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L'Art de Ford

Quelque chose que j'aime bien avec les blogs cinéma, c'est qu'au fil des lectures et des discussion, non seulement on peut découvrir de nouveaux films mais encore avoir envie d'en revoir certains que l'on pensait bien connaître et qui nous sont tout à coup présentés sous un jour tout à fait différent. On peut ainsi réévaluer tel film que l'on n'avait pas aimé où se retrouver impuissant à défendre tel autre.

C'est ainsi que l'autre jour, j'ai été pris de l'irrésistible envie de revoir Rio Grande, le film de John Ford, suite à une note plutôt assassine de Tepepa. Outre que je me suis surpris moi même du côté impérieux de cette envie, je me suis bien trouvé de l'expérience puisque je crois n'avoir jamais autant apprécié le film. Je dois avouer que j'étais resté, depuis ma dernière vision il y a quelques années, sur une impression assez proche de celle du chroniqueur. Et puis là, balance, j'ai découvert des tas de petites touches éminemment fordiennes qui m'ont ravi.

Le film résulte à la base d'un arrangement entre Ford et Republic Picture qui accepta de donner le feu vert au réalisateur pour faire L'homme tranquille à condition qu'il leur livre un western avant. La « trilogie de la cavalerie » qui comprend Le massacre de Fort Apache en 1948 et La charge héroïque en 1949 est donc une trilogie par nécessité. Rio Grande est tourné assez vite entre juin et juillet 1950 pour une sortie en octobre, ce qui laisse rêveur sur les délais de l'époque. Le film est assez mal aimé, tenu comme le plus faible de la série. Il y a pourtant la troupe de Ford, les thèmes de Ford et le style de Ford. Il est clair que le réalisateur avait déjà la tête en Irlande à préparer son projet suivant qui lui tenait tellement à coeur. Il a envisagé le film comme une récréation, injectant des séquences musicales et de comédie par simple plaisir et négligeant les réflexions philosophiques et historiques qui avaient donné leur poids aux deux opus précédents. Revenant au noir et blanc de Bert Glennon dans Le massacre de Fort Apache et Wagonmaster, il ne renouvelle pas non plus les fulgurances de la photographie en couleur de La charge héroïque.

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L'intérêt du film est ailleurs. Ford a utilisé ce film de commande pour s'entraîner à réaliser L'homme tranquille. Rio Grande, c'est l'histoire d'un couple qui se crée et d'une famille qui se reforme. Le couple est un couple de cinéma, Rio Grande c'est la rencontre de John Wayne, le déjà mythique (dans le rôle d'un colonel nordiste luttant contre les apaches) et de Maureen O'Hara, la rousse la plus explosive (dans le rôle de sa femme sudiste). Ils se sont séparés voici 15 ans parce que le colonel, obéissant aux ordres, a brûlé la plantation familiale de sa femme. Elle lui en veut bien sûr à mort. Ils ont un fils. Le fils après avoir échoué à West Point vient de s'engager dans les troupes de son père. La mère revient pour le reprendre. Voici pour l'enjeu familial. Ford était assez angoissé à l'idée de tourner une simple « histoire d'amour entre adultes » comme il définissait L'homme tranquille. Le voilà donc qui teste son couple dans ce film sensément d'aventures, observant comment fonctionne l'alchimie des corps, les jeux de regards, les frôlements de doigts. Et ça fonctionne. Les deux grands acteurs créent un ensemble de moments intenses qui sont du meilleur Ford et qui seront poussés à leur paroxysme l'année suivante. Par exemple le baiser, premier baiser passionné depuis 15 ans : Wayne revient d'une mission de secours épuisante. Il pénètre dans sa tente, c'est la nuit. Il allume une lampe à pétrole et, à peine au fond de la tente, quasiment tapie dans l'ombre, la silhouette de O'Hara se devine, il se tourne, éclaire ses yeux, elle a les lèvres qui tremblent et ils se jettent fougueusement dans les bras l'un vers l'autre. Pas un mot n'est échangé, c'est tout l'art du cinéma muet, l'art du cinéma pur.

