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12/02/2013

Clermont 2013 - Partie 1 : souffrance

Le festival de Clermont-Ferrand est l'endroit idéal pour prendre la température du court métrage comme il va, c'est à dire bien souvent du long métrage comme il sera. Las ! De ce que j'ai pu voir (il y a vraiment beaucoup de films à voir à Clermont), ce n'est pas la grande forme pour le court national. S'il y a bien eu quelques films aimables, je n'ai pas ressentit cette année ce petit élan du côté du cœur qui fait ressortir de la salle en se disant que l'on a vu quelque chose. Pire, entre les animations purement formelles, les films balisés, les expérimentations paresseuses et les canalplusseries arrachant un sourire mécanique, j'ai eu droit à plusieurs films-purge redoutables, aussi longs que prétentieux, dont le quelque chose m'inquiète.

Clermont 2013.jpg

Mais commençons par une remarqué d'ordre générale qui touche également la sélection internationale de bonne tenue : l'image. D'aucuns objecteront que je suis un vieux nostalgique de la pellicule, et ils auront raison, mais depuis plus de dix ans j'ai pu voir sur le grand écran de la salle Cocteau l'évolution des projections avec la domination progressive et désormais totale de la vidéo. C'est la première année que je constate une baisse globale de la qualité de l'image. Nombre de films ont une image laide, tout simplement. Les noirs en particulier souffrent d'effets de plaque transformant le magnifique écran en moniteur de bureau. Plans granuleux, sautes de l'image, problèmes de compression, platitude, il y a quelque chose de pourri au royaume du numérique. Est-ce que cela vient de la projection, des copies, d'un manque de maîtrise, d'une croyance erronée que le numérique affranchit d'un travail minutieux sur l'image ? Peut être un peu de tout. La projection somptueuse de Qurban (Sacrifice) de Anar Abbasov ou le noir et blanc émouvant de Nous ne serons plus jamais seuls de Yann Gonzalez m'incitent à penser que c'est en amont que cela coince.

Mais revenons à nos purges. D'habitude je n'aime pas m'étendre sur ce qui me déplaît, mais cette année, trois films (il y en avait d'autres) illustrent certaines tendances du cinéma français, pour reprendre une expression fameuse, qui me posent problème. A ce stade, qu'il soit clair que je n'ai pas à dire ce qui doit être fait ou pas, mais qu'à partir du moment où l'on m'embarque pour un récit j'aime autant que l'on ne me raconte pas n'importe quoi n’importe comment. Entrons dans les détails.

Souffre ! De Pamela Varela est de la veine sociale. Les usines ferment et c'est bien triste. La réalisatrice tourne dans une friche industrielle et ça se voit. L'usine dans laquelle je travaille ne ressemble pas à ça, pas plus que celle de Ce vieux rêve qui bouge (2000) d'Alain Guiraudie. Nous suivons le personnage de Marta dont on ne saura pas grand chose, sans doute qu'elle est roumaine, en tout cas elle n'est pas bavarde. La première scène donne le ton, tellement misérabiliste (mains sales, décors artistiquement crades) que j'ai cru que nous étions dans une prison. Suit un travelling très complexe, façon Godard, mais qui ne débouche sur rien que sa propre virtuosité. Constamment, il y a ce décalage entre le fond (c'est dur, c'est douloureux, ça ne desserre pas les dents), et la forme qui cherche à faire cinéma (gros plans, mouvements complexes, figuration), sans que jamais l'un ne soit au service de l'autre. C'est vite agaçant d'autant que les personnages peinent à exister à force d'épure. A la fin, Marta prend un revolver (d'où est-ce qu'elle sort ça?) et tire sur le syndicaliste (bien fait !) et un type que je ne rappelais pas avoir vu avant. Un cadre ? Bien fait aussi. Et après ? Après rien. Je me disais que ça aurait été bien de finir avec une visite d'Arnaud Montebourg, mais nous ne sommes pas là pour rigoler. Ici on souffre avec point d'exclamation, un titre comme une injonction au spectateur. Ben voyons !

Avec Swing absolu de François Choquet, nous tenons peut être le nouvel Michael Haneke. Joie. Les personnages sont deux frères qui s’appellent Aurélien et Tancrède. Vraiment. Ils vivent dans une superbe maison dans un superbe coin dont on se demande si ça existe encore dans la vraie vie. Ils y élèvent des moutons avec leur père. Admettons. Leur père ne s'occupe pas d'eux alors ils décident de le tuer avec un club de golf. Voilà. Les deux jeunes gens sont beaux et lisses, ils font penser au duo de Funny games (1997). On sent le film travaillé et fabriqué, bien fichu, belle image cette fois, plans et découpage soigneusement pensés. Opposition entre la nature élégiaque et le drame des personnages, manipulation d'un frère par l'autre, suggestion de relation incestueuse. Sauf que. Sauf que ça ne vit pas. Sauf que le programme annoncé au début se déroule sans accroc ni surprise. Sauf que les personnages n'ont aucune épaisseur. Le père surtout est victime de situations fabriquées mais ne donne jamais l'impression d'être un type abominable, juste un peu maladroit. Donc pourquoi le tuer ? L'idée du meurtre qui me semble centrale, n'est jamais vraiment justifiée. Comme chez Haneke, François Choquet joue au démiurge tout puissant, manipulant ses personnages comme des silhouettes de carton au service d'un récit au sérieux papal et à la froideur calculée.

