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10/07/2015

Kinski en guerre

5 per l'inferno (5 pour l'enfer - 1969) de Gianfranco Parolini et Il dito nella piaga (Deux salopards en enfer - 1969) de Tonino Ricci

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Klaus Kinski n'était pas un acteur facile et ce n'est rien de l'écrire. Pour s'en tenir à ce qu'il a donné à l'écran, il est indéniable que sa présence magnétique a marqué tous les films qu'il a joué. Et des films, Kinski en a fait. De tout, le meilleur et le pire, avec l'excès comme règle et la sobriété pour exception. Parfois, le mépris pour certaines bandes purement commerciales, jamais l'indifférence. Question d’énergie. Question de nature. Son corps exprime naturellement l'inquiétude, la fièvre, la folie, la violence. Tout se concentre dans son étrange visage à la fois anguleux et poupon, la sensualité des lèvres charnues à la Mick Jagger, l'arrogance du regard de ses yeux bleus, d'un bleu où l'on se perd. De tout cela, Kinski a su jouer en virtuose tout en restant lucide sur ce que cela signifiait pour lui. Il déclara ainsi que son meilleur souvenir d'acteur, c'était la rencontre à Zagreb avec un petit garçon qui lui avait mimé une scène qu'il l'avait vu jouer dans un film de guerre et où il mourrait devant un tank, la bouche grande ouverte. Cette scène est dans Il dito nella piaga (Deux salopards en enfer) réalisé en 1969 par Tonino Ricci et qui est sortit par les éditions Artus en compagnie de 5 per l'inferno (5 pour l'enfer) signé Gianfranco Parolini sous son pseudonyme favori de Franck Kramer la même année, et dans lequel Klaus Kinski joue également.

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Ces deux œuvres font parties d'un filon exploité par les italiens sur une dizaine d'années, suivant le succès de superproductions américaines ayant pour cadre la seconde guerre mondiale comme Where eagles dare (Quand les aigles attaquent - 1968) de Brian G. Hutton et surtout The dirty dozen (Les douze salopards – 1967) de Robert Aldrich. Le manque de moyens handicape ces films le plus souvent fantaisistes et les réalisateurs tentent de compenser par des méthodes éprouvées dans le peplum et le western : personnages baroques, détails farfelus, surenchère dans la violence et l'action, pointes de sadisme et d'érotisme, allusions politiques.

Avec leurs défauts, ces deux films sont assez réussis. Preuve de son élasticité Klaus Kinski y est en alternance dans les deux camps. Pour Tonino Ricci, il est un soldat américain quoique délinquant. Pour Gianfranco Parolini il campe de façon plus attendue un officier SS aussi infect que prévu. Dans le premier il meurt bel et bien le visage halluciné, chargeant comme un démon un tank allemand dans une scène un peu folle pour le plus grand bonheur de l'enfant de Zagreb. Dans le second, il fini rôti sur des barbelés électriques pour la grande joie de tous et sans doute de son partenaire Gianni « John » Garko qui ne pouvait pas l'encadrer.

Il dito nella piaga, littéralement « Le doigt dans la plaie » ce qui est fort éloigné de la roublardise du titre français, a pour héros un fringant lieutenant américain joué par le beau George Hilton, acteur d'origine uruguayenne et vedette de westerns souvent décontractés ainsi que de gialli fort réussi, souvent en compagnie de la sublime Edwige Fenech. Sur le front italien, notre homme est chargé de convoyer deux condamnés à mort. Carr, un voleur et assassin joué par Kinski donc, et Mac Carey, un soldat noir incarné par Ray Saunders, qui après un rude combat a tiré dans le tas, sur les prisonniers et sur son officier qui tentait de le raisonner. Suite à une embuscade, le lieutenant se retrouve tout seul avec les deux condamnés. Par la grâce du scénario de Tonino Ricci et Piero Regnoli, spécialiste du cinéma de genre ayant œuvré pour Riccardo Freda, Lucio Fulci ou Umberto Lenzi, les trois hommes se retrouvent dans un petit village italien où ils vont fraterniser avec les habitants. Et quand s'annonce une colonne allemande, ils vont le défendre dans un combat désespéré.

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Ce qui frappe aujourd'hui, c'est la ressemblance entre cette histoire et celle du Miracle at St. Anna tourné en 2008 par Spike Lee dans laquelle quatre soldats noirs se retrouvaient dans la même situation. La dimension politique du film italien est la même puisque à travers le personnage de Mac Carey, c'est son statut de soldat et d'américain noir qui est en jeu, et à une époque contemporaine du mouvement Black Power et de l’assassinat de Martin Luther King. Ricci, dont c'est le premier film, se place dans la continuité des westerns de Sergio Corbucci, Damiano Damiani ou Sergio Sollima, qui faisaient passer un discours critique en prise avec leur époque via des personnages de mexicains. La part d'opportunisme de ces discours est un autre problème, mais elle contribue de façon évidente à donner de l'épaisseur à ces films et un intérêt qui perdure aujourd'hui. Avec ses naïvetés, Il dito nella piaga dépasse la simple histoire d'action guerrière. Carr et Mac Carey vont se lier, le premier avec une jeune femme, le second avec un petit garçon, et ces liens vont les pousser à trouver leur rédemption dans le combat. L'officier de son côté apprendra dans sa chair à être moins rigide en s'attachant à ces deux hommes qu'il devait faire exécuter.