Plus célèbre, il y a cette scène dans laquelle Wayne et O'Hara ont dîné ensemble le soir même de l'arrivée de la femme. Jusque là, c'est fleurets mouchetés. La fanfare de la troupe vient leur donner la sérénade. Ils chantent I'll take you home again Kathleen, chanson irlandaise traditionnelle (mais il parait qu'elle a été écrite par un allemand !) dont la traduction est : « je te ramènerais à la maison, Kathleen ». Elle s'appelle Kathleen. Elle est troublée mais on sent qu'elle apprécie, il apparaît un peu de buée sur ses yeux. Ca dure. Il ne sait plus où se mettre tellement il pense se faire rembarrer. Il se tortille; légèrement en retrait, il n'ose la regarder, attendant l'orage. C'est du grand Wayne, digne de James Stewart quand il joue les embarrassés. Mieux encore, parce qu'il est John Wayne quand même. Finalement il se lance « Je ne suis pour rien dans le choix de cette chanson ». « C'est dommage, Kirby, ça m'aurait fait tant plaisir ». Et j'imagine Ford, son mouchoir aux lèvres, assis sous la caméra, jubilant intérieurement en se disant « ça marche, bordel, ça fonctionne ». Ce sont de grands moments. Voilà, c'est ça Rio Grande, la naissance d'un couple de cinéma qui fonctionne. Le reste, bien sûr, ne peut pas faire le poids. La problématique avec les indiens, Ford l'a déjà traité, ce n'est pas le lieu, il s'en contrefiche. Du coup certains ont trouvé ce film raciste ce qui est idiot. Les scènes d'actions sont bien emballées, le final est quasi abstrait, mais Maureen O'Hara n'y est pas alors on se dépêche de retourner au fort, avec un Wayne blessé. C'est sa contribution à l'équilibre familial puisque elle, elle pardonne et reste finalement.

Un dernier petit truc que je n'avais jamais remarqué. Wayne a une conversation avec son fils qu'il n'a plus vu depuis 15 ans lui aussi. C'est militaire. Quand le fiston sort, Wayne repère un trou dans sa toile de tente et s'en sert pour évaluer la taille de son rejeton. Il a alors un petit éclair de fierté dans l'oeil.

Le DVD

Le Bouquinde Patrick Brion que je viens de terminer. Joli pavé avec beaucoup d'illustrations.

Photographie : Speakesy.org

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John avant Wayne

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Le premier livre de cinéma que j'ai acheté est celui d'Allan Eyles consacré à John Wayne. A l'époque, la partie la plus intrigante était celle couvrant la période des années trente, entre le faux départ de The big trail (La piste des Géants) de Raoul Walsh en 1930 et la révélation de Stagecoach (La chevauchée fantastique) de John Ford en 1939. Le film de Walsh, ambitieux et onéreux, n'avait pas marché et la faute en était retombée sur les épaules déjà massives de son juvénile interprète (il a alors 22 ans). Du coup, notre homme retombe de seconds rôles en figuration intelligente. Il ira même jusqu'à doubler un cadavre. Surtout, il enchaine à un rythme d'enfer des westerns de série B et des serials produits à la chaîne par les petites sociétés de production de Poverty Row, tels que la Mascott ou la Monogram. Le bouquin de Eyles mentionnait ces films avec de très belles photographies mais je n'imaginais pas les découvrir un jour. Aujourd'hui, nombre d'entre eux sont disponibles, trop souvent dans des copies atroces (colorisation, doublage moderne), et parfois ils font partie du domaine public. Les voir, c'est plonger dans un cinéma quasi primitif, encore très influencé par la période muette, feuilletonesque, romanesque, basé sur l'action et le mouvement des corps. Les récits sont linéaires, un peu moins d'une heure. Souvent, il n'y a de la musique que sur les génériques de début et de fin, il y a de longues plages de silence et des bruitages rudimentaires. Les mises en scène carrées et fonctionnelles sont l'œuvre d'obscurs exécutants comme Robert N. Bradbury, Henry Fraser ou Mack V. Wright, interchangeables, qui qui peuvent ici et là réserver de petites surprises. L'ensemble dégage pourtant un certain charme à l'occasion.

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John Wayne, lui, et c'est le plus fascinant, nous le voyons apprendre à devenir John Wayne. On le découvre jeune, capable de jouer sur des registre comiques, remarquable cascadeur (c'est après tout sa formation initiale avec Ford), gagnant rapidement de la crédibilité physique. Nous le voyons devenir à l'aise avec ce corps massif, apprendre à se tenir, à marcher, à regarder ses partenaires, à tester ces expressions qui feront, plus tard, son style et sa gloire. 

