Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

« Trois fois femme | Page d'accueil | Influences (2) »

05/09/2009

L'invasion des morts vivants

Je dois dire que je ne m'attendais pas à cela. Il y a bien longtemps que je n'ai été autant pris par un film d'horreur, au point de finir par m'inquiéter des bruits nocturnes et de l'obscurité derrière moi. Au point d'interrompre le film et d'aller allumer la lumière du couloir. Oui, autant que faire se peut, je regarde toujours les films dans le noir. Il faut dire que j'étais seul à la maison ce soir là, compagne et progéniture parties en vacances. Mais quand même ! Et avec un classique encore. Ce que c'est que de rentrer complètement dans un film...

Réalisé par John Gilling en 1965, Plague of the zombies (L'invasion des morts-vivants) m'apparaît comme une réussite majeure de la légendaire Hammer Films, fameuse maison de production britannique devenue emblématique de la terreur classieuse à l'anglaise. L'intrigue est basique. Le docteur Forbes, accompagné de sa charmante fille Sylvia, répond à l'appel à l'aide de son ancien élève, le docteur Tompson. De mystérieux décès déciment un paisible village de Cornouailles. Paisible, voire. Les habitants rustiques subissent la tyrannie aristocratique du « Squire », gros propriétaire terrien local, Clive Hamilton qui a importé des méthodes bien exotiques pour se procurer de la main d'oeuvre bon marché. Le docteur Forbes va rapidement découvrir, et nous avec, que les décès ne sont pas naturels et que, par ailleurs, les défunts ne le sont pas tout à fait. C'est dans le titre si vous avez suivi.

Invasion 1.jpg

La réussite du film se situe, c'est souvent le cas, à plusieurs niveaux. L'interprétation pour commencer, est digne d'éloges. Trop de films de genre sont plombés par des acteurs approximatifs (Oh non, John, c'est trop horrible !). Juste avant de voir le film de Gilling, je me disais que j'aurais bien vu Peter Cushing dans le rôle principal. Après avoir vu le film, je n'imagine personne d'autre que André Morell, habitué d'ordinaire aux seconds rôles (Ben Hur (1959) de William Wyler, Dark of the sun (Le dernier train du Katanga - 1968) de Jack Cardiff, Barry Lyndon (1975) de Stanley Kubrick). Il est le savant distingué plein d'une autorité tranquille, sûr de lui et de sa foi en la science, ouvert toutefois tant à la modernité qu'à l'étrange. So british entre Sherlock Holmes et Van Helsing, c'est pourtant une panique authentique qu'on lit dans ses yeux dans la scène de l'incendie. Diane Clare qui joue sa fille est vive et téméraire comme il faut, du genre à courir les bois la nuit poursuivant une ombre. Ce n'est pas une beauté, mais cela renforce sa crédibilité. Brook Williams, le jeune médecin, est un peu falot mais ça va bien avec son personnage dépassé par la situation. En revanche Jacqueline Pearce est superbe dans le rôle d'Alice, la jeune épouse au sort terrible tout à fait dans la tradition des héroïnes sacrifiées du genre. Sa résurrection, comme celle de Lucy dans Horror of Dracula (Le cauchemar de Dracula – 1958) de Terence Fisher est l'un des grands moments du film. Et puis il y a John Carson, impressionnante incarnation du mal en squire Hamilton. Un gentleman froid et cruel, séducteur et implacable. L'arrière-plan, assez réduit, est incarné de manière efficace par de solides seconds rôles dans les personnages du vicaire, du paysan furieux, du policier bien compréhensif (pour une fois) et des hommes de main libertins du squire.

Second élément remarquable, la richesse et l'intelligence du traitement des mythes. J'ignore quelle est la part de Gilling et de son scénariste Peter Bryan (collaborateur de Fisher par deux fois), mais il semble que la Hammer ne se soit pas beaucoup intéressée aux zombies. Ce sera le seul film sur ce thème. L'objectif du studio était d'avoir un film vite fait, bien fait. Gilling aura donc eu les mains libres dans la mesure d'un temps de tournage de moins d'un mois dans des décors déjà utilisés pour d'autres productions. La nécessité pouvant rendre ingénieux, les auteurs puisent subtilement dans plusieurs mythes pour créer quelque chose d'inédit alors.