Mais tout ceci n'est rien comparé au Livre des morts de Alain Escalle, gros film d’animation expérimentale qui a eu les moyens de son ambition et s'étire sur 35 interminables minutes. Outre l'esthétique numérique, le film cultive l'obscurité narrative et le mauvais goût pyrotechnique. Que je vous raconte. Tout commence dans la Russie soviétique des années 50, une période qui semble inspirer les réalisateurs, un peu comme ceux qui mettent dans leur i-phone dernier cri un « dring » de téléphone à cadran. Des grues démolissent un vieux quartier. Un homme se souvient aidé par un livre, celui du titre j'imagine. Le voilà qui part pour la Pologne (comment ? pourquoi ? Vous en posez des questions) et le film passe dans une autre dimension. La terre frémit, des barbelés sortent de terre, des miradors surgissent comme des zombies hors de leur tombe, et dans un spectacle son et lumière extravagant se reconstruit le camp d'Auschwitz. Vous n'avez encore rien vu. Des danseurs au corps peints surgissent alors, fantômes des exterminés. Et que ça se tortille, et que ça fait des entrechats. Cerise sur le gâteau, un bombardier passe et s'écrase sur le camp. Toute le monde sait (sauf le réalisateur semble-t-il) que jamais une bombe n'a été lâchée sur les camps d'extermination. Quand même Auschwitz en ballet numérique, il fallait oser. Alain Escalle ose. A ce point, il n'y aurait rien d'autre à dire. J'ai regardé ce film dans un état second. Je pensais à la tête de Jacques Rivette s'il voyait ça. Je ne comprends pas comment on peut à ce point ne pas penser à que l'on filme.

(A suivre)

Le site du festival

Commentaires

C'est terrible à dire mais je m'amuse beaucoup quand tu n'aimes pas.
Cela fait un sacré bout de temps que je n'ai pas regardé de courts uniquement pour le plaisir et j'ai raté les journées au Forum.
Quoique, à te lire, je n'ai pas eu tort de me reposer.

Écrit par : fredMJG | 13/02/2013

C'est toujours un peu plus facile de mettre le doigt sur ce qui cloche, d'ailleurs, je rame un peu plus pour aborder les films qui m'ont plus. Il y en a eu :) Franchement, Clermont ça vaut le coup, et puis je m'y suis plus reposé qu'à Cannes, j'ai dormi comme un bébé. Pas pendant les projections, hein !

Écrit par : Vincent | 15/02/2013

Pour Infos,
Le film que vous critiquez fort intitulé "Le livre des morts" à été diffusé récemment lors de la commémoration en mémoire de l'holocauste juif à Tel Aviv.

Il semble qu'il faille rappeler les bombardements peu connus des camps de Mailly en 1944, mais voici un document intéressant:

"Le bombardement d’août 44 par F. Gadéa

Arrivé le 5 août 1944, interné au « Petit camp », F. Gadéa en repart le 8 septembre avec un kommando pour Peissen, dans la région de Bernburg, à la limite de l'Anhalt et de la Saxe, pour travailler à la construction d'un camp.

« Le 25 août 1944 fut pour nous une date mémorable. Nous nous trouvions assez nombreux ce jour-là, vers 11 heures, à l'intérieur du Block, pour des raisons que j'ai depuis oubliées, quand l'alerte sonna. Nous n'y prêtions pas tellement attention car les alertes étaient nombreuses. Ce ne fut que quelques minutes plus tard que nous comprîmes que nous étions en danger. Pendant près d'une demi-heure, les vagues de bombardiers se succédèrent dans le fracas des accélérations des appareils et des explosions. On sut très vite que le camp n'avait presque pas été atteint mais que les usines, les casernes qui le bordaient avaient été en grande partie sérieusement endommagées. »

« La fin de l'alerte sonna et nous pûmes, au milieu des cris des kapos et des SS affolés, mesurer l'ampleur des dégâts. Les secours s'organisèrent dans un désordre indescriptible. Les blessés étaient transportés selon leur état à dos d'homme ou sur des civières de fortune, faites de branches d'arbres hâtivement coupées, vers les Reviers et la maison de joie transformée en hôpital. On lavait les plaies à l'eau, on tentait d'arrêter les hémorragies à l'aide de garrots faits de ficelles, de fils électriques, on tamponnait les plaies avec des chiffons et des papiers, on incisait, on amputait à froid. Plusieurs bungalows construits sur les pentes de Buchenwald en dehors du camp, et dans lesquels étaient installés des internés de marque, furent touchés par ce bombardement. C'est dans l'un de ceux-ci que la princesse Mafalda, épouse du prince de Hesse, fille du roi d'Italie, fut grièvement blessée. Transportée au chalet, elle devait y décéder. »