The telegraph trail est un western réalisé en 1933 par Tenny Wright pour Leon Schlesinger et la Warner Bros., ce qui ne l'empêche pas de s'apparenter à ceux de Poverty row. C'est le dernier des quatre films de Wright qui ne laisse qu'un souvenir fort diffus, et le quatrième d'une série de six où Wayne joue des héros appelés John aux côtés d'un beau cheval appelé Duke, ce qui ne manque pas de piquant, Duke étant le surnom habituel de Wayne. Ici, Il est John Trent, amené à remplacer son ami tué par les peux rouges alors qu'il construisait une ligne télégraphique. « Les diables rouges » dit Wayne avec cette expression de rage froide bien connue. Un étonnant travelling avant s'approche de lui sur cette réplique, anticipant celui, fameux, que Ford fera dans Stagecoach. C'est d'ailleurs le seul mouvement d'appareil notable. Bon, il y a l'idée, mais il manque la manière et ce n'est pas abouti. John prend donc en main le chantier et l'enquête. Il est beau et en impose en meneur d'homme. Il se révèle moins à l'aise dans certaines parties dialoguées et nous verrons son regard perdre sa concentration quand il écoute un partenaire. Mais quelle prestance déjà, avec sa jolie veste à frange claire ! Son expérience de cascadeur est notable dans toutes les scènes d'action. Clou du film, Wayne se déguise en indien, torse nu et coiffe de plumes, une vision qui justifie à elle seule de voir le film. Avec le personnage féminin, c'est plutôt drôle aussi. L'héroïne, jouée par Marceline Day, lui saute au cou pour éviter un mariage forcé et déclenche une véritable panique chez notre héros. Plus tard, ça s'arrange d'autant que Day est pleine d'énergie et de fantaisie, plutôt mieux que nombre d'actrices du même registre. Pour mémoire, il y a une jolie scène où Wayne joue de l'harmonica avec son équipe, au bivouac. Il sait tout faire.

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Une part du charme du film tient à son interprétation. Day achevait ici une carrière commencée comme Bathing Beauty pour Mack Sennett, elle avait joué pour Tod Browning et surtout aux côtés de Buster Keaton dans The cameraman (1928). Wayne est flanqué de deux faire-valoir à l'humour d'époque, Franck McHugh, acteur pour Walsh et Hawks, ami et partenaire de James Cagney, et Otis Harlan passé à la postérité pour avoir fait la voix du nain Joyeux dans le Blanche-Neige de Disney. Le duo combat les indiens en vidant force bouteilles, croyant abattre les ennemis par paquets de 4 ou 8, ce qui donne lieu à un joli effet optique. Le méchant est joué par Albert J. Smith qui a des faux airs de Lee Van Cleef, c'est lui qui manipule la tribu menée par Yakima Canutt. Canutt est un des grands cascadeurs hollywoodiens, doublure attitrée de Wayne (c'est lui qui saute de cheval en cheval dans Stagecoach), et réalisateur de seconde équipe sur des productions prestigieuses. La course de chars du Ben Hur de William Wyler en 1959, c'est lui (avec Andrew Marton).

Telegraph trail est mené à toute vitesse, les scènes d'action sont même accélérées. Mais cela reste assez plat. Pour relever, Tenny Wright mêle à son métrage des extraits de The red raiders (1927) d'Albert S. Rogell avec Ken Maynard. Le contraste est saisissant parce que le film muet a visiblement plus de moyens (camp indien crédible, figuration imposante), et les indiens y sont joué par de vrais indiens, dégageant un bel aspect documentaire. Le passage du pow-wow est un grand moment de montage patchwork entre les plans de Rogell et les indiens d'opérette de Wright. Tout cela est bien agréable.

