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05/12/2007

Luc Moullet, théoricien

Autant l'avouer d'emblée, je connais très mal le cinéma de Luc Moullet. Je n'ai vu que son petit bijou de court-métrage, Essais d'ouverture, tourné en 1989 et dont l 'humour glacé et sophistiqué me ravi. Ce handicap même renforce ma détermination à participer à la croisade du bon Dr Orlof : oui, nous voulons voir les films de Luc Moullet en salle. Oui, nous voulons répandre son nom et son oeuvre sur la terre de France, vers l'infini et au-delà. Oui, nous voulons qu'il prenne place en première partie de soirée sur les chaînes de télévision publiques. Oui, nous voulons que le bruit médiatique de « Luc+Moullet » dépasse celui des Luc non Moullet voire des Moullet non Luc. Aussi, répondant à l'appel du Dr Orlof, je joins mes forces à cette noble entreprise « Et sans trêve ni repos, j'irais cherchant l'Eldorado ».

 

Il faut dire que l'homme force la sympathie et que je lui dois beaucoup. Parmi les cinq ou six livres sur le cinéma que j'ouvre, lis et relis fréquemment, il y a celui qu'il écrivit en 1993 : Politique des acteurs (éditions des Cahiers du Cinéma). A l'époque, quand je l'ai acheté, je ne savais pas qui était Luc Moullet. Il paraît que c'était alors son retour à la critique. Mais je m'en fichais bien, le livre proposait une analyse du travail de quatre de mes acteurs fétiches : Cary Grant, James Stewart, Gary Cooper et, surtout, John Wayne. Or pour une large majorité de cinéphiles de la fin des années 60 au milieu des années 90, l'acteur de cinéma dans toute sa splendeur c'est plutôt Robert De Niro, Dustin Hoffman ou Gérard Depardieu. L'acteur classique, hollywoodien de surcroît, n'est guère estimé. Au mieux, il a droit à un statut d'icône façon Bogart. Je caricature à peine. Sur la bande des quatre, Stewart est sans doute le mieux loti de part ses prestations torturées chez Mann et Hitchcock. Et puis il a fait du théâtre comme Henry Fonda et c'est bien vu. Mais les autres, ceux dont le jeu si cinématographique ne se voit pas, sont aimés sans être bien étudiés, ni compris.

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Moullet est plus perspicace. Armé d'un magnétoscope, d'un oeil neuf affûté et d'un esprit vif, il décortique l'essence du jeu de ses sujets d'expérimentation, quatre univers passant surtout par l'expression corporelle, et y rattache des thématiques déclinées d'un réalisateur à l'autre. Il dessine ainsi quatre oeuvres cohérentes et belles. Intuition géniale !

C'est Cary Grant et son travail sur les lignes de son corps, cassé, tendu, courbé, figé dans le mouvement, élans interrompus et toujours repris, comparables en cela à ceux d'un Buster Keaton. C'est le visage minéral (comme l'a écrit JLG) de Gary Cooper, bloc héroïque autour duquel tendent tous les autres éléments du film. Travail d'épure du geste et de l'expression. Art sublime du sentiment donné par un sourcil relevé. C'est James Stewart et ses jeux de mains magnifiques dont la richesse nous est révélée. Ses nombreuses trouvailles en matière de diction : cris, bredouillement, paroles cassées par la colère, l'enrouement, la nourriture (il serait le premier à avoir dit son texte en mangeant dans un film). C'est enfin, et surtout pour moi, une étude renversante sur le jeu de John Wayne. « Je ne savais pas que ce fils de pute pouvait jouer » avait dit John Ford en voyant Red River de Howard Hawks en 1946. Wayne avait quand même cinquante balais. Un jeu qui apparaît aujourd'hui comme étonnamment moderne par son économie et sa finesse. Et ce bassin de JW ! Cette façon de bouger comme un danseur ou comme un grand chat. Moullet décrit ici en des passages exaltants une oeuvre inédite autour de la décrépitude construite à trois : Ford, Hawks et Wayne. Les deux premiers à partir de Red River se renvoyant le troisième à travers autant de variations sur la vieillesse et le temps.

