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04/06/2009
David Carradine (so long)
Ça serait dommage de limiter David Carradine à Bill mais quand même. Moi aussi, j'ai regardé "petit scarabée" à la télévision assis sur la moquette quand j'avais 12 ans. Il a une fimographie impressionante en volume, avec un nombre incroyable de mauvaises choses. Il faut pourtant se souvenir qu'il a été Woody Guthrie pour Hal Ashby, le coureur automobile vêtu de noir appelé Frankenstein pour Paul Bartel, syndicaliste pour Martin Scorcese aux côtés de son père John éminente figure fordienne, frère James en compagnie de ses frères Keith et Robert pour Walter Hill, qu'il a joué pour Jean Yanne et Ingmar Bergman mais ce n'étaient pas leurs meilleurs films, qu'il levait bien la jambe contre Chuck Norris et qu'après tout mourir au cinéma sur « How do i look ? « / « You look ready », c'était la grande classe.
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02/06/2009
Cannes 2009 - jour 9
Audiard pour l'extinction des feux
Ça se termine. Les tentes sur la plage se replient, le marché est fermé, quelques centaines de privilégiés se préparent pour la soirée de clôture. L'air bruit de rumeurs, de spéculations, parfois d'informations plus fiables. Reste un long marathon de reprises des films de la compétition qui permet dès 8h30 de combler quelques lacunes. Un ensemble de paramètres et la sortie prochaine d'Antichist m'ont amené à terminer cette édition par le film de Jacques Audiard, Un prophète. Je me méfie toujours des éloges qui peuvent entourer un film français parce qu'après tout, notre cinéma national est le local de l'étape. Sur ce plan, le festival n'échappe pas à une sorte d'effet football. Et puis l'an passé, la palme avait déjà été à un français, alors, point trop n'en faut. Bref, il fallait faire un choix, j'ai vu Un prophète puis je suis rentré chez moi pour décompresser et suivre la cérémonie sur une télévision.
Le film de Jacques Audiard a une force indéniable mais je n'ai pas trouvé qu'il ait vraiment été plus loin (ou ailleurs) que le déjà très fort De battre mon coeur s'est arrêté (2005). Pour peu que l'on s'y arrête un moment, les deux films se ressemblent beaucoup. Audiard réinvestit les formes du polar classique, tant américain que français entre José Giovanni et l'inévitable Jean-Pierre Melville. Il explore des relations père-fils marquées par le désir d'émancipation du second et la violence du premier qui peine à transmettre par dureté et prend conscience un peu tard de son erreur. L'analogie est renforcée par une nouvelle composition convaincante de Niels Arestrup qui joue ici César Luciani, un truand corse emprisonné, prenant sous son aile le petit délinquant arabe Malik, joué lui par le débutant Tahar Rahim. A la base, Luciani pense manipuler Malik pour ses propres intérêts. Mal dégrossi, le jeune homme apprendra vite après un premier meurtre à valeur initiatique. Le film est le récit de son apprentissage, de la construction subtile de son propre empire et de sa réussite à la façon d'un Scarface d'aujourd'hui. Le film dégage une morale tant ambiguë qu'ironique puisque l'accomplissement du personnage passe par la prison. La taule comme école de vie et des valeurs du libéralisme. Il y a un côté anarchiste chez Audiard qui renvoie dos à dos truands à l'ancienne, petits voyous, gangs ethniques et mouvance islamiste, leurs codes, leurs croyances, leurs coutumes, leur sens de « l'honneur », tout un bric à brac qui ne tient pas devant la formule lapidaire de Malik : « Je travaille pour ma gueule ».
Ici encore, je note l'analogie entre ce parcours et celui du personnage joué par Romain Duris dans le film précédent qui finissait par se sortir d'une situation risquée pour réussir là où l'on ne l'attendait pas, manager et compagnon de la pianiste chinoise. L'introduction d'une dimension fantastique donne une originalité supplémentaire à cette histoire somme toute classique et en justifie le titre à priori énigmatique. Malik est accompagné dans sa vie quotidienne à la prison par le fantôme de l'homme qu'il a tué pour Luciani. Rêves, prémonitions, ouverture des sens, c'est ce qui vaudra son surnom de prophète et le respect, teinté comme souvent chez les truands de superstition, du chef d'une bande rivale qui deviendra une pièce maîtresse du jeu de Malik.