Affiche Wikipedia, photographies : capture DVD Warner Bros

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Ford à l'Institut Lumière

L'année John Ford se poursuit avec la rétrospective qui lui est consacrée à l'Institut Lumière de Lyon. Elle s'est ouverte le 31 août et se poursuivra tout l'automne. Je vous recommande la visite de leur site, en particulier le téléchargement gratuit de leur revue Rue du film avec le programme complet, plein de photographies superbes (voyez John Wayne page 13 et défaillez de bonheur), ainsi que des reproductions d'affiches qui illustrent l'exposition que les heureux visiteurs de la cité des Gaulles pourront aller visiter. Pour ce qui est de la sortie du livre de Bogdanovich, je ronge mon frein mais elle est encore repoussée. Du moins, le livre n'a pas atteint les librairies niçoises.

Je profite de l'occasion pour remercier chaleureusement 4roses pour ses liens audio, je vous laisse celui-ci (France Culture) encore actif. Et pour célébrer tout ceci dignement, une petite galerie d'affiches (source : l'indispensable site Carteles).

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02/09/2007 | Lien permanent

Ford par Vecchiali

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"GRANDEUR. Grandeur du regard. Grandeur des sentiments. Grandeur de l’homme face à l’adversité. Grandeur de la femme face à la sauvagerie. Grandeur de la nature, symbole de liberté avec ses pièges sournois."

Paul Vecchiali repris sur La Furia Umana via O signo do Dragao

Photographie : source House of Mirth and Movies

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07/04/2010 | Lien permanent

John Wayne, l'homme et l'oeuvre

John Wayne, l'Amérique à tout prix (2019), un film de Jean-Baptiste Pérétié

Le récent documentaire de Jean-Baptiste Pérétié consacré à John Wayne, diffusé sur ARTE il y a peu, m'a pas mal agacé. Il me semble symptomatique d'une tendance de plus en plus lourde qui consiste à exposer les zones d'ombres de tel ou telle pour lire leur travail à travers une grille contemporaine de valeurs, morales, politiques, éthique ou ce que l'on voudra. Partant de là, il s'agit de lier l'homme et l’œuvre (pouf, pouf) d'une manière si étroite qu'elle conduit à disqualifier la seconde et donne prise à des actions de censure de plus en plus agressives et radicales comme les déprogrammations ou les retraits en librairie. En attendant quoi ? Un bon autodafé des familles ?

Je pense qu'il est toujours intéressant de connaître la vie des créateurs et de voir comment elle peut éclairer certains aspects de leur œuvre. Il ne s'agit pas de s'aveugler. Mais je crois aussi qu'il faut être très prudent et très rigoureux dans la façon dont cette articulation est faite. Et surtout il ne faut pas en faire l'alpha et l’oméga de l'analyse. J'y vois plusieurs problèmes. Le premier, c'est celui du contexte. Je ne suis pas historien, mais il me semble que si l'on ne prend pas en compte la complexité d'une situation historique, il est délicat d'en tirer des conclusions définitives sur les actions d'une personne. Il y a ensuite la tentation d'instrumentaliser le passé pour mener des combats actuels, quand bien même ceux-ci seraient légitimes, ce qui conduit trop souvent à tordre le bras aux faits.

john wayne,jean-baptiste pérétié

Ce qui me gène peut être le plus, c'est la place que l'on réserve au spectateur, souvent mis de côté et dont l'intelligence comme le libre arbitre sont niés. Quand le spectateur c'est moi, il est naturel que ça m'agace. Je crois absolument que ce qui se joue entre la création et celui qui la reçoit est plus important que les intentions de son créateur. Non qu'il faille les ignorer, c'est important, mais pas indispensable. On sait depuis Frankenstein que la créature finit toujours par s'échapper. Il est donc possible de voir et aimer (ou pas) un film sans rien connaître de son auteur, de son sexe, de sa nationalité, de sa religion ou de la couleur de sa peau. On le passe alors au filtre de sa propre expérience, de sa sensibilité ou de son sens de la poésie, et c'est bien comme ça. Que John Ford ait été catholique, Loïs Weber une femme, ou que Steven Spielberg soit juif n'est jamais entré en compte dans l'admiration que je voue à leurs films (même si je peux en percevoir les signes). Je déteste ceux de Michael Haneke sans rien savoir de lui, sinon qu'il est autrichien, et c'est peut être une personne charmante.

La personne, parlons-en. Ce genre d'approche par catégorie qui voudrait nous faire entrer dans des cases me semble impuissante à rendre compte de la complexité d'un être humain. Nul n'est parfait, plus ou moins selon le cas, mais c'est comme ça. Nous sommes pétris de défauts et de contradictions qui peuvent, en matière d'art, se révéler un moteur majeur de la créativité. Pour un acteur, au cinéma en particulier, la façon dont un réalisateur peut jouer de ces éléments est fascinante.

