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05/08/2007

14 amazones

Quand j'étais enfant, au début des années 70, je me souviens avoir vu passer le phénomène des « films de karaté » ou « kung-fu » sans avoir accroché à la chose. Dans les cours de récréation, il était presque impossible d'échapper à Bruce Lee. Installé à Nice plus tard, j'ai retrouvé les affiches criardes et les titres surréalistes dans l'ultime cinéma de quartier de la ville le Capitole / Capri (double salle de doubles programmes) qui proposait encore au début des années 80 deux films pour le prix d'un avec une programmation de films d'art martiaux type Il faut battre le chinois tant qu'il est chaud + Le roi du kung-fu attaque. Je n'ai jamais mis les pieds au Capitole. L'entrée n'était pas très engageante. La salle se situait à l'orée du vieux Nice, dans une petite rue entre les poubelles, une zone plutôt mal famée à l'époque. Les niçois l'appelaient « le cinéma des arabes » et il était d'usage de ne pas s'y balader le soir. A lire les souvenirs des vétérans des salles de quartier parisiennes, ça devait être très similaire.

C'est la revue Starfix qui m'a donné envie de découvrir ces films venus de Hong-Kong avec leurs articles sur La rage du tigre et Les griffes de jade. Hélas, désolation, j'arrivais après la bataille. La mode « kung-fu » avait passé, et le Capitole / Capri avait fermé. Les sorties étaient exceptionnelles et j'ai finalement fait mon initiation en 1984 avec Raining in the mountain du vétéran King Hu avec ses guerrières aux longues écharpes rouges. Depuis, le DVD étant une chose admirable, j'ai pu découvrir les fastes de la grande époque des Shaw Brothers et de la Golden Harvest. Et j'adore ça.

Refermons cette parenthèse biographique pour aborder 14 amazons (14 amazones ou Shi si nu ying hao en chinois) grand spectacle réalisé en 1972 par Kang Cheng. Cela se déroule il y a bien longtemps, quand la Chine était en proie aux invasions mongoles. Le clan Yang défend la frontière depuis des générations mais son armée tombe dans une embuscade et est décimée. Restées à la maison, quatre générations de femmes, mères, soeurs, épouses et filles apprennent les funestes nouvelles et décident de relever l'honneur de la famille. Elles montent une petite armée et partent affronter les envahisseurs pour venger leurs hommes. 14 amazons est le récit de leur épopée. On peut voir le film comme une version féminine du Heroics ones (Les 13 fils du dragon d'or – 1970) de Chang Cheh, grande fresque masculine avec le gratin des acteurs de l'époque, des figurants d'ici jusque là-bas, des batailles, du sens de l'honneur, de couleurs éclatantes, des supplices sadiques, du sacrifice et le triomphe final du Bien. On peut rajouter des effets gore assez graphiques et une relative difficulté à s'y retrouver parmi les nombreux personnages dont certains ne sont que des silhouettes. Le film de Kang Cheng réunit donc une imposante distribution féminine y compris pour le rôle du fils Yang Wen-kuang, joué par la jeune Lily Ho et qui lui vaudra un prix d'interprétation à l'époque. Je retiendrais parmi ces belles figures le personnage pivot de Mu Kuei Ying (la veuve du général Yang et mère du dernier mâle de la famille) joué par la belle Ivy Ling Po et la matriarche, la « Grande Dame » à laquelle toutes et tous sont dévoués, jouée avec dignité par Lisa Lu. Le film a tendance à se centrer sur les rapports entre ces trois générations, aux conflits d'autorité entre elles. La fougue de la jeunesse s'oppose à la sagesse des anciens, les désirs de vengeance d'une mère s'opposent à ceux d'une épouse, les prouesses physiques de l'une renvoient à l'âge de l'autre. La lutte pour le commandement des opérations est âpre mais se police par le sens aigu du respect des unes pour les autres. A noter dans la distribution masculine la présence de Lo-Lieh dans le rôle d'un prince mongol sadique au possible qui lèche le fouet sanglant qu'il vient d'utiliser sur une prisonnière. Pour le reste des acteurs, il conviendra de se référer à d'autres sites qui ont fait le tri bien mieux que moi.

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Le film est donc un magnifique péplum, un western asiatique, un film de chevalerie ou Wu xia pian exemplaire aux scènes d'action amples, nombreuses et souvent assez folles. La scène emblématique de 14 amazons est celle du pont humain. Poursuivies par l'armée adverse, l'armée des femmes doit traverser un pont suspendu sur un ravin. Le pont ayant été incendié, les amazones commencent par tenter d'éteindre les flammes en se roulant dessus. Une partie de l'armée passe mais le pont s'écroule et la sépare. Qu'à cela ne tienne, formant une pyramide humaine de chaque côté du précipice, nos héroïnes s'élancent dans le vide, formant une passerelle de corps sur laquelle passent les soldats. Il faut le voir pour le croire et y croire. C'est beau et sérieux comme tel exploit des chevaliers de la table ronde, d'Hercule aux enfers ou de Roland à Ronceveaux. Tout à soigner le côté spectaculaire de son film, Kang Cheng en oublie un peu, comme d'ailleurs nombre de ses collègues à l'époque, de faire attention à sa continuité. On passe ainsi d'un plan à l'autre d'un canyon aride à une forêt verdoyante, d'une colline à un ravin escarpé, des merveilleux décors de studio Shaw à de splendides extérieurs. Bref, un esprit par trop cartésien sera quelque peu dérouté par la poésie et la magie de tout cela. Ce qui est dommage.

