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14/01/2010

Terreur au Texas

Le grand suédois remonte d'un pas déterminé la rue principale de Prairie, petite ville du Texas. Il tient à la main un long harpon de baleinier. A quelques pas derrière lui se tient une foule prudente. A l'autre bout de la rue, sortant du saloon, Johnny Crale, le tueur vêtu de noir du chapeau aux gants de cuir luisant. Les deux hommes font face. « Approche un peu plus près. Ils sont venus pour voir du sang », jette le tueur au suédois.

Ainsi commence, de manière saisissante, Terror in a Texas town (Terreur au Texas), un western tourné par Joseph H. Lewis en 1958, son dernier film de cinéma avant qu'il ne finisse sa carrière pour la télévision tout au long des années 60. La scène synthétise l'essence du film dont le récit, un long flashback, nous ramènera à ce point d'orgue : le suédois et son harpon, incongrus à l'ouest du Pécos, pour l'originalité du regard, ce côté inventif et décalé qui fait le prix des plus belles réussites du réalisateur, la musique de Gérald Fried dominée par les trompettes, ce qui lui donne un son morriconien avant la lettre, la figure du duel dans la grand-rue et celle du tueur vêtu de noir pour le classicisme, les figures imposées du genre, et puis l'élégance des mouvements de caméra, ce superbe traveling latéral qui suit la sortie de Crale, les cadrages millimétrés pour le style de Lewis.

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Épaulé par le sinistre tueur en noir, Ed McNeil, gros propriétaire local, terrorise les fermiers de Prairie, Texas, pour mettre la main sur leurs terres. C'est qu'il y a plein de pétrole sous ces terres. Pour l'avoir découvert et tenté de résister, Hansen, fermier d'origine suédoise, est abattu. Son fils, de retour après des années passées en mer, va réclamer justice et entreprendre de nettoyer la petite ville.

Hitchcock disait qu'il valait mieux partir d'un cliché que d'y arriver. Sur cette trame rebattue, Lewis greffe nombre d'idées originales et transcende son matériau de départ, un scénario signé sous pseudonyme par Dalton Trumbo alors sur liste noire, par une mise en scène inspirée. Il y applique ce qui lui a déjà réussi dans le film noir, une mise en place de la tension qui fait merveille dans les nombreuses confrontations, une violence sèche, brutale et sans artifice, une atmosphère lourde de peur, les lâchetés et la corruption de nombre de personnages. La photographie relève elle aussi plus du film noir que du western. Signée Ray Rennahan, elle est en noir et blanc, ce qui était devenu rare dans le genre en 1958, avec des noirs profonds qui renforcent le côté macabre illustré par la dégaine du tueur comme par l'allure du héros qui, avec son haut de forme, sa redingote et la silhouette massive, visage allongé, de Sterling Hayden, a tout d'un croque-mort. Rennahan est un spécialiste du genre et avait déjà travaillé plusieurs fois avec Lewis. On lui doit également les photographies lyriques de Drums along the Mohawks (Sur la piste des Mohawks – 1939), premier film en couleurs de John Ford, Duel in the sun (Duel au soleil – 1946) de King Vidor et Unconquered (Les conquérants d'un nouveau monde – 1947) de Cécil B. DeMille. Respect. Pour lui aussi, ce sera son dernier travail pour le grand écran.

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Du cinéma de Lewis, on retrouve aussi un trait de caractère caractéristique de ses héros : leur détermination. Si George Hansen semble un homme tranquille, il est décidé a faire valoir ses droits et à demander justice, à sa façon et sans dévier d'un pouce de son programme. Il est aussi entêté que pouvait l'être le personnage de Cornel Wilde dans The big combo (Association criminelle – 1955). cette détermination donne au film une dimension tragique car Hansen est de ceux qui vont au bout de leur destin. Lewis lui insuffle pourtant un peu d'humour, avec le décalage de son comportement, mais aussi avec cette scène proche du cartoon où, tabassé et jeté dans le premier train, On voit revenir Hansen suivant les rails à pied. Sterling Hayden offre une composition magnifique. J'ai toujours adoré cet acteur, sa prestance, son côté massif, sa belle voix de basse et cette fragilité qu'il laissait passer à travers son regard. Il a souvent joué des idéalistes trahis par le destin, des doux contraints à la violence. Rappelez-vous chez Huston, chez Ray, chez Kubrick première manière.