Plague.jpg

Le zombie tire son origine du culte vaudou des Caraïbes. De fait le film s'ouvre sur une cérémonie du genre avec joueurs de tambours créoles, masques exotiques et figurines trempées de sang reposant dans des cercueils. C'est un peu kitsch, mais dans la ligne de ce que le cinéma avait illustré jusqu'ici, de Tourneur à Halperin : le mythe du mort rendu à la vie pour n'être plus que force de travail dans les plantations. Là-dessus, Gilling et Bryan greffent le mythe vampirique à travers la symbolique du sang mais surtout celle, sublimée dans les films de Fisher, de la séduction. Comme Dracula, Hamilton doit séduire ses victime et être invitées par elles à entrer dans leur maison pour prélever leur sang et les mettre sous sa dépendance psychique. Métaphore sexuelle à connotation sado-masochiste, cette approche enrichit indéniablement le personnage du squire, renforçant le suspense des scènes avec les deux femmes et l'horreur de voir Alice dépérir, mourir puis revenir sous le regard impuissant de ceux qui l'aiment. Troisième mythe convoqué, celui de Frankenstein. Il faut rappeler que les films de Fisher pour la Hammer remettent le docteur au premier plan alors que les américains privilégiaient la créature. Fisher travaille en particulier le statut d'homme de science en butte à l'obscurantisme de son époque. Et bien le bon docteur Forbes a un peu le même problème et c'est toute une histoire quand il demande une autopsie. Comme le fameux baron avec lequel il partage des traits de caractère, le voilà réduit, avec Tompson, à creuser les tombes fraîches la nuit pour examiner les cadavres.

C'est l'occasion du coup de génie du film, j'en frissonne encore. Lors d'une séquence qui va se révéler un rêve, Gilling met en scène la résurrection des morts-vivants dans le petit cimetière. La terre fume, les tombes se soulèvent, une main jaillit de terre et les morts foulent à nouveau la terre de cette démarche si caractéristique. Cette vision inédite à l'époque a indéniablement marquée tout un pan du cinéma d'horreur, de Georges Romero à Lucio Fulci en passant par Armando De Ossorio. Ne manque encore que l'élément cannibale introduit par Romero. On peut ajouter au tableau les maquillages encore impressionnants de Roy Ashton et quelques effets chocs dont l'apparition du mort-vivant portant le cadavre d'Alicia dans le décor magnifique du moulin, et la décapitation de la même à la pelle (après qu'elle soit morte, hein).

Invasion 2.jpg

A ce brassage de mythes, on pourra ajouter si l'on est d'humeur folâtre la lecture d'un sous-texte politique quelque peu satirique. Hamilton est un bon capitaliste qui pour mieux exploiter les masses laborieuses et paysannes les transforme en ouvriers dociles, sans âme et sans besoins. Une sorte d'idéal libéral. Il règne grâce à la peur et s'appuie sur une milice. Le terrible patron sera combattu par les représentants d'un humanisme éclairé et progressiste. La jolie parabole que voilà !

John Gilling mène son affaire sur un train d'enfer quoique cette expression n'a peut être plus le même sens aujourd'hui qu'en 1965. Disons qu'il n'y a pas de temps morts, rebondissements et péripéties sont nombreux et habilement agencés. Le réalisateur exploite les ressources limitées de ses décors par des angles variés, des cadres souvent larges aux compositions équilibrées, alternant avec quelques effets comme la caméra à l'épaule lors de la tentative de viol de Sylvia par les hommes du squire et de brusques gros plans qui toujours précipitent l'horreur (le visage du cadavre tombé dans la rivière, le zombie au moulin, la tête d'Anna roulant à terre en un plan quasi subliminal). Les séquences à suspense sont découpées avec précision, mettant en valeur les confrontations entre les personnages et donnant au spectateur la connaissance des machinations en cours. La tension n'en est que plus intense. La photographie est signée Arthur Grant, spécialiste du genre, tout à fait à l'aise avec les brumes, les nuit américaines en forêt, les villages gothiques, les robes flottant sur les pavés, les souterrains mystérieux et l'inévitable incendie final. Le summum étant une fois de plus la scène du cimetière avec ses effets de brume et ses cadres tordus. Inévitable aussi la partition de James Bernard, pilier musical de la Hammer, sans doute le moins original des divers composants de ce superbe cauchemar aux images entêtantes, Plague of the zombies.

Photographies : source Tout le ciné

Sur horreur.com

Sur Psychovision

Sur Cinéma fantastique.net

Commentaires

MMMMMum on en voit de belles choses dans le noir... La main qui jaillit de terre, un classique qui marche toujours, la dernière fois que j'ai revu Carrie pour la énième, j'avais beau m'y attendre... j'me suis retrouvée accrochée au lustre...
En tout cas, nous avons les mêmes manies, regarder des horreurs dans la pénombre et vérifier ensuite que les portes et les fenêtres sont bien fermées (à ce propos, ça ne marche absolument pas avec Argento parce que faible est l'esprit, et que l'on se persuade aisément qu'il y a deux yeux, là, qui nous regardent)...
Et c'est quoi ce bruit de pas que j'entends ?...
MMMMMM
:)

Écrit par : Frederique | 05/09/2009

Ah oui, Carrie, j'oublie toujours que ça finit comme ça. Et puis les yeux derrière la fenêtre chez Argento, c'est peut être le plan qui m'a fait le plus peur au cinéma. Brrrr... Mais je vous rassure, le noir, c'est pour tous les films. j'aime retrouver un peu de l'esprit de la salle, même si j'y vais beaucoup moins depuis que j'ai ma fille.

