Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

« Lie to me | Page d'accueil | Il était une fois un plan merveilleux »

14/04/2008

Panique à bord

Vous avez sans doute, ou cela ne saurait tarder, entendu parler du « rapport Ferran », de ses constats sur l'état du cinéma français et des douze propositions qu'il contient, destinées à améliorer la situation, sinon résoudre la crise constatée. Son premier mérite sera toujours de faire réagir comme ici :

Sur Ecrans

Sur le blog Éloge de l'amour et

Chez Joachim

Sur le blog de Serge Toubiana

Chez les Cahiers du Cinéma

Sur le blog Château de sable

Il y en a certainement d'autres mais une fois lu tout ceci, vous aurez une bonne vue d'ensemble. Maintenant, qu'est-ce que je peux bien avoir à exprimer là-dessus ? J'ai l'impression d'entendre parler de crise du cinéma français depuis que je m'intéresse sérieusement à la critique, disons depuis le match Belmondo – Demy en 1982. C'est un peu comme pour la croissance ou l'école, je ne me rappelle pas vraiment avoir vécu une période où « ça allait bien ». A force, on s'habitue. Ensuite, Pascale Ferran, moi je l'aime bien. J'ai apprécié ce qu'elle a dit aux Césars, j'avais même repris son texte sur Inisfree. La fascination pour le modèle américain, j'ai connu ça quand j'avais 18 ans et ça m'a passé. Le bilan en terme de cinéastes originaux sortis là-bas pendant les vingt dernières années n'est guère meilleur que le notre et la façon dont le système hollywoodien qui sévit depuis les années 80 a brisé la carrière d'un réalisateur comme Michael Cimino suffit à le disqualifier à mes yeux. Les multiplexes, j'en ai déjà écrit tout le mal que j'en pensais et imaginer que la dérégulation puisse être une solution me fait doucement ricaner. Maintenant cette notion de « films du milieu » n'est pas très heureuse même si elle correspond a une réalité économique. Milieu rime trop avec moyen et médiocre. Pourtant, ce ne sont pas sur des films moyens et médiocres que pèse le plus la menace, je n'ai qu'à regarder le programme des salles de ma ville pour le constater, mais bien sur les films les plus ambitieux. J'aurais donc tendance à poser le problème ainsi : comment donner de véritables chances à des films ambitieux ? C'est plus motivant.

En amont, je crois que l'un des problèmes est que les cinéastes ne font pas assez de films. Deux ans pour un court-métrage, cinq ou plus pour un long, c'est désespérant. Je ne citerais pas de noms pour ne pas m'embarquer sur le faux problème de savoir qui est bon ou pas (c'est pour la critique, ça) mais je trouve absurde que des gens de talent ne puissent évoluer dans un cadre qui leur permette d'enchaîner régulièrement les films. A la grande époque des studios américains ou italiens, un Ford, un Fellini, un Hitchcock, un Corbucci pouvaient faire un, deux voir trois films par an. François Truffaut avait mis au point une méthode lui permettant de tourner un film tout en préparant les deux suivants. L'avantage, c'est qu'à ce rythme, un échec public ou critique (ou les deux) n'est pas trop grave, alors que quand on fait un film tout les cinq ans, il doit forcément être réussi et marcher. Et puis, est-ce que vous auriez confiance en un chirurgien qui ferait une opération tous les deux ans ? C'est en forgeant au pied du mur que l'on voit le plombier, c'est bien connu.

