Shotgun (Amour, fleur sauvage) est un western de série signé Lesley Selander en 1955 et un candidat sérieux à la palme de la traduction française la plus grotesque de son titre. Le shotgun, c'est le fusil à double canon qui fait du dégât. C'est l'arme avec laquelle le méchant de l'histoire vient se venger des deux marshalls qui l'on collé au trou pour six ans. Classique. Il abat le plus vieux traîtreusement et le second, joué par Sterling Hayden, le grand Sterling Hayden, le Sterling Hayden de Johnny Guitar (1954), n'a de cesse de le venger. Il enfile donc deux shotguns de part et d'autre de son cheval et se met sur la piste des truands. Voilà du western classique à la trame éprouvée, un de ces westerns produits à la chaîne dans les années 50 qui annoncent le basculement du genre vers la télévision. Lesley Selander est un artisan représentatif, signant des dizaines de titres entre 1936 et 1968, passant au petit écran à la fin des années 50 pour les séries Lassie et Laramie. Du travail sans génie mais carré, parfois inspiré comme ici, dans un plan où un cavalier passe une rivière dans laquelle joue le reflet du soleil.
Si l'histoire est linéaire, elle réserve quelques touches originales. Ainsi, sur le départ, notre héros aux vastes épaules (appelons-le Clay) reçoit la visite de sa fiancée, jolie blonde à bouclettes qui lui fait une scène, regrettant d'avoir demandé à papa de l'avoir pistonné pour un poste à Washington. Un ton agressif inhabituel pour un tel personnage. Peine perdue, Clay ralentit à peine ses préparatifs et n'accorde pas un regard à la blondinette. Un homme, un vrai. Le voici donc sur la piste des tueurs qui traverse une contrée peuplée d'apaches belliqueux (miam). Clay croise alors la route de quelques personnages plutôt bien dessinés. Abby, jolie brune, jouée par la si belle Yvonne de Carlo qui porte chemise et pantalon masculins comme dans
Passion (
Tornade – 1954) d'Allan Dwann, est la classique no-good-girl rêvant de Californie et s'obstinant à tomber sur de sales types. Plus intéressant est Reb Carlton, un chasseur de prime bien mis de sa personne, traquant les mêmes proies que Clay. Joué par Zachary Scott que l'on a pu voir chez Tourneur ou Fleischer mais aussi chez Renoir et Bunuel, Reb, par son ambiguïté et son cynisme, surprend dans le cadre du western de l'époque et annonce un grand classique à venir du western all'italiana. Les rapports entre les trois personnages sont développés sans excès mais de façon intéressante (coups fourrés et quiproquos), porté par le trio d'acteurs. Hayden joue de sa forte prestance, de sa voix de basse et de cette façon qu'il a toujours de regarder les autres le cou incliné vers le bas. Normal, il était grand, plus que la plupart de ses partenaires. Seul John Wayne était plus grand mais ils n'ont jamais tourné ensemble. Il faut dire que Hayden avait brièvement fait partie du Parti Communiste Américain et qu'il avait eu du coup des problèmes lors de la chasse aux sorcières du maccarthysme. Je ne m'étendrais pas plus là-dessus, non que ce ne soit pas intéressant, mais ce n'est le sujet.
Revenons à Yvonne de Carlo qui est toujours le sujet et irradie une sensualité naturelle, même si Selander n'est pas un foudre de guerre en matière d'érotisme. Il y a bien un plan de la belle dévêtue (de dos) lors d'un bain dans une rivière, plan bref mais utilisé à outrance pour les affiches du film comme on peut le voir dans le document ci-dessus. La femme ici passe de mains en mains, utile ou encombrante selon les circonstances, mais elle est surtout pour le héros un obstacle à sa vengeance. A la tension érotique, Clay oppose son mutisme et une rudesse de goujat. Barrière fragile qui tombe en plusieurs circonstances et se transforme en violence, bagarre musclée avec Reb ou violent baiser.
Question violence, Selander sait donner de l'intensité à ses scènes d'action. Sa violence est proche de la sauvagerie que ce soit dans le (rare) gros plan sur le shotgun lors du meurtre initial ou avec les aimables tortures infligées par les apaches avec serpent à sonnette et flèche. Sécheresse des meurtres, mise en place du duel et deux bagarres aux poings pas piquées des vers, le réalisateur sait y faire. Dommage que les personnages ressortent trop souvent de ces scènes frais comme des roses. Suite à l'explication entre Clay et Reb dans la rivière, non seulement aucun des deux ne porte le moindre bleu, mais la chemise de Reb est blanche comme au premier jour, comme reste impeccable le rouge sur les lèvres d'Abby. Ah ! Hollywood...
Photographie : Notre cinéma.com