Autre personnage passionnant, celui du tueur. Au premier abord, il semble une nouvelle variation sur l'archétype joué par Jack Palance dans Shane (L'homme des vallées perdues – 1953). Mais son Jack Wilson est une simple incarnation du mal, il fait peur et le fait bien mais c'est tout. Johnny Crale est beaucoup plus intéressant. C'est un homme au bout du rouleau qui vit avec une femme de « mauvaise vie », touchant personnage joué par Carol Kelly. Leur couple fait penser à celui formé par Kirk Douglas et Jo Van Fleet dans la version de John Sturges du fameux réglement de comptes à O.K. Corral. Un couple dans lequel chacun peut voir en l'autre quelque chose de plus bas que lui. Nedrick Young est lui aussi remarquable et apporte beaucoup de profondeur au rôle. Ses rapports avec son employeur sont également originaux. McNeil est le gros bonnet classique mais ses échanges avec Crale sont empreints d'une lucidité peu coutumière du genre. Crale méprise McNeil parce qu'il se méprise lui même d'accepter son argent. Et McNeil le sait. Homme d'affaire, il représente le capitalisme américain, moderne et triomphant. Crale sait qu'il fait, lui, partie d'un ouest qui disparaît et qui reposait sur d'autres valeurs. Dix ans en avance, on est proche, très proche, des rapports développés par le constructeur du chemin de fer Morton et le tueur Franck dans C'éra una volta il west (Il était une fois dans l'ouest – 1968) de Sergio Leone. C'est la même dialectique. Ils ont le même type de discussion et la réplique « Tant qu'il y aura des hommes comme vous, il y aura du boulot pour des hommes comme moi » pourrait se retrouver dans la bouche de Franck. Ou dans celle du Tigrero de Sergio Corbucci.

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Dernier aspect contribuant à faire de Terror in a Texas town un remarquable western des années 50, époque bénie s'il en fut, le portrait que l'on peut lire en filigrane de l'Amérique. Il y a certainement une part de la dimension politique qui est due au scénario de Trumbo (Nedrick et Hayden avaient également eu bien des déboires avec le maccarthysme). Mais l'intelligence de Lewis est de conserver tout cela en arrière-plan, d'y faire baigner son action principale sans jamais insister dessus. Ainsi Lewis donne à ressentir une impression de corruption et de lâcheté à Prairie, Texas, mais il n'y a pas une scène démonstrative à la High noon (Le train sifflera trois fois – 1951). L'attitude globale des habitants est toujours nuancée par telle ou telle attitude individuelle. Et s'il cherche à unir les fermiers, Hansen junior reste guidé par sa détermination individuelle. Il est plutôt hawksien. L'angle original de Lewis, c'est que les principaux rôles positifs sont donnés à des américains d'origine étrangère (pour être plus exact, des nouvelles générations d'immigrants, non anglo-saxons), Hansen le suédois et Pepe Mirada, joué par Eugène Martin, le fermier mexicain, personnage clef du film. Mirada, établi, ayant famille, est un peu la conscience du film. Il est le révélateur des autres et provoque les prises de conscience, de Hansen comme de Crale. Sans jamais forcer le trait, sans déclamation, Lewis montre simplement un pays confronté à ses démons, à des changements profonds, dont les forces vives, les forces morales, sont des immigrants. « Aujourd'hui, j'ai vu un homme qui n'avait pas peur de mourir » dira Crale avant d'affronter son destin. Avec élégance et le sens de la mise en scène, comme Joseph H. Lewis qui abandonne un cinéma qui change sur ce film âpre et beau, beau comme la rencontre, dans la grand rue de Prairie, Texas, d'un harpon et d'un six-coups.
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Sur Decisions at sundown

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Le DVD

Photographies : captures DVD MGM

Affiche : Pluck you, too !

08/10/2009

Double programme : westerns de série B - partie 3

Participation au double-bill blog-a-thon de Broken Projector

7th Cavalry fait partie de la douzaine de westerns à petits budgets produits par Randolph Scott et Harry Joe Brown entre Man in the saddle (Le cavalier de la mort – 1951) d'André de Toth et Comanche station de Bud Boetticher en 1960. On y retrouve les qualités de mise en scène de Joseph H. Lewis, son sens de l'espace, son invention dans la durée des plans et des scènes, ses fulgurances visuelles, sa sensibilité à filmer les femmes, le tout au sein d'un film tout à la fois assez classique et pourtant souvent original.