En aval, les films ont besoin de temps. A plus forte raison s'ils sont un peu originaux, novateurs, difficiles comme on dit. Du temps, c'est à dire un nombre raisonnable de copies, un espace décent sur les écrans et des distributeurs qui les soignent. C'est donc un problème d'argent. De qualité aussi mais pas seulement. Je ne suis pas d'accord avec cette idée qu'il faudrait faire des films que « le public » aurait envie de voir. Cela me semble en contradiction avec le désir d'avoir des films ambitieux et originaux. Je me dis aussi que si l'on peut amener des millions de personnes à voir un authentique navet, il doit y avoir moyen d'en déplacer quelques centaines de milliers pour voir quelque chose de bien. Mais ce n'est pas tout à fait le même travail. Je doute fortement que « le public » ait eu une envie irrésistible et immédiate d'aller voir Cris et chuchotements d'Ingmar Bergman. Pourtant, lancé avec soin, le film fut un succès public. L'histoire du cinéma est pleine de ces exemples. « Le public » n'existe pas. Il y a des publics et chaque film doit trouver le sien. Ce n'est pas un problème qu'une grosse comédie ou une superproduction fasse des millions d'entrées. Pas plus que c'est un problème que des films confidentiels ne touchent qu'un public confidentiel. On peut éventuellement trouver amoral que nos authentiques navets cassent la baraque. C'est la vie. Non, ce qui est anormal, c'est quand les grosses machines, pour atteindre leurs objectifs économiques, empêchent les autres productions d'atteindre les leurs, même s'ils sont plus modestes. Et c'est bien ce qui se passe aujourd'hui, et ce pourquoi je déteste les multiplexes. Les grosses sorties se font avec un nombre croissant de copies, occupant un maximum de salles sur une durée courte et écrasant au passage ceux qui ne peuvent rivaliser, bon film ou pas. Cela, c'est la loi de la jungle. Cela, c'est la tendance actuelle, la politique des multiplexes et des grosses chaînes de diffusion.

Exemple pratique. A Nice, il y a un cinéma partiellement art et essai. Il a une grande salle, une moyenne et trois petites. Il fait partie d'un réseau important. Quand il y a une grosse sortie, le film prend la grande salle et relègue les autres dans les salles plus modestes, et cela même si la grosse sortie est un bide et que les gens se pressent pour un film plus modeste. C'est là qu'il y a un problème.

Après, on peut poser le problème de la qualité des films, reconnaître que la majorité ont une esthétique de téléfilm (normal, ils sont prévus pour remplir des cases à la télévision qui finance), et qu'ils ne sont pas très excitants. On peut aussi se poser le problème du volume de la production et se demander pourquoi sortent dans la plus grande indifférence des comédies interchangeables avec des gens souvent venus de la télévision ou de vagues drames parisiens (pardon maman) éminemment soporifiques. Mais je me demande aussi pourquoi les films d'Emmanuel Mouret, plutôt drôles et réussis, n'ont pas plus de public. Oups, j'ai donné un nom !

Passons à la critique. Elle se sent en crise parce qu'elle se demande à quoi elle sert. Parce qu'elle s'en veut, plus ou moins consciemment, de ne pouvoir, savoir, agir pour aider à résoudre cette crise du cinéma. Pour des professionnels, cela doit être perturbant, mais tout cinéphile connaît ça. Quand je tartine sur Blindman en criant au chef d'oeuvre, si l'on m'écrit « Je l'ai vu, qu'est-ce que c'est que cette daube ? », je me sens misérable et inutile. Si l'on m'écrit en revanche : « Je l'ai vu, c'est une merveille, que votre nom soit béni jusqu'à la dixième génération », je plane pendant une semaine.