Pour en revenir à John Wayne, c'est Jean-Luc Godard qui écrivait : « Comment puis-je haïr John Wayne (...) qui soutient Goldwater et l'aimer tendrement quand il prend brusquement Nathalie Wood dans ses bras dans l'avant-dernière bobine de La Prisonnière du désert ? »*. Tout ce qui est important chez John Wayne acteur est là, tout ce qui est à retenir et qui restera. Et c'est tout ce qui manque au documentaire de Jean-Baptiste Pérétié, la contradiction entre les positions de l'homme Marion Michael Morrison et les rôles majeurs de l'acteur John Wayne, et comment cette contradiction a été utilisée par les grands metteurs en scène qui l'ont dirigé. Le documentaire reste un procès à charge sur des faits quand même bien connus : John Wayne n'a pas participé à la seconde guerre mondiale, John Wayne était conservateur voire réactionnaire, John Wayne était un anticommuniste actif et s'est engagé en faveur de l'intervention américaine au Vietnam. Oui, le Duke a été tout cela, mais nombre de choses sont omises qui auraient permis de nuancer ou de mieux comprendre ces faits. De dédramatiser aussi car leur importance est toute relative. En tant qu'acteur, son opinion n'engageait que lui, même s'il a pu penser le contraire. Quel était le poids de son engagement public à l'époque et quel est son intérêt aujourd'hui ? Jean-Baptiste Pérétié aurait pu (se) poser la question. Son film y répond en partie dans sa structure : une minute sur les grandes compositions de la période 1945-1952 signés John Ford, Howard Hawks ou Edward Ludwig, et de longs passages sur Big Jim McLain (1952), médiocre polar anti-rouges de Ludwig pourtant, et bien entendu The Green Berets (Les Bérets verts, 1968) qu'il réalise lui-même. Si le premier est une bonne pièce à conviction, il faut rappeler qu'il a été un échec public autant que critique et qu'il n'est pas sorti en France, sinon en province sous le titre Marijuana avec un doublage allemand transformant les vilains communistes en trafiquants de drogue. C'est dire combien il était plus important que Red River (La Rivière rouge, 1948) de Hawks ou The Quiet Man (L'Homme tranquille, 1952) de Ford.

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Debout, les damnés de la terre...

Reprenons les choses dans l'ordre. Pour ce qui est de la seconde guerre mondiale, Wayne ne s'est pas engagé, il a tergiversé (ce dont le documentaire rend compte) en partie pour préserver sa carrière naissante qui venait de décoller après plus de dix ans de difficultés. Ça se discute, d'autres n'ont pas hésité. Mais plusieurs choses ne sont pas dites. La première c'est que Wayne en 1941 avait déjà 34 ans et surtout quatre enfants en bas âge, ce qui ne faisait pas de lui un candidat idéal. Il a été d'abord réformé 3-A pour raisons de support familial. L'autre c'est que Herbert J. Yates, le patron des studios Republic qui avait Wayne sous contrat, ne voulait pas voir son unique grande star masculine partir. Yates le menaça d'un procès et fit jouer de son influence pour entraver les démarches de Wayne. De la même façon la MGM fit le forcing pour faire revenir Clark Gable après avoir appris qu'une balle avait traversé la botte de l’acteur lors d'une de ses missions de combat. Ford, que Wayne avait sollicité, n'eut pas non plus le geste décisif. S'il reprocha à l'acteur ses atermoiements, il lui donna pourtant avec The Wings Of Eagles (L'Aigle vole au soleil, 1957), le très beau rôle d'un aviateur (le réel Frank « Spig » Wead) empêché de prendre part aux combats suite à un accident l'ayant paralysé et qui doit trouver d'autres façons de participer à l'effort de guerre. Voilà une articulation qui aurait été intéressante à explorer.