« Les pavillons des officiers et des sous-officiers SS avaient été pulvérisés, les casernes en grande partie démolies. Partout des lambeaux de chair, du sang, des cadavres qui n'avaient pas encore été retirés. À l'intérieur du camp, non loin de la place d'appel et des cuisines, le vieux chêne à l'ombre duquel, selon des données de l'histoire, Goethe venait souvent méditer avait été partiellement brûlé. Certains, évoquant une pensée du poète, voyaient en cet événement la fin du IIIe Reich. L'état-major SS du camp réagit promptement et la reprise en main des internés intervint dans la soirée. Le lendemain et les jours qui suivirent, nous fûmes occupés à des travaux de déblaiement. Les fours crématoires fonctionnèrent sans arrêt jour et nuit. »

Fernand Gadéa, contrôleur général honoraire, interné à Buchenwald en août 1944."

Écrit par : sophie monnier | 25/04/2013

Bonjour. Merci pour ce témoignage. On peut prendre toutes les précautions, il y a des sujets très sensibles. Je critique fort ce film qui me semble fort critiquable. Je parle cinéma, vous me répondez histoire, mais sur ce terrain, il y a plusieurs réponses à faire :
Les bombardements sont peu connus parce qu'ils furent rares voire rarissimes. Pour information, le camps de Nordhausen fut bombardé mais par erreur, l'aviation alliée l'ayant pris pour une installation militaire.
J'ai bien parlé de "camps d'extermination" or d'une part Buchenwald était un camp de concentration, ce qui n'est pas tout à fait la même chose, qui ne faisait pas partie des six camps conçus dans le cadre de la solution finale. Et sur ces camps en particulier, aucune bombe n'est tombée. Pour être précis, Auschwitz était inclus dans un système complexe avec des usines (de chimie je crois) qui, elles, furent bombardées.
Un bombardement est une chose, un avion qui s'écrase en est une autre.
De même, si le film a été présenté à Tel Aviv, tant mieux pour lui, mais cela n'a rien à voir avec ce que j'ai ressenti à sa vision.

Écrit par : Vincent | 25/04/2013

Comme vous sembliez vous même ignorer par votre article l'existence de bombardements lors de ces évènements, je vous trouvais assez injuste et d'un parti pris engendré par cette ignorance. S'il y a eu peu de bombardements, cela est d'autant plus intéressant de les évoquer ici... Non?

Il est toujours délicat de critiquer la véracité des éléments présentés par le film dont vous parlez qui n'indique aucunement un lieu précis il me semble. Je peux comprendre votre impression. Pour ma part ce film me touche de par ces partis pris et par la mystique de sa forme et de son propos.

Pour moi ce film n'a pas vocation à être une représentation de la réalité... Il interroge la mémoire. Jacques Rivette était d'une génération ou l'oubli et le taire prévalait à la parole. Avec un discours aussi peu ouvert, on ne peut que se plaindre d'une perte de mémoire de la guerre... Le cinéma a évoluer, et ce n'est plus les années 60.

Je pense sincèrement que le réalisateur savait ce qu'il faisait et que le film a la qualité de ne pas laisser indifférent et d'invité au dialogue.
N'hésitez pas à écouter ceci, si cela peut vous éclairer.
https://vimeo.com/60664878

Écrit par : sophie monnier | 25/04/2013

Bonsoir. merci pour le lien, je l'écouterais volontiers, j'étais même tenté à Clermont d'aller à cet "expresso".
Il se trouve que ce sujet m'intéresse particulièrement. Vous soulevez plusieurs points assez complexes. Disons que sur les bombardements, le refus des alliés de bombarder Auschwitz (pour tout un tas de raisons) a et continue de faire polémique. Montrer un bombardement n'est pas anodin s'il n'a pas existé. Je trouve que c'est un jeu avec la réalité qui est dangereux d'autant que la dimension onirique du film renforce la confusion quand aux informations qu'il contient. De mémoire, on voit bien le portail caractéristique de Auschwitz avec l'inscription "Arbeit macht frei".
Pour ce qui est de Rivette (je ne suis pas de sa génération) je ne partage pas tout ce qu'il dit dans son fameux "travelling de Kapo", mais il pose assez justement le problème de ce que l'on choisi de montrer, ou pas. Il ne dit pas qu'il faut oublier ou se taire, mais trouver une façon qu'il estime "morale" de l'aborder par le cinéma. et si le cinéma a évolué, la question reste la même. ce n'est pas parce que l'on peut tout montrer techniquement qu'il faut le faire ou que cela donnera des images "justes". Le film dont nous parlons remet ces questions, effectivement, sur l'écran. Personnellement vous l'avez compris, je ne crois pas qu'un tel film, que j'ai trouvé confus et entretenant la confusion par sa forme (l'utilisation de la langue, les envolées graphiques, le montage rapide) puisse véhiculer une mémoire.
mais la discussion est intéressante.

Pour mémoire, il y a bien eu quelques bombes sur Auschwitz, mais larguées par erreur lors d'un raid sur Monowitz (le complexe industriel dont je parlais plus haut).

Écrit par : Vincent | 26/04/2013

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