précis (la banlieue parisienne sud-sud-ouest, Arcueil, Sceaux, Bois d'Arcy) et travaillant une idée du souvenir. Si chacun d'eux est construit sur un dispositif particulier et différent à chaque fois, l'ensemble trouve sa cohérence dans ces voyages de la mémoire et dans une invitation à l'imaginaire largement offerte au spectateur.
Retour à Sceaux (2010) s'appuie sur une fiction. Un jeune homme joué par Ali Saïd-Omar est à la recherche d'une maison dont il ne possède que le souvenir de fenêtres rondes, d'une fête et d'une femme. Il déambule dans les rues trop calmes, pavillons bourgeois, petits jardins bien tenus. Je pensais à Nanni Moretti traversant en vespa un quartier du même genre à Rome, Casalpalocco, et lui trouvant une odeur de « vidéocassettes, de chiens de garde dans le jardin, de pantoufles. ». Le jeu de piste est ponctué de micro rencontres, mais ignorance ou indifférence, voire hostilité, nul ne peut l'aider. Sans que ce soit exprimé, son apparence décalée dans le décor suscite le rejet. La seule personne qui engage véritablement le dialogue lui ressemble mais ne peut l'aider plus que les autres. Elle lui permet du moins de souffler. Car le souvenir incomplet transforme la recherche en un mauvais rêve qu'avec humour le réalisateur parsème de signes négatifs : panneaux de sens interdit, impasses, directions multiples. La résolution sera forcément frustrante, le souvenir enfin matérialisé laissant un goût de mauvais réveil. En musique toutefois.
Dans Bois d'Arcy (2013) Mehdi Benallal s'investit directement en assurant la voix off du narrateur. Son oeil-caméra parcours une banlieue cette fois plus modeste, plus HLM, mais tout aussi paisible d'apparence, ensoleillée, où la présence humaine est des plus réduite. Deux enfants jouent autour d'un bel arbre. La campagne est proche. Tout est bien ordonné, posé, dégageant une impression d'harmonie renforcée par le cadre précis, souvent fixe, jouant sur les lignes, les formes géométriques basiques des bâtiments et les symétries. La voix, tranquille, à l'émotion contenue explore le passé. Souvenirs d'enfance, la famille, les voisins, la vie d'alors, et puis la dureté de cette vie avec au cœur de cette remémoration, le surgissement du racisme, ordinaire et puissant, dont la violence contraste avec le calme qui émane des images et fait naître un profond malaise. Ce décor trop géométrique est-il bien fait pour les hommes ? Là où peuvent s'épanouir des sentiments de haine, de rejet, d'humiliation, des pires préjugés. Au spectateur de faire le lien entre ce qu'il voit et ce qu'il entend et de forger sa propre réflexion. Le réalisateur lui donne le temps. Il rappelle aussi que Bois d'Arcy avec sa campagne tranquille abrite une grande prison depuis 1980. Et puis, pour un cinéaste, Bois d'Arcy, ce sont aussi les archives du film (comme le rappelle un nouveau jeux sur les panneaux de rues) dans un ancien fort militaire. Un lieu de violence et un lieu de mémoire. Le film m'évoque également certaines chanson de Mendelson, notamment {1983 (Barbara)} dont le texte comme le phrasé se rapprochent de ceux de Mehdi Benallal.
Aux rêveurs tous les atouts dans votre jeu (2011) donne son titre à l'ensemble. Atouts de l'imaginaire, ceux qui permettent de plonger dans une rêverie poétique à travers quatre récits (discret hommage à Robert Bresson) qui constituent le film. Quatre personnes racontent leur rêve, de ces rêves étranges et pénétrants, rêve de la nuit passé, rêve familier, souvenir d'un rêve marquant (j'ai fait un drôle de rêve hier). Ceci n'est pas précisé. L'exercice de mémoire devant la caméra permet de fixer ce qui le plus souvent s'évanouit au réveil, laissant parfois des images fortes, comme celle d'un film qui touche. Mehdi Benallal cadre avec soin ses conteurs dans leur milieu, utilisant le plan séquence pour que ces souvenirs de rêve puissent se déployer dans une atmosphère d'intimité confortable. En confiance, hommes et femmes racontent avec générosité, l'émouvant comme l'inquiétant ou l'incongru. Des plans de paysages, un grand viaduc avec le ciel au-dessus, vaste, créent un temps suspendu entre les récits et nous pouvons alors donner libre court à nos propres images mentales. Le film devient alors une invitation à une rêverie partagée, sur les délicats sons du vent léger et des chants d'oiseaux. La musique délicate et précise d'un réalisateur sensible et attentif aux autres.
A lire sur Nage Nocturne
Sur le site de l'éditeur
Découvrir le réalisateur sur le site de Triptyque Films
19:19 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : mehdi benallal | Facebook | Imprimer | |