Sur le chapitre du Maccarthysme, il aurait été bien de rappeler le contexte de guerre froide et d'une paranoïa qui ne reposait pas que sur du fantasme. Ce genre de situation ne révèle pas le meilleur de l'être humain. Mais il aurait été bien d'étudier les rapports de Wayne avec ceux qu'il combattait à Hollywood. Par exemple, son rôle dans Three Faces West (Les Déracinés, 1940) de Bernard Vorhaus où il joue un syndicaliste paysan (mais si !) accueillant des réfugiés de l'Allemagne nazie. Le scénario était signé de Samuel Ornitz, qui sera de la tristement célèbre liste des « dix de Hollywood ». Vorhaus fera partie des « blacklistés » comme le réalisateur Edward Dmytryk et le scénariste Ben Barzman avec lesquels Wayne fera Back to Bataan (Retour aux Philippines) en 1945. Bon c'était avant McCarthy et Wayne n'a jamais caché son manque de sympathie pour Dmytryk, mais il y a son amitié avec Kirk Douglas, démocrate convaincu, qui produira en 1960 Spartacus, confié à Stanley Kubrick et écrit par Dalton Trumbo, autre membre de la liste noire qui revient à la lumière avec ce film. Plus tard encore, Wayne produit et joue dans The Cow-boys (1972), un des films les plus intéressants de sa fin de carrière, confié à Mark Rydell, où il partage l'écran avec Bruce Dern, Roscoe Lee Browe et Sarah Cunningham. Rydell est un progressiste, Dern plutôt hippie, Browne un acteur noir engagé dans la défense des droits civiques et Cunningham une ancienne proche du parti communiste et autre victime de la liste noire. Elle joue pourtant la femme du personnage de Wayne et leurs scènes ont beaucoup de chaleur. Je ne saurais tirer de conclusions sur ces éléments mais je pense qu'ils apportent un autre éclairage sur l'espèce de statue du commandeur réactionnaire que Wayne a lui-même alimentée.

Plus largement, sur les questions politiques, il est dommage de ne pas parler de l'évolution de Hollywood entre 1950 et 1970 et de la façon dont elle a pu impacter la manière de voir de gens comme Wayne. Il est d'une génération qui a bâtit sa carrière dans le système classique des studios. L'arrivée des années soixante correspond à une crise de ce système, à une évolution des mœurs avec les années Kennedy, et au vieillissement de cette génération qui se fait doucement mais sûrement supplanter par la suivante. J'ai remarqué que nombre de stars de l'époque comme Henry Fonda ou James Stewart, associés à des idées plutôt « à gauche » dans les années trente et quarante à travers leurs personnages emblématiques chez Ford ou Capra, expriment lors des années soixante des idées conservatrices, et une certaine incompréhension, parfois hostile, au monde en train de changer. Chez Wayne, cela va se traduire par des rôles où il se confronte à ce conflit de génération, parfois de manière manichéenne, mais parfois avec une réflexion en profondeur comme dans le film de Rydell ou True Grit (Cent dollars pour un shérif, 1969) de Henry Hathaway. Autre axe intéressant, la façon dont Ford a utilisé l'image de sa star pour des personnages complexes. Le capitaine Brittles est un homme qui refuse le combat, comme l'officier humaniste de Fort Apache (1948) s'opposant au colonel conservateur joué, autre paradoxe fordien, par Fonda. Ethan Edwards dans The Searchers (La Prisonnière du désert, 1956) est magnifique parce que c'est un raciste rigide, mais qu'il effectue un travail sur lui-même pour dépasser ces sentiments négatifs. Et cela fonctionne d'autant mieux que c'est Wayne qui l'incarne (d'où l'admiration de Godard). Dans The Man Who Shot Liberty Valance (L'Homme qui tua Liberty Valance, 1962), Tom Doniphon est l'homme de l'Ouest qui se confond avec l'image idéalisée de Wayne, fort, individualiste, conservateur... Mais il perd tout et accepte de se suicider socialement au profit de l'avocat joué par Stewart qui incarne les valeurs de la démocratie américaine, sens de la communauté, refus de la violence, liberté d'expression, éducation pour tous... C'est assez fort quand on s'y arrête un moment. Dommage que le documentaire ne le fasse pas.

john wayne,jean-baptiste pérétié

Reds are coming !