Un critique, ça sert à donner envie. J'ai commencé par lire Première, au début des années 80, mais ils ne m'ont jamais donné l'envie de voir quoi que ce soit. Heureusement, en 1983 est arrivé Starfix. Eux m'ont donné plein d'envies, des envies qui durent encore aujourd'hui. Il y a eu aussi Patrick Brion et Claude Jean Philippe à la télévision et puis l'émission Cinéma, cinémas. Et quelques autres comme Truffaut pour Hitchcock. Je suppose que c'est ce qui s'est passé à la grande époque des Cahiers du Cinéma dans les années 50. Ils donnaient envie. Aujourd'hui, la critique professionelle vit dans cette nostalgie. Moi, les Cahiers années 80, je n'y comprenais rien. Aujourd'hui, Internet a changé beaucoup de choses. Pris sous cet angle, les meilleurs critiques pour moi maintenant, ce sont Breccio du forum western movies qui m'a fait acheter des DVD jusqu'en Allemagne ou Pierrot, le Dr Orlof, auquel je dois l'exploration en règle du cinéma de Luc Moullet. Hervé Joubert Laurencin, qui intervient dans la table ronde dont on rend compte sur Château de sable, je l'avais rencontré pour une table ronde autour de Pasolini. Mais ce n'est pas lui qui m'a donné l'envie de découvrir les films du maître, c'est la séquence de Caro Diaro de Nanni Moretti. Donner envie, ce n'est pas simple. Ce que je retiens de cette table ronde, c'est la réflexion d'Antoine de Baeque « Le problème, c'est que c'est la même chose qui s'écrit partout ». Partout pour la critique professionnelle faudrait-il préciser. Parce qu'elle est tenue par l'actualité et que l'actualité va de plus en plus vite. Critrique, c'est un métier mon bon. Avec Breccio, nous pouvons décider que notre actualité sera Il pistolero dell'Ave Maria. Avec Pierrot que ce sera Moullet ou Edwide Fenech ou Johnny Guitar. D'accord, ce n'est pas notre métier, mais professionnels et amateurs ont toujours coexisté. Simplement avant, il y a bien longtemps, les amateurs écrivaient dans des fanzines qui tiraient à quelques centaines d'exemplaires au mieux. Certains passaient à des revues, relativement confidentielles mais qui, sur la distance, ont eu leur influence et je pense par exemple à Midi-Minuit Fantastique. Aujourd'hui, les amateurs écrivent sur des blogs et des sites et des forums et tous naissent libres et égaux. Pour le moment. Mais si l'on regarde le classement de Wikio, on voit que des amateurs éclairés comme Joachim ou Pierrot sont autant voir plus lus que des blogs professionnels comme Écran ou Contrechamp. Quand je dialogue avec Serge Toubiana, c'est de blog à blog et non plus de lecteur à rédacteur en chef. C'est intéressant. D'autre part l'utilisation des photographies et de la vidéo permet d'enrichir les contenus. Des documentaires et des micro émissions naissent sur la toile. De tout ce bouillonnement, que sortira-t'il ? Et quelle influence sur les films ? Le suspense est insoutenable.

Un critique, ça sert aussi à prolonger le plaisir. Quand je vois un film de Howard Hawks, je reprends toujours après son livre d'entretiens avec Joseph McBride. Sur ce plan, je trouve que la critique se porte plutôt bien. Il sort beaucoup de livres et les dossiers, ceux de Positif comme parfois ceux des Cahiers et des autres sont souvent riches. Bien d'ailleurs le dossier rock' 'n roll et cinéma dans le dernier Positif. Ce travail d'accompagnement se fait aussi de plus en plus sur les DVD, avec plus ou moins de bonheur, mais c'est un travail d'universitaire souvent, d'historien. Et l'on sent bien que le problème de la critique, celui qui la taraude et qui lui fait brandir ce doux mot de « crise », ne saurait être résolu en se tournant vers le passé mais en participant à l'avenir.

Je n'ai pas de conclusion, même provisoire. Ce ne sont que quelques réflexions, si vous avez eu la patience de les lire jusqu'au bout. Juste une chose, toute cette effervescence, toutes ces discussions croisées, c'est bien, c'est un peu l'esprit de mai, si vous voyez ce que je veux dire. On peut toujours ressortir un slogan comme « L'imagination au pouvoir », cela ne fera de mal à personne.