Un autre aspect sans doute déroutant est la violence exacerbée du film. A croire que Kang Cheng a cherché alors à rivaliser avec les délires sanglants de Chang Cheh. Le film aligne une succession de mutilations graphiques, parfois surréalistes, contrastant avec le côté sérial, aventures adolescentes du film. Le sang coule et gicle avec régularité, allant jusqu'à éclabousser l'objectif comme le fera bien plus tard Steven Spielberg en filmant le débarquement de Normandie. La mise en scène déploie toute sa force et son inspiration dans ces séquences de batailles, jouant admirablement des couleurs des costumes pour se faire affronter les groupes de soldats, jouant des mouvements de ces groupes à la façon de grands ballets dans les espaces maitrisés des décors, le grand château du final en particulier.

Reste ce côté féminin du film qui na sans doute pas été étranger à sa ressortie en grande pompe (Cannes 2006, sortie en salles, édition DVD luxueuse par Wild Side). Il faut se rappeler (ou savoir) que le Wu xia pian est d'abord un cinéma populaire et qu'il plaisait beaucoup aux femmes comme le montre In the mood for love de Wong Kar-wai. Les grands studios ont toujours développé, aux côtés des héros virils, de belles héroïnes sabreuses dont l'emblématique Hirondelle d'or jouée pour King Hu puis Chang Cheh par Cheng Pei-pei. Le « féminisme » de Kang Cheng n'a rien d'original, il est même quelque peu hypocrite dans la mesure ou les dames d'épée restent dévouées corps et âmes à leurs seigneurs et maitres et si elles affrontent des hommes, elles ne remettent aucunement en question le pouvoir masculin sinon celui d'un mandarin corrompu. Mais vous l'aurez compris, cela n'a pas d'importance pour aimer ce film, symbole des fastes d'une époque révolue.

 

Pistes :

Un site très complet sur le film, pour s'y retrouver avec les actrices et acteurs.

Le DVD

Le film sur Cinémasie

Le film sur HK Mania

Le film sur Série Bis

Le film sur DVDrama (avec un portrait du réalisateur)

 

11:35 Publié dans Film | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : kang cheng |  Facebook |  Imprimer | |

31/07/2007

Le feu de la lanterne magique

Je ne suis pas venu facilement au cinéma d'Ingmar Bergman. Il avait pour moi une image assez austère. Pourtant j'avais aimé Fanny et Alexandre à sa sortie mais je n'avais pas accroché à celui que tant mettent si haut : Persona. Et je n'avais rien compris à L'heure du loup. Plus tard je découvris avec enthousiasme Le 7e sceau et quelques années après, à l'occasion d'un cycle assez complet, une quinzaine de films en deux mois. Ce fut un grand moment de ma « carrière cinéphilique » si j'ose ainsi m'exprimer. Un monde se révélait à moi et je tiens depuis lors l'essentiel de ses oeuvres entre la fin des années 40 et le début des années 60 pour ce que l'on peut voir de plus beau et de plus émouvant sur un écran. Je voudrais éviter de déballer les superlatifs d'usages et je ne me sens pas d'humeur pour une dissertation. Hier, en apprenant se disparition, j'ai ressentit une grande tristesse. A la projection de En présence d'un clown à Cannes en 1997, je m'étonnais déjà qu'il fut encore vivant. Je m'étais habitué à ce qu'il continue de vivre et de tourner, nous envoyant depuis Fårö un film, et puis un film encore. On aurait pu le croire immortel, comme un dieu de l'Olympe des cinéastes, retiré sur son île lointaine. Lui qui poursuivait son oeuvre, imperturbable dans un monde ou l'on avait empaillé la sienne par bêtise. Car on ne risque pas de diffuser Les fraises sauvages ou Cris et chuchotement alors qu'il y a a tant de beaux discours convenus à disposition pour ensevelir une oeuvre vivante sur les étagères des musées. Mais elle crie, cette oeuvre, elle se débat, elle est vigoureuse encore. Moi, j'aime les beaux films des années 50, ceux qui ont le noir et blanc luisant, perlé, ceux qui ont l'humour de Nils Poppe et l'insolence de Eva Henning. J'aime ses femmes, toutes ses femmes, Maj-Britt Nilsson, Harriet Andersson, la grande Eva Dahlbeck, Bibi Andersson, Ingrid Thulin, Liv Ullman, et Eva Henning ma préférée quand elle déambule en déshabillé dans la chambre miteuse de La fontaine d'Aréthuse. Plus qu'aucun autre, Bergman a su filmer le couple, filmer ce qui tient ensemble, ce qui parfois sépare, un homme et une femme. Ce n'étaient pas des films à voir pour moi à vingt ans. Ce sont des films que j'aime aujourd'hui. J'aime les été suédois, les reflets sur l'eau, les sombres quais des villes portuaires, les saltimbanques sur la falaise, le bois près de la source, Beethoven et Mozart, l'élégance du chevalier joueur d'échecs, la grâce des danseuses. Je reste réservé sur ses oeuvres plus âpres. Apres trois visions, je reste peu enthousiaste devant Persona même si je le comprends mieux. Je reste de marbre aux Communiants et je me suis toujours réjouis qu'il ait retrouvé, avec Mozart, de la légèreté des Sourires d'une nuit d'été. Alors je suis triste, un homme est mort et avec lui encore un peu d'une conception du cinéma de la plus haute exigence, exigence qui restait alors compatible avec le succès public. Une exigence si rare aujourd'hui, si fragile que l'on n'ose même plus la prendre dans les mains de peur qu'elle ne disparaisse tout à fait. Le cinéma de Bergman est vivant.

 

Post scriptum : je viens juste d'apprendre le décès de Michelangelo Antonioni. Vivement dimanche.

30/07/2007

Tristesses