Il y aurait beaucoup d'autres choses à dire, sur le rapport aux femmes par exemple, résumé à deux extraits qui omettent le contexte de farce, certes pas des plus légères, mais qui mériteraient une étude plus en détails où à mentionner un peu plus ses films hawksiens. Mais face à son imposante filmographie, il convient de revenir à l'indispensable ouvrage de Luc Moullet Politique des acteurs (Cahiers du Cinéma 1993) et rappeler la formule de Jean-Claude Bourret, lors de l'annonce de sa mort à la télévision française en juin 1979 : « Nous penserons que John Wayne, que le personnage John Wayne, n'avait pas que des qualités. Mais c'est justement le propre des héros ».

*Les Cahiers du cinéma de novembre 1966

Photographies Republic Pictures DR

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Big John

Le petit échange sur Rio Bravo avec Tepepa ainsi que l'appréciation d'Hyppogriffe m'a remis en mémoire cette vieille photographie : John Carpenter, l'air visiblement inspiré (il était très pâle) présente le film de Howard Hawks lors du 17e Torino Film Festival en novembre 1999. Un hommage lui avait été rendu à l'occasion et il avait fait une programmation de ses films fétiche.
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Photographie Vincent Jourdan 

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John Payne, avec un « P »

John Payne, quand j'étais enfant, c'était d'abord une faute d'orthographe. Puis c'est devenu l'image d'un pâle imitateur d'autant qu'il avait joué avec Ronald reagan, ce qui ne me le rendait pas fréquentable. Puis j'ai constaté que Patrick Brion avait inclus Tennessee's partner dans son Panthéon des westerns et le livre recelait quelques merveilleuses photographies de l'héroïne, Rhonda Fleming, en Technicolor. Je lisais aussi beaucoup de bien de Silver lode et de Deux rouquines dans la bagarre (charmant titre). Alors, je n'ai eu de cesse de voir un peu de quoi il retournait. Tennessee's partner est effectivement un bien beau film, symphonie en roux et vert, deux couleurs qui vont très bien ensemble, comme les étoffes autour de la chevelure de Rhonda Fleming qui, avec la scène du bain, elle prend immédiatement place parmi mes icônes érotiques (voir la note du 10 juin). Tennessee (Payne, donc) est un joueur professionnel qui se laisse vivre au sein d'une maison close luxueuse tenue par « Duchess » (Fleming). Amant, associé et protecteur, il est une sorte de Johnny Guitar apaisé. Elle voudrait bien en faire aussi un mari. Il n'y tient pas. Ressort classique de la grande comédie américaine. Au cours d'une altercation, Tennessee est sauvé par Cowpoke (Reagan, pas si mauvais que ça) et une amitié naît sur le champ « parce que c'était lui et parce que c'était moi ». Une amitié qui donne alors son enjeu au film, contrariée qu'elle est à la fois par une intrigue de western (une histoire de mine d'or, de meurtre, de manipulation) et une intrigue de comédie (Cowpoke est venu pour épouser une fille dont Tennessee sait qu'elle n'en veut qu'à son argent. Ah ! Les femmes !). une amitié que l'on pourra trouver, si l'on a l'esprit mal tourné, quelque peu équivoque avec des échanges comme :

Je ne sais pas où coucher

Tu restes avec moi

Et cette discussion entre les deux hommes dans la chambre de Tennessee qu'ils partagent, Cowpoke torse nu et avantageux langoureusement lové dans ses draps.

Tu devrais te marier

Mais il faut épouser une femme !

On croirait presque le finale du Grand détournement mais c'est sans doute involontaire.

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Le film allie le charme vif de la série B (comme Bud Boetticher) de années 50 avec bagarres, fusillades, poursuite et la distribution masculine ; à la sophistication d'une mise en scène de série A (Comme Allan Dwan, le réalisateur) dans le traitement de la couleur, de l'espace, et la distribution féminine de haute tenue, Rhonda Fleming, Coleen gray et une troupe de charmantes jeunes femmes parmi lesquelles les yeux experts reconnaîtront la débutante Angie Dickinson. Le film dégage une beauté fascinante notamment dans les scènes se déroulant dans la maison close. Richesse des décors, harmonies des teintes magnifiées par le Technicolor, sens du détail, j'ai pensé à la direction artistique de certains grands mélodrames de Douglas Sirk. Très impressionnante aussi une scène de jeu de poker à l'atmosphère sombre de film noir et à l'intensité proprement suffocante. Je sais désormais de John Payne savait jouer et que des films tels que celui-ci en valent la peine.