Commentaires

Eh bien! J'avoue ne plus savoir où me mettre après de tels compliments! Je ne suis pas sûr qu'ils soient entièrement justifiés mais merci beaucoup.
Sur ton texte, je ne vois rien à redire et je suis d'accord. "Film du milieu" ne me plaît pas du tout : ça fait penser (je crois que c'est chez l'ami Joachim que j'ai lu ça) au "milieu" dans le sens mafia du terme, la profession qui se groupe pour que puisse tourner Assayas et Jacquot (alors que je préfèrerais voir un nouveau Jacques Rozier, l'opéra que voulait tourner Resnais ou un nouveau Stévenin!)
Juste une petite réflexion même si je ne sais pas si elle est valable pour toutes les salles en France. La salle art et essai de ma ville fait un très bon boulot (rencontres, notamment avec Moullet, accompagnement des films...) mais il me semble qu'à son échelle, elle est aussi rentrée dans une logique "industrielle". Peut-être est-ce impossible de faire autrement mais toujours est-il que lorsque j'ai commencé à aller beaucoup au cinéma (milieu des années 90), ce cinéma proposait de superbes rétrospectives et j'ai pu découvrir ainsi cinq films de Rivette, six de Bergman et des classiques de Mankiewicz, Preminger, Hawks ou Welles.
Aujourd'hui, il n'y a plus ce genre de rétrospectives alors que c'est là, à mon sens, que se joue la transmission de la cinéphilie, plus que dans les insupportables séances pour les scolaires ou la quête de la nouveauté un peu sulfureuse (que je suis sorti énervé du dernier navet de Damien Odoul!)
Y a plus qu'a organiser des rétrospectives présentées par les bloggeurs amateurs ;-)

Écrit par : Doc Orlof | 14/04/2008

C'est vrai que cette expression de "film du milieu" est pour le moins maladroite.
Les cinéastes qui ne feraient pas assez de films, je trouve cela intéressant (ça va à l'encontre de la complainte : "il y a trop de films qui sortent chaque semaine"). Il est en effet attristant de voir que les cinéastes français prometteurs apparus au début des années 90 n'ont aujourd'hui que 5 ou 6 films au compteur, alors que ce serait à eux de servir de locomotive.
En ce qui concerne les salles, restons donc dans les expériences personnelles. Ma salle préférée fait beaucoup d'efforts, mais programmer un film fragile seulement sur quatre ou cinq séances n'a pour effet que de rameuter les déjà convaincus. Et malheureusement, je fais le même constat que le Doc, il y a dix ans, nous avions eu droit à des rétrospectives Tarkovski, Mizoguchi et Kurosawa. Cela ne se fait plus. Il n'y a plus qu'un classique de temps en temps.
Quant à la critique professionnelle, il y a effectivement un domaine où elle garde sa capacité à "donner envie", c'est lorsque sont proposés de bons dossiers sur des oeuvres ou des cinéastes hors actualité.
Pour le reste, je m'étonne moi-même chaque jour de lire des textes écrits par des gens dont je ne connais même pas l'identité exacte et me donnant tellement envie de découvrir Luc Moullet ou d'obscurs westerns italiens.

Écrit par : Edisdead | 14/04/2008

L'idée de la production soutenue, c'est évidemment alléchant mais ce que tu as l'air de présenter comme une norme d'autrefois m'a toujours semblé être une (heureuse) exception (même dans le passé), un privilège âprement conquis par certains. Pour ne parler que d'un temps relativement proche (et hors studios hollywoodiens) Truffaut, Rohmer ou Woody Allen ont réussi à concilier leurs exigences artistiques et la rentabilité économique de leur cinéma... mais parce qu'ils étaient parvenus à travailler comme des artisans, dans un esprit de "coopérative de cinéma". Sinon, Fellini ou Bresson ont immensément souffert de quantité de projets qui n'ont pas pu voir le jour, faute justement d'avoir trouvé cette équation.
Sinon, il faut beaucoup de chance (avoir la Palme d'Or dès son premier film) et avoir la confiance de stars (Clooney, Julia Roberts) pour qu'un Soderbergh arrive à altener ainsi films pour les studios et projets personnels. Quand on parle de "films de milieu", on a peut-être en tête cet exemple de cinéaste qui fait la navette. Mais le système français peut-il rendre ce genre de trajectoire possible ? Il reste que certains cas actuels (Jacquot, Winterbottom) laissent songeurs: comment arrivent-ils à enquiller autant de films (parfois tous les six mois) alors que leurs films n'ont quand même pas l'air d'intéresser grand monde ?