Qu'est-ce qu'un grand critique de cinéma sinon quelqu'un qui vous propose des clefs pour une oeuvre et, mieux, vous suggère une nouvelle façon de la voir ? C'est le travail de Truffaut sur Hitchcock, de Ciment sur Kubrick. A cette aune, Luc Moullet est un grand critique. Je ne vois plus un film avec James Stewart de la même façon depuis son livre. Je rive mon regard sur le bas de l'écran et suit le ballet de ses mains expressives et peste contre les sous titres qui me gênent parfois. Rasséréné désormais dans mon amour immodéré pour le « Duke », je suis devenu plus sensible à la dimension de comédie délicatement amère chez Ford et Hawks. Je me régale de la musicalité de scènes que j'avais déjà vues dix fois. Je trouve des motifs d'enthousiasme dans des films mineurs auxquels le jeu de Wayne donne des connivences secrètes avec les films des grands maîtres.

Luc Moullet, avec sa politique des acteurs, a rafraîchît mon regard et je l'espère, l'a élargit. Pour cela qui n'est pas rien, merci monsieur Moullet.

 

Le livre

Commentaires

Pour les Parisiens, "Anatomie d'un rapport" passe lundi soir prochain au Studio des Ursulines, suivi d'une presentation avec une bonne partie de l'équipe du film.

Écrit par : Joachim | 05/12/2007

Les parisiens ont bien de la chance/ Merci pour l'information. Il semble, après quelques recherches, que les films de Moullet passent assez bien dans le réseau des festivals. J'y reviens rapidement.

Écrit par : Vincent | 05/12/2007

Quand Moullet est venu dans ma ville présenter "le prestige de la mort", il a fait toute une digression savoureuse sur sa "Politique des acteurs" que je n'ai pas lue. Il fallait le voir imiter la gestuelle de Stewart ou de Grant : c'était à la fois très drôle et passionnant.
Les quelques textes que j'ai lus de lui dans les "Cahiers" possèdent toujours le charme iconoclaste de ses films. Je me souviens d'un article où Moullet expliquait les oeuvres des cinéastes français par...leurs origines géographiques! (un cinéma du sud-ouest, un cinéma nordique etc.) C'est vraiment un personnage.
Ton texte sur son livre est superbe : merci d'avoir pris le relais dans ma grande croisade ;-)

Écrit par : Dr Orlof | 05/12/2007

J'ajoute que dans les années 90 (ça devait être entre 1993 et 1996), Moullet tenait une double page dans "les Cahiers", de loin les meilleures de chaque numéro: vrai bonheur d'écriture fureteuse, curieuse, érudite, subjective et établissant bon nombre de parallèles surprenants mais argumentés. Un blog avant l'heure en somme.

Écrit par : Joachim | 05/12/2007

Synchronicité. Je découvre qu'une analyse de Luc Moullet figure en bonus de ce DVD:
http://www.bachfilms.com/dvd.php5?dvd=1180&PHPSESSID=8ddd275efefefcebdf319854b8555abe
Ce film est tiré d'une pièce de J. M. Barrie, l'auteur de Peter Pan, qui connut un gros succès en son temps.
B

Écrit par : Breccio | 06/12/2007

Cher Dr, je m'amuse beaucoup à chercher du Moullet sur Google. Je pense que je vais craquer pour le superbe coffret de ses films même s'il est difficile à trouver. Je reviendrais alors sur ses films après les fêtes.
Ah, et je suis tombé sur un extrait hilarant de "Les sièges de l'Alcazar sur Youtube.

Joachim, si je remets la main dessus, j'avais trouvé un article de Moullet sur Cuckor. Peut être ses textes seront-ils repris en recueil un de ces quatre. Il a également fait un bouquin sur Fritz lang dont je suis très curieux.

Breccio, j'espère que vous allez bien. Nous sommes liés par les coïncidences cinéphiliques, ça me ravit.

Écrit par : Vincent | 07/12/2007

Excusez-moi, où se trouve cet extrait des Sièges de l'Alcazar ?
Les recherches "luc moullet" ou "Les sièges de l'Alcazar" ne donnent rien sur youtube.

Bien à vous.

Écrit par : Blezel | 11/12/2007

Me voilà bien ennuyé, je suis tombé dessus par hasard et je n'arrive pas à le retrouver non plus. J'aurais du vous donner le lien. Si quelqu'un retrouve cet extrait...

Écrit par : Vincent | 12/12/2007

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