La mise en scène d'Audiard poursuit l'utilisation de formes utilisées depuis Sur mes lèvres (2001). Une caméra très mobile, proche des acteurs, partit pris ici justifié pleinement par le milieu carcéral, les espaces confinés des cellules, des salles de visite, du cachot d'isolement. Collant au corps de Malik, elle donne la sensation physique d'avoir perdu tout repère. Au début du film, quand il est dans le fourgon cellulaire qui l'emmène en prison, de brefs plans, comme des flashes, montrent les dernières images du dehors qu'il aura avant longtemps. Instable, le cadre traduit la tension permanente dans laquelle vivent ces hommes et le risque de la violence à tout moment. Il y a un très beau travail de direction artistique puisque les décors sont tous construits en studio. Tout ce que l'on voit est illusion. J'ai également apprécié le travail sur les voix. Les arabes parlent arabe, les corses corses et, comme dans tout récit d'apprentissage, la connaissance passe par la maîtrise de la langue. C'est en se mettant à parler le corse que Malik franchit un cap décisif et commence inconsciemment à mettre Luciani sous sa coupe. Indéniablement, question cinéma, Un prophète est plusieurs coudées au-dessus des ombreux polars actuels qu'il est inutile de nommer.
Ainsi s'achèvent mes aventures cannoises pour cette année. Vous m'accorderez quelques jours pour souffler, et puis pour rattraper mon retard sur Kinok. A tout bientôt.
Photographie : Roger Arpajou, soucre Allociné
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01/06/2009
Cannes 2009 - jour 8
La subversion du silence
C'est un peu par paresse que j'avais manqué à l'époque Yadon ilaheyya (Intervention divine - 2002) le précédent film d'Elia Suleiman dont j'avais entendu tant de bien. J'étais donc assez tenté par The time that remains présenté cette année en compétition officielle. Un ami dont je respecte profondément les avis m'a dit après la projection officielle, « C'est palmable ». J'ai donc mobilisé mon énergie sur cette journée pour le voir et, de fait en ressortant, je me disais aussi que ce film ferait une jolie palme de consensus. Ce dernier mot ayant été banni sans doute du vocabulaire du jury, vous savez ce qu'il en advint. C'est bien dommage parce que le film de Suleiman est impeccable, équilibré comme une belle lame, brassant l'intime et l'Histoire, le tragique et le dérisoire, et en plus c'est souvent très drôle.
Le film commence en 1948 quand la Haganah, l'armée du futur état d'Israël, investit la petite ville de Nazareth pour en prendre le contrôle. C'est la première guerre israëlo-arabe et le début du drame pour le peuple palestinien. La famille Suleiman vit à Nazareth et le père du réalisateur fait partie de la résistance. Une partie de la famille fuit en Jordanie comme des milliers d'autres palestiniens, tandis que les parents du réalisateur choisissent de rester (si l'on peut parler de choix) et deviennent des arabes israéliens à leur corps défendant. Il faut dire que le père est capturé par les soldats de la Haganah et sévèrement passé à tabac puis laissé pour mort.
En fait le film ne commence pas tout à fait là. Il commence aujourd'hui, par un trajet en taxi, un chauffeur bavard, un orage et une route qu'ils ne trouvent pas. Derrière, dans l'ombre, c'est E.S. Lui-même qui rentre chez lui. Si le chauffeur est perdu, le réalisateur voit se réveiller en lui les souvenirs et l'évocation de l'historie mêlée de sa famille et cette terre si convoitée, si compliquée, peut commencer. Quatre épisodes, quatre périodes, le temps qui passe, les hommes qui passent et des questions qui demeurent. Il y a un indéniable côté proustien à The time that remains, ne serait-ce que le titre, mais d'un Proust nourrit à l'art du burlesque.