Écrit par : Joachim | 15/04/2008

Pour préciser les choses sur Nice, nous avons une cinémathèque ce qui aide beaucoup, mais elle a une mission de patrimoine. Jusque dans les années 80, il y a eu des salles plus ou moins indépendante qui proposaient des programmes complémentaires (reprises, films d'exploitation, art et essai). Elles ont toutes fermé. Nous avons un grand trou dans les années 90 puis ce sont les associations qui ont pris le relais depuis une dizaine d'années. Mais leurs moyens ne sont pas les mêmes et se pose aussi la question de l'argent public, là plus qu'ailleurs remis en cause. Donc beaucoup de films ne sortent pas. La dernière MJC en faisait d'ailleurs un programme intitulé "Les inaperçus".
Mon association programme donc des choses difficilement visibles, nous avons eu Vecchiali, Carpita, Imbert, Saleh, Lenoir, Boesflug mais aussi des gens comme Charlie Mars et pas mal d'expérimental. De mon expérience, si on arrive à faire venir des gens, le plus souvent ils apprécient et se fidélisent. Le tout est de les faire venir.
Sur la production, Joachim, oui, tout le système est encore valable, il existe avec des variantes depuis 1945 : aides directes, aides régionales, des villes, exonérations pour les gens qui investissent dans les soficas, aides au développement, etc. C'est la norme, même pour des films à-priori commerciaux. Mais il y a bien quelque chose qui coince depuis quelques années. Fellini est un bon exemple et ses ennuis ont commencé véritablement quand le cinéma italien (le système) a entamé sa dégringolade dans les années 70. Pour le reste, il y a eu et il y aura toujours de beaux projets qui resteront dans les cartons, même chez Spielberg. Et il y aura toujours des auteurs malins qui auront leur petit système et qui pourront tourner autant qu'ils le veulent (ruiz à une époque, ceux que vous citez). Jacquot, c'est effectivement un mystère parce que je n'ai jamais rien vu de lui et qu'il est un peu l'emblème des réalisateurs soutenus à bout de bras. Assayas ne manque pas d'ambition, quoique l'on pense de ses films.

Écrit par : Vincent | 15/04/2008

Au sujet du terme de "films du milieu" (qui ne me dérange pas plus qu'il ne me séduit), il y a déjà quelques temps je me suis fendu d'un petit article au sujet du cinéma coréen (parce que c'est ce qui m'intéressait sur le moment, et que je voulais aussi m'inscrire contre l'espèce d'engouement général, mais il est vrai que le même constat peut être fait en d'autres lieux) dans lequel je soutenais un peu le même genre d'idée : J'y parlais de cinéma de "l'entre-deux", ce qui maintenant encore me plait assez.
Le terme ne fait plus penser à "moyen" ou "médiocre", n'évoque pas davantage le "petit monde du cinéma" ou la famille mafieuse, et finalement exprime bien cette idée d'un cinéma faisant en sorte d'échapper aux carcans et aux conventions de la blockbusterisation d'un coté, de l'auteurisme de l'autre.

"Ambitieux" ne me semble pas particulièrement plus parlant que les autres termes proposés, il n'a que le défaut de sa qualité d'être valorisant. 'Astérix' est ambitieux car il brasse un budget énorme avec un casting international et une exploitation en salle à très grande échelle (oui, provoc'). Peut aussi être déclaré "audacieuse" la bouse expérimentalo-nombriliste d'un type qui se filmera à poil en se roulant dans boue pour en livrer un plan séquence qu'il passera en boucle pendant 4h30 (provoc' encore). Même si je vois parfaitement ce dont tu veux parler par "ambition" - et j'aurais du mal à soutenir le contraire - "ambitieux" a contre lui d'être peu définissable car trop subjectif (ou du moins facilement "subjectivable") et donc enclin à désigner tout et n'importe quoi dès qu'on souhaite le mettre en valeur.