Écrit par : Vincent | 06/09/2009

Faut l'emmener ! dis la fille traumatisée par la mousse au chocolat que balance Rosemary à la poubelle (bon, j'ai une excuse : j'avais 7 ans et n'avais manifestement pas tout compris au film...)
:)

Écrit par : Frederique | 06/09/2009

Heureux de voir un bel article sur un de mes films Hammer préférés : cette invasion de morts vivants est en effet très efficace, dont le motif vaudou témoigne de l'acception traditionnelle du mort-vivant. John Gilling signe sûrement ici son meilleur film, même si j'aime vraiment sa Femme-Reptile (1966). Bravo !

Écrit par : Raphaël | 07/09/2009

Merci, Raphaël. j'ai un bon souvenir de l'ambiance de "La femme-reptile", malgré une certaine déception quand aux effets spéciaux. Un problème que Gilling n'a pas eu sur ce film-ci. C'est la même actrice qui joue la femme serpent et Alice, Jacqueline Pearce.

Écrit par : Vincent | 08/09/2009

MMMh, bémolons tiens, un brin ! Histoire de...

Classique de la veine non Fisherienne de la Maison Hammer, le présent Gilling l’est en outre par une trame lorgnant davantage vers les mystères mystérieux d’un Conan Doyle frotté à l’ail Nietzschéen que ne versant dans un Gothique symbolique à l’érotisme vénéneux.
Il ne s’agit pas là pour autant (rangez vos pieus et vos maillets, thuriféraires !) de renoncer à une franche approche graphique, à négliger une atmosphère délétère et (un poil) complexe, ni de bâillonner turpitudes, fantasmes et névroses sexuelles, larvées ou pas (l’impuissance de Thompson !), non ; Gilling ne saurait être chiche en rien !
Mais, malgré un soin de tous les instants (photo, cadres, direction d’acteurs), une sincérité réelle, et deux-trois audaces (les rapports entre Hamilton et ses cavaliers ("jeunesse dorée" terrorisant la populace !) sont bien croquignolets), la naïveté ambiante et l’exotisme un peu forcé (Haïti quand tu nous tiens !), bien que traités avec le plus parfait des sérieux, rendent la chose charmante, soignée et finalement guère plus.
Si !: sans doute sut-il nourrir la jeunesse d’alors et permit à des barbus, tel Landis (les Cornouailles du Loup-Garou de Londres, dans sa première partie) ou les Lucas/Spielberg (Indiana Jones et le Temple Maudit, auquel le dernier tiers fait immanquablement penser), de livrer ce que joyeusement ils nous livrèrent, à l’orée des 80’s. Et nous, sales enfants de la VHS 84, de préférer alors les « copies » aux originaux ? C’est moche, hein ?

(NdlA:"Le titre d’exploitation français est trompeur alors que le titre original (« Le fléau des morts-vivants » ou « la peste des morts-vivants ») demeure certes bien général mais tout de même plus en accord avec le climat général de l’action. Il est intelligemment trompeur aux yeux du spectateur anglais : « Plague » signifie que nulle action humaine ne peut s’y opposer car il s’agit d’un phénomène naturel. Or c’est ici tout le contraire !")

Écrit par : mariaque | 15/09/2009

Je vous concède bien volontiers l'argument de l'exotisme mais pour le reste je parlerais plutôt d'un classicisme de bon aloi auquel, après les débordements et excès de ces dernières décennies, il m'est agréable de (re)venir. Et puis comme vous le soulignez, il y a cet aspect de film fondateur. Ceci posé, j'ai revu il y a peu l'opus fulcien de 1979 qui a, à mon sens, bien plus vieillit que son britannique prédécesseur.
En tout cas, merci pour ce joli texte.

Écrit par : Vincent | 16/09/2009

Tiens, ce grand fou de Mariaque a également sévi ici... il me paraît bien en verve...
Avez-vous profité de l'interlude Hichcock ?
http://fredmjgblogueandbulle.blogspot.com/2009/09/interlude-cinephile-alfred-hitchcock.html
Le site les 1000 frames et les enregistrements originaux d'icelui avec Truffaut devraient faire votre joie
:)

Écrit par : Frederique | 18/09/2009

Écrire un commentaire