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15/06/2006 | Lien permanent

John Barry, la dernière note

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En hommage à John Hughes

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John, Sean et Juan

Il est toujours excitant de donner une nouvelle perspective à un film que l'on aime et que l'on croit bien connaître. Une autre façon de le voir, une façon de le redécouvrir. C'est ce qui vient de m'arriver avec Il Était une Fois, la Révolution de Sergio Léone. C'est un film que j'ai vu pour la première fois vers dix ans et ça marque.

A l'occasion de la sortie en DVD de la version intégrale (par MGM, je reviendrais dessus pour gueuler un coup), un petit documentaire explore les différentes version et donne une vision originale du personnage de Sean-John joué par James Coburn, qui approfondit aussi sa relation avec le bandit mexicain Juan joué par Rod Steiger. Tout est basé sur les prénoms.

Il y a un jeu là dessus dans le film entre les deux hommes. Quand Juan demande à l'irlandais comment il se nomme, celui ci répond doucement « Sean ». Juan ne saisit pas et l'autre reprend « John ». Dans ce prénom, Juan voit un signe du destin qui lie les deux hommes. C'est à partir de là qu'il refuse de le quitter et veut à toute force travailler avec lui. C'est le déclencheur de toute leur histoire.

Jusqu'ici, je pensais que « Sean » était bien le prénom du personnage de Coburn, et que, quand il dit « John », c'est pour donner une traduction anglaise à Juan, d'autant qu'il n'a pas trop envie de discuter avec lui. Mais ce que que fait remarquer Glenn Erickson dans le documentaire, c'est que tout le monde appelle l'irlandais « John » dans le film, y compris le journal anglais qui le présente comme un terroriste. De fait, mis à part la réplique de Coburn, « Sean » n'est jamais entendu dans le film, à l'exception notable de la chanson de Morricone, cette incantation obsédante « Sean, Sean, Sean... ». Alors, si John est bien John, qui est Sean ? Réponse : l'ami irlandais (joué par David Warbeck). Celui qui a trahi et que John finit par tuer dans le pub. Et là, ça change pas mal de choses. Cet air entêtant n'est pas seulement le signe de la nostalgie de l'Irlande et de la Révolution, c'est le fantôme de l'ami, le fantôme de la culpabilité que John s'est trimballé au Mexique. Quand John dit « Sean » à Juan, c'est qu'il l'assimile déjà, inconsciemment à un ami. C'est aussi une façon d'incarner son ami pour racheter sa perte.
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Là, Erickson va encore plus loin. En analysant le fameux flash-back final, où l'on découvre que les deux hommes étaient non seulement liés d'amitié mais aussi partageaient la même femme (elle même symbole de la Révolution qu'ils ont tout les deux embrassée), on remarque que la musique de Morricone sépare la séquence en deux parties. La première avec le thème « Sean, Sean... » qui montre John avec la Femme, puis, rupture et émergence d'un thème plus sombre entendu lors des scènes dans le pub, lorsque celle-ci se jette dans les bras de Sean et l'embrasse. A ce moment, John est « sortit » du cadre et on termine sur son visage qui devient flou, souriant. D'où l'idée que, dans ce sourire, dans cette « exclusion » du plan, il pourrait y avoir de la jalousie et que, c'est peut être John qui a donné Sean aux anglais pour éliminer un rival en amour, avant que celui-ci, torturé, ne donne John à son tour dans le pub.

Voilà qui redonne de la perspective, non seulement au personnage de John, à sa culpabilité, qui va au-delà de la nostalgie ou du discours politique sur le Révolution, mais aussi à sa relation avec Juan, plus profonde que ce que l'on en voit, marquée pour John par le désir de se racheter. Il voit dans sa relation avec Juan une sorte de seconde chance en amitié. Cette interprétation donne aussi plus de poids aux rapports entre John et Villega (Romolo Valli), le bourgeois révolutionnaire qui a lui aussi été torturé pour livrer ses camarades de combat.

Cela peut sembler un peu tiré par les cheveux, mais il n'y a rien, chez un cinéaste comme Léone, qui est laissé au hasard. Si l'on repense à Il Était Une Fois en Amérique et à son thème central, la trahison, il y a des chances que cette vision touche juste.

Une étude en italien qui développe la même théorie.
 
Le DVD 

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