(sans compter que d'un point de vue tout à fait personnel, parmi mes films de l'entre-deux j'aimerais soutenir des productions pas forcément ambitieuses non plus)

Écrit par : Epikt | 15/04/2008

Comme quoi, il n'est pas évident de trouver le mot juste. Je suis assez d'accord avec vos objections sur le terme "audacieux". Comme vous voyez ce que je veux dire, je ne vais pas développer plus avant. Juste que pour moi, "Astérix..." n'est aucunement ambitieux, il n'a que des objectifs économiques dont je me fiche. Pour le cas de la "bouse expérimentale", je précise que je comprends bien que l'ambition ne garantisse pas contre l'échec ou la prétention.
Finalement je proposerais de se rapprocher de la définition de Truffaut : " Je demande à un film d’exprimer soit la joie de faire du cinéma, soit l’angoisse de faire du cinéma et je me désintéresse de ce qui est entre les deux, c’est-à-dire les films qui ne vibrent pas." ce qui ne plaide pas, il est vrai, pour l'entre-deux. D'autre part, je ne sais pas si dans un rapport destiné à un ministre on peut parler de "films vibrants"
Mais je vous remercie aussi, outre le fait d'enrichir la discussion, de parler du cinéma coréen auquel je pensais. Ils ont mis en place un système public proche du notre et on a vu, malgré les critiques et les pression, combien il a donné de choses passionnantes.

Écrit par : Vincent | 16/04/2008

Je ne connaissais pas la phrase de Truffaut (il faut dire que son cinéma ne me passionne pas des masses)(honte et infamie sur moi !) mais je la trouve très intéressante. Et en effet, vu sous cet angle mon "entre-deux" a comme un arrière goût de mitigé, un cruel manque de radicalité.
Un vrai casse-tête que trouver un terme (qui devra en plus couvrir des oeuvres à priori très disparates, je conçois mal ce cinéma "vibrant" sans diversité).

Pour en revenir au cinéma coréen, il est intéressant à plus d'un titre. Ne serait-ce parce qu'on y trouve des bons films (un gros quart de ma DVDthèque étant composée d'import coréen j'aurais du mal à ne pas défendre ce cinéma ; même si je préfère le japonais), mais aussi et surtout comme modèle économique : intéressant parce que son système d'aide et de protection de la production locale est assez proche du notre dans l'idée, mais aussi parce qu'il évolue extrêmement rapidement.
Ainsi en quelques années (depuis 1996)(je préviens, c'est très grosso modo !) on a tout d'abord vu 5-6 ans de véritable ébullition, avec l'émergence de nombreux nouveaux talents et finalement une vraie ère du cinéma "de réalisateur" (j'aurais dit "d'auteur", mais sans la composante "auteurisante" péjorative qu'on peut y voir) qui a doucement glissé (avec la systématisation des méthodes de certains blockbusters, la main mise de plus en plus forte des grands groupes sur l'industrie) dans un système "de producteur" plus lisse artistiquement quoique très dynamique financièrement (contrepartie : inflation des budgets et difficulté accrue pour la production indé) poussant certains auteurs (Kim Ki-Duk en tête) à concentrer la diffusion de leur films sur l'étranger (donc les festivals, ce qui est aussi un formatage).
C'est cette situation que je dénonçais alors, et qui explique le terme "entre-deux". Mais il semble que mon propos est désormais périmé. D'une part économiquement l'industrie accuse un coup (tout relatif ^^) depuis 2006 (avec entre autres une baisse des ventes à l'export, au Japon notamment) ce que les chiffres de 2007 n'ont fait que confirmer (il y a même baisse) ; d'autre part il semble que mon entre-deux est en train de renaitre grâce à la démocratisation des caméras numériques HD.
Bref, à suivre - même on ne peut pas plaquer toutes les conclusions au marché français, il y a à mon sens des pistes à suivre et des enseignements à tirer.

