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07/09/2006
Sur le ring
Approchez, venez voir ! La combat de l'année si ce n'est du siècle ! Une nouvelle version mise au goût du jour de l'éternelle querelle des anciens et des modernes ! Deux cinéastes, deux hommes engagés et enragés mais dans deux directions aussi opposées que possible. Avec du sang, des larmes, de la guerre et des beaux paysages, approchez !
A ma gauche, Ken Loach dit l'ange rouge du Warwickshire, 60 ans, 24 films, sujet britannique, cinéaste marxisant, de gauche, antilibéral, altermondialiste, anti-impérialiste, humaniste. L'ami des enfants maltraités, des chômeurs écossais, des cheminots anglais, des anarchistes espagnols et des révolutionnaires irlandais. Académique, didactique, donneur de leçon, démonstratif, lourdingue, pépère sur la fin. « ce n'est pas un cinéaste mais quelqu'un qui se sert du cinéma pour faire passer un discours » dit un de mes amis. « Mais quand même, parfois, il trouve quelque chose » ajoute-t'il. Aime à filmer les groupes, les discours politiques, l'action révolutionnaire et la guérilla. Ken Loach qui se présente à vous avec Le vent se lève, l'horreur de la guerre fratricide en Irlande en 1920 – 1921 avec vertes collines, cottages, ignobles black-an-tans, anglais colonialistes, tortures, ongles arrachés, exactions, tabassages, coups de main, quasi scalp de l'héroïne, chaste baiser dans un grenier et exécution en famille.
A ma droite, Bruno Dumont dit le bourreau de Bailleul, 48 ans, 4 films, français du nord, cinéaste total, enseignant en philosophie, catholique, mystique, réaliste jusqu'à la crudité, maître du champ, du contrechamp, du hors champ, du chant du monde et de St Jean la Croix-des-Champs. L'ami des prénoms impossibles, des plans séquences, des paysans de sa Flandre natale, des jeunes taiseux, des flics timides, des acteurs non-professionnels et d'une certaine idée du cinéma américain. Lent, lourd, réactionnaire, roublard, impossible, provocateur, posant problème. Il aime citer Cézanne qui peignait la Sainte Victoire pour réfuter l'idée de morale dans son dernier film où il met en scène un viol collectif. Il est, selon certains de ses admirateurs, l'un des seuls sinon le seul en France « qui prenne encore le risque de la mise en scène ». Il a pour d'autres une « vraie proposition de cinéma ». Bruno Dumont qui se présente avec Flandres, de jeunes hommes qui partent pour une guerre indéterminée aux accents bien réels, une jeune femme qui les attends; avec viol collectif donc, castration, patrouille décimée, hélicoptère, exécutions, grands champs du Nord, arbres sur l'horizon façon Tarkovski, coïts, internement psychiatrique et amour fou.
A ma gauche la palme d'or, à ma droite le prix spécial du jury. Deux conceptions du cinéma (n'en déplaise au second), deux conceptions de l'humanité (n'en déplaise au premier). Et un match critique qui se révèle passionnant quelque soit le partit que l'on en prenne. Approchez, venez voir !
(L'aboyeur précise qu'au moment ou sont écrites ces lignes, il n'a toujours pas vu Flandres et que les éléments du portrait proviennent des nombreux entretiens du cinéaste. Ceci n'ôtant rien à l'intérêt qu'il éprouve pour tout cela).
23:30 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : cinéma, critique | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Je m'aventure peut être, d'autant plus que je n'ai pas vu Flandrs (mais j'ai beaucoup entendu parler son réalisateur), mais voilà: Loach un film particulier qui tend vers l'universel, Flandrs, un film universel (pas d'inscription contextuelle) qui ouvre sur le particulier???? Peut être est ce là pure rhétorique!!!
Écrit par : el pibe | 08/09/2006
Vu Flandres et le Vent se Lève.
j'en resterais à la nature. Loach film la nature irlandaise comme jamais je ne l'ai vu auparavant. Loach aime la nature, Kes en est l'exemple le plus frappant.
Dumont film la nature du nord comme une vision cliché d'un parisien: c'est glauque et froid. Dans le nord on s'ennuie, on se fait chier et on part en guerre.
Du reste j'aurais donné la palme d'or à Dumont, au niveau du cinéma y a pas photo il remporte le match au la main.
peut être lorsqu'il aura 73 ans...