Le capitaine Benson, Randolph Scott, fringuant, revient à Fort Lincoln, base du 7th Cavalry, avec sa jeune épouse. Personne en vue. Première scène étonnante, Benton planque son cheval dans un ravin et pique un sprint, escalade la palissade et pénètre dans le fort désert. Éclairages et cadrages expressionnistes, on dirait l'arrivée de Jonathan Harker dans le château de Dracula. Finalement Benson tombe sur une femme en état de choc qui l'accuse d'avoir déserté son régiment. L'atmosphère est lourde. Plus loin, une poignée d'homme cuvent leur alcool. Dessoulés, ils s'expliquent : Georges A. Custer a emmené ses hommes combattre les indiens. Il a périt avec ses troupes à Little Big Horn. Face à ce désastre militaire, une commission d'enquête se tient au fort. Benson était le bras droit de Custer et son ami. Personne ne comprend qu'il n'ait pas été à ses côtés. Son passé trouble remonte à la surface, son mariage trop rapide passe mal, il est accusé de lâcheté, contesté par ses hommes mêmes. Comme souvent dans ses films, le personnage de Scott doit prouver son courage. Benson se porte volontaire pour aller récupérer les corps des soldats morts. Problème, le champ de bataille est en terre indienne et ceux-ci sont remontés à bloc après leur victoire. La mission est donc une mission suicide. Du moins délicate.

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L'aspect le plus original de 7th cavalry est sans doute que c'est un film d'évitement de l'action. Chose délicate à négocier dans un western. Pourtant, comme le capitaine Brittles dans She wore a yellow ribbon (La charge héroïque – 1949), l'un des films majeurs de John Ford, Benson commence par arriver après la bataille et cherche ensuite à éviter qu'elle ne se reproduise. Conscient de son infériorité numérique et morale, Benson va se faire discret, louvoyer, négocier et tenter de faire appel à son bon droit, celui d'emporter ses morts pour les honorer. Il compte sur les qualités spirituelles des indiens, les convainc presque mais se heurte finalement à leurs croyances et à la dimension fantastique qu'ils donnent à Custer. Comme les indiens d'Apache Drums pensaient faire naître des guerriers fantômes en se faisant tuer, ceux de 7th Cavalry pensent conserver l'essence de leur victoire avec la dépouille du « général tête jaune ». Et alors que cette lutte spirituelle va se résoudre par la force, c'est un nouvel élément fantastique qui va intervenir et éviter le massacre promis. Élément autant poétique que quelque peu naïf, il faut avouer.

L'amateur de western pur et dur pourrait être frustré de ce morceau de bravoure avorté. Pour le consoler, Lewis nous offre une belle bagarre au couteau entre Benson et un indien. Mais le conflit de Benson est bien entendu moral et son combat se joue au niveau de sa troupe. Lewis entretient la tension du film par les oppositions rencontrées par le capitaine : contestation des ordres, refus d'obéissance, désertion, tentative d'assassinat. Benson menant son convoi de fossoyeurs se retrouve un peu dans la position de Dunson dans Red River (La rivière rouge – 1948) de Howard Hawks, un capitaine Bligh quand même plus sympathique. Comme Fregonese, Lewis traduit ces tensions par ses compositions, isolant Benton et soignant les portraits de groupes. Certains plans sont admirablement composés, reposant sur des formes géométriques parfois complexes comme lors d'un bivouac sur une hauteur, parfois en mouvement comme les figures circulaires de l'encerclement de la troupe par les indiens. Géométrie dans l'espace. Incrustation des personnages dans le paysage, pas aussi spectaculaire que chez Mann, mais bien mis en valeur par la photographie chaude de Ray Rennahan, un spécialiste raffiné du genre qui a signé les images de Duel in the sun (Duel au soleil – 1946) de King Vidor et Unconquered (Les conquérants d'un nouveau monde – 1947) de Cecil B. De Mille. Rien que ça.

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Lewis fonctionne beaucoup par scènes. L'entrée de Benton dans le fort est un premier moment fort, d'inspiration fantastique, étiré au possible, culminant avec l'apparition, telle un spectre, de la femme à moitié folle de chagrin. Avec le retour des cavaliers survivants des colonnes de soutien de Custer, la vie revient dans le fort, et le western redevient un western militaire classique. Lewis enchaîne ensuite la longue séquence de la cour martiale, assez bavarde mais qu'il rend passionnante par sa façon d'orchestrer les mouvements d'opinion envers Benson qui passe d'accusateur et de défenseur de la mémoire de son ami à celle d'accusé. Lewis continue d'enchaîner moments plus faibles et moments forts jusqu'au point d'orgue de l'affrontement avec les indiens et de sa résolution particulière. Son film n'est pas aussi tendu que celui de Fregonese. On ne sent pas derrière l'intrigue le désir de l'investir d'une réflexion. La thématique du rachat est plus celle de Randolph Scott et la façon d'aborder les indiens assez convenue dans le genre noble. Le discours autour de la personnalité de Custer, son ambition, son imprudence, sa prétention, n'est pas du calibre de ceux de Walsh ou de Ford. Il manque aussi un peu de seconds rôles qui sortent des conventions du genre. On trouve de solides figures du genre, Jay C. Flippen en sergent bourru, le fordien Harry Carey junior en estafette miraculée et Léo Gordon en cavalier buté. Lewis est plus heureux, ou plus motivé, par le personnage féminin incarné par Barbara Hale qui donne une composition sensible à son personnage de femme compréhensive, prise entre son nouvel époux qui lui cache des choses et son père qui ferait bien passer en court martiale l'époux en question.

