« Requiem pour un cinéaste | Page d'accueil | Viol et châtiment »
09/07/2016
Can't take my eyes off your movies
Je me souviens encore très bien de la sortie en 1981 de Heaven's gate (La porte du paradis – 1980) dans la foulée de sa présentation cannoise. A l'époque je lisais les compte rendus du festival dans Le Matin qu'achetait mon père et j'avais remarqué ce qui semblait être un western à grand spectacle. J'avais 15 ans et les westerns se faisaient rares en salles. Je me souviens avoir eu l'envie d'aller le voir et que quelqu’un, qui cela m'échappe, m'en a dissuadé. Peut être que j’étais tombé sur l'un des articles négatifs qui avaient accueillit le film, ou bien sur le récit de ce qui était déjà présenté comme une catastrophe financière, le fameux « Rarement montagne d’argent aura accouché d’une aussi malingre souris » d'Olivier Eyquem dans Positif. Bref... je suis passé à côté de Michael Cimino en 1981. Puis il y eu un éditorial de Starfix dont l'équipe avait vu une partie de Year of the dragon (L'année du dragon – 1985) et en avait tiré un texte court et enflammé bien dans leur manière, citant les ténors du cinéma américain du moment (Spielberg, De Palma, Coppola, Lucas...) en concluant que Cimino était un cran dessus. Je devrais essayer de retrouver le texte mais pas ce soir. Ce film là, je ne l'ai pas raté et il reste pour moi la grande rencontre avec le cinéaste. Je n'avais jamais vu un polar de cette trempe, ni des personnages aussi magnifiques, aussi incarnés. Je pense à celui de la femme de White jouée par Caroline Kava qui m'avait bouleversé. Cimino prenait ainsi une place de choix dans mon panthéon et comme beaucoup, j'ai attendu avec impatience son Sicilien. C'était aussi le bref morceau de temps où Christophe Lambert a fait illusion. Vu en 1987, en avant-première dans l'auditorium d'Acropolis, The sicilian a été une déception. Pas autant que ce qui en a été dit ensuite, il y a de belles choses dans le film. Mais par rapport au précédent, Lambert par rapport à Rourke, quelque chose fonctionnait mal. Pour Cimino, il faudra attendre quatre années avant un nouveau film, Desperate Hours en 1990, sortie discrète pour un film là encore pas complètement satisfaisant. Mais pour l'admirateur de John Ford que je suis, le plan au début du film où l'avocate se recueille devant un vaste paysage sauvage avec une stèle « Au capitaine Nathan Brittles » m'avait touché. Nathan Brittles est le nom du personnage joué par John Wayne dans She wore a yellow ribbon (La charge héroïque – 1949). J'ignore combien de personnes ont fait le lien. C'est une de ces connivences secrètes qui me réjouissent toujours, comme le fait que c'est John Wayne, peu de temps avant sa mort, qui a remis à Cimino son oscar du meilleur film début 1979.
Entre temps, j’avais découvert Heaven's gate (La porte du paradis), d’abord en 1990 sur grand écran à la Cinémathèque de Nice, dans la première version complète, puis au Cinéma de Minuit de Patrick Brion qui avait été l’artisan de la redécouverte de cette œuvre monumentale l'année suivante. La gifle, l'extase. L’incompréhension aussi face à la façon dont le monde est passé à côté de ce film. Ce sont des choses qui arrivent. D'une certaine façon, je suis heureux d’avoir découvert le film dans sa forme aboutie et non dans la version tronquée proposée en 1981. Ce film majestueux brassait dans un vaste mouvement épique des choses que j'aimais chez David Lean, Sergio Leone, Luchino Visconti, Sam Peckinpah et John Ford, quelques autres aussi, mais tourné d'une manière très personnelle qui fait du film une expérience unique. Comme pour celles qui ont compté dans ma vie, il y a eu un avant et un après Heaven's gate. The deer hunter (Voyage au bout de l'enfer – 1978) est venu après et j'aurais ainsi découvert l’œuvre de Cimino à l'envers pour l'essentiel. Inutile d'aligner les superlatifs, le plus étonnant pour moi dans ce film là, c'est que j'y adore Robert De Niro et Meryl Streep dont je ne suis pas, à de rares exceptions près, grand amateur. Et puis la façon dont John Cazale se dresse dans la scène du bar, la façon dont George Dzundza se met au piano pour le Nocturne de Chopin... C'est un film qui a imprimé profondément en moi et que je revois régulièrement avec un sentiment d'intimité et d'admiration qui ne cesse de grandir. La dernière fois, je me disais que la scène finale, celle autour de la chanson God bless America, c'était un peu comme si Cimino reprenait la fin de The searchers (La prisonnière du désert – 1956) de Ford, mais avec un Ethan Edwards qui ne serait pas resté dehors et serait venu partager le repas de la réconciliation. Et avec tout ça, j'ai redécouvert Thunderbolt and Lightfoot (Le canardeur – 1974) qui ne m'avait pas marqué lors d'une première vision télévisée. Reste encore Sunchaser. Les derniers souvenirs sont littéraires, la lecture surprise de Big Jane, son premier roman en 2001, drôle de bouquin avec une drôle d'héroïne et du golf, un texte dont j'essayais de deviner les images derrière les mots. Et enfin les conversations avec Jean-Baptiste Thoret, brillantes. Cimino m'aura manqué, comme tous les cinéastes avec lesquels j'ai grandit et qui ont tourné trop peu. Seule consolation, il n'aura pas été de ces cinéastes dont j'aurais pu voir la dégringolade artistique, ceux dont l'espoir mis en leur talent aura tourné en eau de boudin. Non, comme Joe Dante ou John Carpenter, Cimino laisse une œuvre certes plus courte qu'espéré, mais qui, telle qu'elle est, donne plus de plaisir que tant d'autres plus fournies. Et je ne donnerais pas de nom !
Photographie United Artist.
18:58 Publié dans Panthéon, Réalisateur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : michael cimino | Facebook | Imprimer | |
Écrire un commentaire