« Raw edge | Page d'accueil | L'ange et le peintre »
30/03/2014
Le shérif bondissant
Showdown at Abilene (Les dernières heures d'un bandit). Un film de Charles Haas (1956)
Texte pour Les Fiches du Cinéma
Malgré son titre original qui sent la poudre, Showdown at Abilene est d'abord un joli mélodrame. L'histoire d'un homme parti à la guerre, laissant derrière lui la femme qu'il devait épouser, et qui revient. Tout le monde le croit mort, sa fiancée doit épouser son meilleur ami avec lequel il est lié par une vieille dette remontant à l'enfance. Voilà un triangle amoureux qui offre d'intéressants développements, mêlant passion, sens de l'honneur, amitié, culpabilité et traumatisme. Comme nous sommes dans un western, un de ces merveilleux westerns américains de série B des années cinquante, notre héros, Jim Trask, revient dans une ville minée par la violence d'un conflit classique entre fermiers et gros éleveurs. Voici Jim pris dans les jeux de pouvoir et ses belles affections comme ses nobles sentiments manipulés pour lui faire prendre parti.
Le scénario de Berne Giler, qui a écrit pour Budd Boetticher et beaucoup œuvré dans le western sur grand comme petit écran, est riche de caractères, ambitieux même puisqu'il emprunte au dilemme cornélien comme au trait fondamental du Hamlet shakespearien. Jim Trask est un homme qui s'empêche. Il a fait la guerre de Sécession du côté confédéré et s'il revient portant fièrement son uniforme, c'est celui des vaincus. Pourtant, notre héros habité de la carrure de Jock Mahoney ne semble pas brisé. La première personne qu'il rencontre est un jeune soldat de l'Union qu'il désarme à main nues. Car si Trask ne porte pas de revolver il sait bondir et frapper juste. Le jeune homme se révèle néanmoins être un ami. Du côté d'Abilene, on a pu faire la guerre d'un côté comme de l'autre, comme on est fermier ou éleveur. Cette ligne de fracture, Trask la porte en lui, née d'un traumatisme dissimulé sous une expression impassible. L'homme d'action ne veut plus se servir d'une arme. L'amoureux ne veut plus exprimer ses sentiments à celle qui est toujours éprise de lui.
A Abilene, il retrouve Chip Tomlin, ce meilleur ami qui utilise les drames qui les lient (Trask se tient pour responsable de son handicap et pour la mort du frère de Chip à la guerre) pour asseoir son pouvoir et son désir pour la belle Peggy. Pourtant, les personnages sont travaillés de manière assez subtile. Chip se révèle plus pathétique qu'un méchant classique, un rôle dévolu à Claudius, son bras droit particulièrement brutal. Le conflit entre éleveurs et fermiers, un classique du genre, n'est pas aussi tranché que d'habitude, la violence pouvant éclater dans un camp comme dans l'autre. Trask, au-delà de ses failles, voit ses qualités (sens de l’honneur, fidélité) se retourner contre lui. Mais il est un héros américain et non un prince de Danemark. Il va donc combattre intérieurement ce qui le lie tout en agissant à l’extérieur. Il accepte le poste de shérif que lui propose Chip et s'il temporise sur l’essentiel, il ne manque pas de ressources et tente de se placer entre les deux camps antagonistes. Son bond impressionnant de la première scène donne la clef du chemin à parcourir. Trask réitérera deux fois cet exploit physique, rendu d'autant plus crédible que Mahoney a été un excellent cascadeur et que les cadrages du réalisateur Charles Haas mettent en valeur, sans coupe, la performance. Trask désarme d'abord un cow-boy excité en bondissant par dessus une barrière puis il se tire, lors de la confrontation finale, d'une situation qui semble désespérée. Il accomplit ce faisant l'acte qui libère son esprit.
Showdow at Abilene est ainsi constamment surprenant, choisissant de privilégier les personnages à l'action, sans pour autant la sacrifier. Du coup, outre l'intérêt soutenu, je me suis attaché aux personnages d'autant l'attention du réalisateur ne néglige pas les seconds rôles bien campés par de solides acteurs comme David Janssen, futur fugitif télévisuel, Grant Williams, futur homme qui rétrécit, ou Ted De Corsia, croisé chez John Sturges, Orson Welles et Anthony Mann. Charles Haas, qui a surtout travaillé pour la télévision, fait ici du bon boulot, avec quelques belles idées comme la scène où Trask retrouve Peggy sous le regard de Chip, organisée autour d'une grande psyché, ou plus tard la façon dont il filme Chip espionnant une conversation du couple. Il donne également une certaine intensité dans l'émotion aux scènes intimistes entre Trask et Peggy incarnée par la belle Martha Hyer. Rythmé, bien photographié façon ligne claire par Irving Glassberg, un spécialiste du genre, Showdow at Abilene est une épatante découverte et confirme mon intérêt, après A day of fury (24 heures de terreur – 1956), pour l'acteur Jock Mahoney.
Photographie Universal
A lire sur DVD Classik
Sur Movie scene (en anglais)
17:38 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : charles haas | Facebook | Imprimer | |
Écrire un commentaire