Tel qu'il est, 7th Cavalry est formellement séduisant et agréable à suivre. Lewis y fait preuve d'originalité et de sa passion pour la mise en scène, qui le fait s'investir quelque soit le projet, sans y apporter toutefois la force ni l'émotion violente de ses plus beaux films noirs.

Photographies de Metek que je remercie une nouvelle fois.

Un article sur Joseph H. Lewis sur Senses of cinema avec un passage sur le film (en anglais).

Sur le site de Glendon Swarthout en anglais avec une page de photographies (Il est l'auteur de la nouvelle ayant inspiré le film).

Sur le forum western movie

06/10/2009

Double programme : westerns de série B - partie 1

Participation sur le fil au double-bill blog-a-thon de Broken Projector

Je me suis un peu lâché sur le sujet. Aussi, pour ne pas vous infliger une note interminable, je vais publier cela en trois parties. Pour un double programme, c'est bien le moins.

C'est curieusement ma plongée dans le western italien qui me ramène ces derniers temps vers la série B américaine classique. Comme une envie de rééquilibrage associée à un désir nourri par les rééditions DVD de redécouvrir certains films de mon enfance. Le western de série B, ce sont les grands espaces, les bandes du cinémascope à la télévision, les couleurs vives du Technicolor, les histoires schématiques et carrées, les héros au regard droit et à la force digne incarnés par Randolph Scott, Sterling Hayden, Joel McCrea ou John Payne. C'est une forme de western qui ne se pose pas encore trop de questions, ou alors ce n'est qu'aujourd'hui que je les perçois, de ce passage en contrebande selon le joli mot de Martin Scorcese. Ce sont les westerns de Roy Rowland, Bruce Humberstone, Hugo Fregonese, André de Toth le quatrième borgne de Hollywood, Alan Dwan, Jacques Tourneur, Bud Boetticher tant (trop ?) célébré aujourd'hui, Joseph H. Lewis. Et puis d'autres. Leurs mises en scène me laissent découvrir leur beautés, leurs inventions, leurs intuitions et parfois leur limites. Limites d'un cinéma de genre, d'un format court (60 à 80 minutes, rarement plus) d'un système de production et d'une censure encore très active qu'il faut contourner avec subtilité.

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Apache drums (Quand les tambours s'arrêteront – 1951) fait partie des souvenirs d'enfance. Avoir vu jaillir les indiens par les fenêtres de l'église assiégée à dix ans, ce sont des images qui se gravent en vous pour la vie. Le film a été réalisé par Hugo Fregonese, cinéaste d'origine argentine qui fera le gros de sa carrière à Hollywood avant de partir illustrer Karl May en Allemagne puis retourner au pays natal pour filmer Robert Taylor dans l'un de ses derniers rôles. Nous lui devons des films d'aventures colorées, des films noirs et des westerns dont Blowing Wild (Le souffle sauvage – 1953) avec Gary Cooper et l'énergique Barbara Stanwyck. Il y a toujours chez lui un petit quelque chose de décalé, d'inhabituel et surprenant au sein du genre qu'il illustre, comme cette aventure de résistance qui se situe à Marseille en 1943 dans Seven thunders (Les sept tonnerres – 1957).

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7th cavalry de 1956 est une totale découvert, fruit d'un hasard total. Je crois même le film inédit en France. Recherche faite, il est sorti en Belgique sous le titre La mission du capitaine Benson. Derrière la caméra, un nom devenu respecté, celui de Joseph H. Lewis désormais reconnu pour ses films noirs, Gun crazy (Le démon des armes – 1950) et The big combo (Association criminelle – 1955). Lewis a oeuvré dans plusieurs genres, avec une cinquantaine de titres à son actif et quelques westerns typiquement B avant de passer à la télévision dans les années 60. Plus encore que Fregonese, c'est un passionné de la forme et ses meilleurs films sont pleins de trouvailles visuelles étonnamment modernes.

To be continued / A suivre...

Photographies : Metek du Forum Western movie (mille mercis)

09/09/2009

Le charme de l'authentique série B (2)

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7th Cavalry (La mission du capitaine Benson - 1956) de Joseph H. Lewis