Écrit par : Epikt | 18/04/2008

Vous vous entendriez surement avec un ami à moi qui anime un ciné-club sur Nice ( http://cinemasansfrontieres.free.fr/ ). C'est lui qui m'a initié au cinéma coréen avec une rétrospective que j'avais vue de courts métrages à Clermont Ferrand. je connais mal l'évolution récente de leur situation mais je me souviens que les USA avaient fait de grosses pressions sur le ministre de la culture, Lee Chang-dong (dont j'adore les films). c'est le même genre de batailles commerciales que celles qu'il y a eu autour de notre exception culturelle. Ce que j'en ai retenu, c'est que lorsqu'il y a une politique forte en faveur de la création dans un pays, cela produit des résultats. et lorsque que l'on dérégule pour se fier à la "sagesse du marché", ce sont les plus forts qui l'emportent. Vous avez raison de pointer le formatage résultant de ce que l'on appelle les films de festival. C'est le problème, entre autre, de Cannes qui sélectionne et récompense souvent des films qui ont de plus en plus de mal à se faire une place en salles ( au-delà de leurs qualités propres dont on peut toujours discuter). Il en résulte surtout un agrandissement du fossé entre ce type de cinémas et "le public" et ça ne me semble pas très bon.

Écrit par : Vincent | 21/04/2008

Il me semble que la dérégulation marche pas si mal lorsque que l'audience potentielle est grande (enfin, j'aurais du mal à le prouver et je ne sais même pas si c'est pertinent, mais c'est une idée qui m'est venue). Je pense aux USA biensur mais également au Japon (je connais très mal le cinéma indien qui pourrait peut-etre être un autre exemple, à peine plus le cinéma chinois qui demeure de toute façon un cas assez particulier). Les deux sont assez différents, mais finalement au milieu de plein de trucs commerciaux plus ou moins bien des productions très intéressantes se font leur place : les "plus forts" gagnent toujours, mais il y a une place ménagée pour les autres.
Mais pour les "petits" pays comme la France et la Corée (probablement encore plus pour les autres) l'intervention politique semble indispensable à une production dynamique et diversifiée. Ensuite, il y a différentes manière de s'y prendre, de mon coté je pencherais plus pour agir au niveau de l'exploitation (quotas, limitation des copies, ce genre de choses)(j'ai pas encore lu le fameux rapport, j'espère que la question est soulevée), ce qui a été la méthode coréenne - cela a d'ailleurs tellement bien marché que les bons résultats des films coréens (ces 10 dernières années, sauf en 2002 avec Le Seigneur des Anneaux et en 1998 avec Titanic tous les recordman au BO sont des films locaux) furent un argument décisif à la diminution des quotas d'exploitation en 2007 :(

Écrit par : Epikt | 22/04/2008

Vous avez raison de poser ce problème de l'audience. Sans être formel, je suis trop jeune pour avoir connu cette époque, je pense que dans les années 50/60, il y avait une audience plus large en Europe et donc un potentiel plus important pour donner leur chance à des productions plus originales. Sinon, les nouvelles vagues n'auraient pas percé. Mais les pratiques ont beaucoup changé, alors je ne sais pas trop. En Inde, je crois que les films d'auteur (on va dire comme ça) sont réservés plus ou moins à l'exportation, le reste est du cinéma populaire produit à la chaine que je connais mal aussi. Il semble que sur la masse, il y ait de belles choses, un peu comme dans le cinéma de Hong-Kong que l'on découvre aujourd'hui.
Reste que je partage votre opinion d'agir sur l'exploitation. Je crois que c'est là que ça coince. On voit que quand un film arrive à se faufiler entre les grosses sorties et qu'il est aidé un poil, il peut faire un succès, il faudrait donc se pencher sur les cas atypiques.

Écrit par : Vincent | 25/04/2008

Écrire un commentaire