Il y a un plan marquant, d'une terrible violence, dans la première partie. Une colonne de la Haganah s'avance de dos, sur la gauche de l'écran, ils sont vainqueurs et paradent. Sur la droite déboule une jeune femme qui les insulte copieusement. D'un mouvement vif, un soldat israélien sort un revolver et tire une balle dans la tête de la jeune femme. C'est glaçant. C'est aussi le seul plan de ce type dans tout le film. C'est habile. La violence dégagée dans ce plan suffit à créer une tension qui perdurera, même inconsciemment dans toutes les autres scènes du film. Y compris dans la scène de la torture du père, traitée par de violents contrastes entre la brutalité de l'action, le calme impressionnant du lieu (une oliveraie avec son de cigales), l'étrange détachement des soldats, l'humour noir de la mise en scène (la façon dont les soldats regardent tomber le corps qu'ils ont lancé par dessus un parapet a un fort côté dessin animé) et le silence. Du coup, on est à peine étonné que le père soit toujours vivant deux plans plus loin et d'ailleurs aucune explication ne sera donnée. Plus tard, d'autres scènes mettant en jeu des situations tendues, d'affrontement, seront traitées par l'humour. Les irruptions des policiers au domicile des Suleiman, la bataille dans la rue interrompue par le passage d'une femme avec une poussette qui dit aux soldats « Pourquoi vous ne rentrez pas chez vous ? », la patrouille qui vient faire respecter le couvre feu lors d'une soirée branchée et dont les membres se mettent à danser dans leur véhicule, et puis le moment hilarant où la tourelle d'un tank suit sans faiblir un palestinien qui sort sa poubelle. Mais toujours, on garde le souvenir de ce coup de feu du début.
Burlesque donc, le burlesque de Tati, de Keaton, de Kaurismaki ou d'Abel et Gordon. Un burlesque avec tout ce que cela implique de précision dans la mise en scène, d'inventivité dans l'utilisation du cadre et de la profondeur de champ, de jeu avec le son, pour produire des images non seulement fortes mais encore chargées de sens. Et puis claires. Les affrontements entre Elia enfant et le directeur israélien de son école, deux attitudes, une phrase, le mutisme de l'enfant, suffisent à traduire le destin absurde des arabes-israéliens comme leur esprit de résistance. Chaque cadre est précisément composé, ménageant les possibilités de surprise et ses propres hors champs pour créer des effets comiques. Par exemple un gant de ménage rose qui sort de derrière une cloison pour payer un enfant qui vient de faire une course. Par exemple un ami qui saisit Elia de retour à Nazareth, par surprise de derrière un pilier. Tout ceci est si bien calculé que la caméra n'a pas besoin de bouger. De mémoire, il n'y a de tout le film qu'un seul travelling latéral sur Elia à l'école. Le mouvement est toujours interne au plan. Au niveau des compositions, le film est bien du sud, méditerranéen. Les couleurs sont vives, la lumière baignée de soleil. Il y a d'ailleurs un jeu sophistiqué entre les couleurs chaudes qui appartiennent au passé (les oliviers, les murs, les boiseries du vieux café, les meubles de la maison familiale) et les couleurs pétantes de tout ce qui est moderne, symbole aussi d'un temps sans passé qui est celui d'un peuple auquel on a volé les racines. Suleiman a parfois des compositions étonnantes qui semblent venir d'autres formes artistiques, je pense à un plan où une voiture arrive au sommet d'une pente, sur une colline arrondie. L'image semble sortie d'une bande dessinée ou d'un film de Tex Avery.
L'autre aspect marquant du film est son utilisation du silence. C'est de lui que naît l'émotion. C'est par lui que passe la force de résistance des palestiniens qui s'opposent souvent par une indifférence résolue exprimée par la dignité de leur silence. Une grande partie de The time that remains est consacré aux rapports entre Elia et sa mère. Dans la dernière partie où elle est âgée et malade, leur rapport passe sans quasiment aucune parole. De mémoire là encore, il me semble d'Elia Suleiman ne prononce quasiment pas un mot de tout le film. Cela donne une force que je n'hésite pas à qualifier de fordienne à certains passages comme le coup de la tasse sur le balcon. Mais basta, je me rends compte que j'ai envie de vous raconter les mille et un détails de ce film, tous ces moments précieux, ces morceaux de temps qui constituent The time that remains. Un film qui confirme la naissance d'un très grand cinéaste.
Un dernier détail. Il y a un passage dans lequel Suleiman-dans-le-film croise un policier qui fait la circulation avec des gestes de danseur. Je me suis demandé si Suleiman-réalisateur s'était inspiré de cette vidéo que l'on trouvait sur Internet il y a trois, quatre ans, qui montrait (pris sur le vif ou caméra cachée ?) un policier de Ramallah dans le même genre de délire poétique.
Photographie : Festival de Cannes
(à suivre)
07:20 Publié dans Festival | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : elia suleiman, cannes 2009 | Facebook | Imprimer | |