Le film possède en outre une dimension supplémentaire assez originale, une dimension religieuse. L’ouverture se fait sur des paysages grandioses et une musique solennelle tandis qu’une voix off nous rappelle la création du monde « Que la lumière soit » et ce genre de choses. Une façon de remettre l’homme à sa place mais avec la légèreté d’un peplum biblique. Plus avant dans le film, les oppositions entre les trois hommes passeront aussi par la religion. Carr affirme son athéisme tandis que Mac Carey est croyant et lie sa croyance au racisme dont il est victime. Le film use de symbolique, le principe de rédemption pour les deux criminels, l’utilisation de la statue à la fin, l’église comme lieu clef du village. Néanmoins, Ricci manque de temps, parfois de finesse, pour bien exploiter cette intéressante piste.

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La réussite du film passe aussi par la mise en scène de Ricci qui joue habilement du contexte pour éviter l'écueil habituel de ces production, la trop grande fantaisie de leurs décors. L'action est située en Italie et Ricci est très à l'aise avec la description du petit village, les maisons de pierre, les oliveraies, les personnages des habitants, les rites et la musique. Tout sonne juste. Le film est en format large avec un beau travail sur les lumières nocturnes de Sandro Mancori à qui l'on doit dans le même genre et la même année les premières scènes nocturnes du Sabata de Parolini. Il y a aussi quelques jolies idées de montage, comme ce raccord sur le gros plan des mains qui permet de passer de l'histoire de Carr à celle de Mac Carey. Je sens que Ricci s'est un peu creusé la tête et je lui en sais gré. La grande bataille finale ne manque pas de souffle et l'enfer se déchaîne avec des tanks qui défoncent les oliviers (ce qui est un véritable scandale) et la statue d'un ange (ce qui fait une jolie scène). Nos trois héros abattent la moitié de l'armée ennemie et Kinski a sa belle mort. La scène finale dégage une certaine émotion et je crois tenir là peut être le meilleur film du genre.

En regard, le film de Parolini est bien léger. En même temps, je ne crois pas que Parolini s'en offusquerait. 5 per l'inferno est un pur divertissement bien dans le style du réalisateur qui reprend nombre d’éléments issus de ses précédents films de genre : la décontraction, une mise en scène sans bavure, une musique pétaradante de Elsio Mancuso, les acteurs-cascadeurs Sal Borghese (grand ami du duo Bud Spencer – Terence Hill) et Aldo Canti, un goût prononcé pour les acrobaties façon cirque et les gadgets aussi improbables qu'explosifs, et un goût moins prononcé pour la vraisemblance. Le film suit de près les salopards du film matrice de Robert Aldrich. Le déroulé est identique : l'objectif, le recrutement, l’entraînement, la mission, le combat final. L'action se déroule de même dans un superbe château ancien, mais cette fois nous sommes en Italie et Parolini utilise la très belle Villa Parisi à Frascati comme siège des armées teutonnes. Seule variation, le commando n'est pas constitué de repris de justice mais de spécialistes : un lanceur de couteau, un expert en explosif, etc. plutôt dans la manière des Magnificent seven (Les sept mercenaires – 1960) de John Sturges.

Le commando est mené par Gianni Garko, aussi beau et à l'aise que quand il joue Sartana, un rien agaçant quand il mâche son chewing-gum. Joueur de base ball, son arme secrète est une balle creuse que l'on peut garnir d'explosif ou d'une bille d'acier. Voilà pour le gadget. Chez Parolini, on aime bondir, donc notre commando va se promener avec un trampoline qui lui permettre d'exécuter de jolies voltiges et de faire leur affaire de ces andouilles d'allemands. Il va de soi que les personnages n'ont aucune épaisseur psychologique, mais ce n'est pas ce qu'on leur demande. L'élément de charme est assuré par la belle Margaret Lee dans le rôle d'un agent double qui est séduite par l’américain et séduit l'allemand. Pardon, le méchant SS joué par, oui, Kinski. Il faut préciser ici que Margaret Lee a joué douze fois avec Klaus le terrible. Britannique authentique, elle a aussi beaucoup fréquenté le duo Franco et Ciccio. Sans doute un goût marqué pour le bizarre.

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Kinski se trouve ici en terrain connu, jouant plutôt sur la retenue tant le spectateur s'attend aux pires choses de sa part. Un peu comme Christopher Waltz chez Quentin Tarantino, qui connaît certainement le film, Kinski compose une sorte de chat vicieux, à l'uniforme noir impeccable et ajusté, au verbe tortueux, aux gestes mesurés et au regard perçant dans lequel on sent qu'il a toujours un coup d'avance sur ses adversaires. Un Kinski bien ignoble comme on l'aime, qui contemple ses actes en retrait, comme il le faisait en Tigrero, le chasseur de primes du chef d’œuvre de Sergio Corbucci Il grande silenzio (Le grand silence – 1968). Que le spectateur se rassure, son officier SS sera à la hauteur des attentes et il faudra tout le talent de lanceur de Garko pour en venir à bout.

Voici deux films impeccables pour découvrir un genre négligé du cinéma populaire européen. Et pour voir Klaus Kinski combattre sous deux drapeau à sa manière inimitable.

Photographies DR