Écrit par : L'Anonyme de Chateau Rouge | 10/09/2006
Bonjour Vincent,
Je ne vais pas répéter ce que j'aie dit dans mes notes (merci pour le lien) mais juste revenir sur une petite chose qui me semble fausse : le prétendu "catholicisme" de Dumont (en 4 films, il a réussi à s'attirer ce lieu commun critique à l'instar de Chabrol et sa prétendue "paresse"! Chabrol paresseux! alors que c'est certainement un des cinéastes qui réfléchit le plus à ses films en France!).
Il n'y a, à mon sens, pas la moindre trace de religiosité dans "Flandres" (il fallait entendre, au "Masque et le plume", le bedeau de Télérama s'acharner sur le film dont il déteste "la vision du monde"). Mais parce que Dumont cherche à transcender le naturalisme, on veut lui coller l'étiquette de mystique. Ca me paraît un peu court. J'y vois plutôt un cinéaste qui osculte l'humanité mais en se débarrassant de la psychologie et de la sociologie pour atteindre le vif du sujet, la chair et le coeur... C'est mal dit mais je n'ai pas le courage de développer...
Écrit par : Dr Orlof | 11/09/2006
Bonjour à tous,
El Pibe, je suis entièrement d'accor avec ta rhétorique. Je crois que, parmi tout ce qui les sépare, il y a la volonté affichée de Dumont de se libéréer du réel et de créer une sorte d'espace cinématographique personnel, une allégorie pour reprendre l'expression de Pierrot. Loach, lui, au contraire, inscrit son cinéma dans un contexte historique, social et politique très précis, sans doute en partie à cause de son expérience documentaire mais aussi d'un souci proche aux marxistes (les leçons de l'histoire etc.)
Anonyme, je ne suis pas très fort pour les palmes et les décorations, tu t'en doutes !C 'est marrant ta réflexion sur la façon de filmer la nature parce que Loach est anglais et citadin et que Dumont est bel et bien né dans les paysages qu'il filme. Ceci dit pour l'Iralnde de Loach, je suis d'accord. Il n'y a que Boorman et Ford qui l'ait filmée avec autant de talent.
Pierrot, les deux portraits un peu ironiques de nos deux réalisateurs sont construits sur ce qui s'entend le plus souvent sur leurs personnes. Je ne sais pas si Dumont est catholique, mais quand on titre un premier film "la vie de Jesus", ce n'est pas innocent. Sur le côté mystique, ça dépend comment on prend le mot. C'est un peu comme "marxiste", tu peux le prendre comme un compliment ou une critique. Personnellement, ce que je connais de son cinéma m'incite à la rattacher aux mystiques dans le sens ou il se précoccupe d'un niveau spirituel effectivement dégagé du social et du politique. Je développerais avec plaisir mais je pense ne voir le film que le prochain week end.
Écrit par : Vincent | 12/09/2006
Peut-être qu'en expliquant un peu plus mon point de vue, mon commentaire ne disparaitra pas ; )
Le gros problème de Flandres me semble de vouloir désincarner au maximum l'humain (pas de paroles, pas d'arrière plan référentiel etc) alors même que le film se veut une réflexion sur l'humain, sur son existence corporelle et sa condition de créature souffrante. Le film tend trop radicalement vers l'abstraction si bien que le langage cinématographique me semble tourner à vide... pour tout dire, j'ai l'impression que dumont dévoile une vision hypersimpliste de l'humain (notamment pris dans la guerre, les scènes sont d'ailleurs toutes plus ou moins un discours du cliché..)... Sur le ring, pour moi, la générosité et l'intelligence de Loach mettent aisément dumont KO...
Écrit par : el pibe | 19/09/2006
Je ne fais jamais disparaître un commentaire, aussi bref soit-il, El Pibe. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt ton texte sur ton blog. Hélas je vais devoir différer mon opinion, le film est déjà retiré de l'affiche à Nice et je n'ai pas eu le temps de le voir. Je dois attendre une éventuelle reprise dans une petite salle art et essais. Néanmoins, mon instinct m'incite à penser que ma position sra fort proche de la tienne. A suivre...
Écrit par : vincent | 19/09/2006
Pas de problème! Le destin de films comme Flandres est en effet de disparaître rapidement de l'affiche... Néanmoins, je crois qu'il valait mieux privilégier le Loach, oeuvre importante dont "l'académisme" dérange certains et qui traduit selon moi une humilité et une distance parfaitement adaptées à son contenu!
Écrit par : el pibe | 20/09/2006
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