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17/05/2015

Dans un fauteuil

Edogawa Ranpo ryôki-kan : Yaneura no sanposha (La maison des perversités - 1976), un film de Noboru Tanaka

Texte pour Les Fiches du Cinéma

« Or on entre dans une fiction comme dans un domaine, en franchissant une porte » (Comment écrire un scénario ? Anti-manuel – Cahiers du Cinéma – Avril 2015).

Un grand mur de bois en Scope. Noboru Tanaka nous fait pénétrer dans son film par l'ouverture d'une petite trappe actionnée par Gōda Saburō, un jeune homme dont nous apprendrons plus tard qu'il est riche et oisif. « Quelle merveille » dit-il, en japonais. La trappe ouvre sur les combles d'une grande maison et Gōda, en rampant sur les poutres, peut à loisir observer les habitants dans les pièces de dessous. Et que font ces habitants ? Comme le titre l’indique, des polissonneries. Et que fait Gōda ? Il regarde. C'est un voyeur et il a bien raison, à genoux sur ses poutres, c'est Gōda au pays des merveilles. Mais son voyeurisme va prendre un aspect actif provoquant les actes dans un premier temps, avant qu'il ne se mette à agir lui-même de façon fort concrète.

noboru tanaka

Edogawa Ranpo ryôki-kan : Yaneura no sanposha (La maison des perversités) est un nouveau roman-porno de la Nikkatsu adapté d'un roman de Edogawa Ranpo, spécialiste du roman policier, créateur du fameux Lézard Noir. L'adaptation par Akio Ido conserve une intrigue disons criminelle, mais s'engage dans une direction tout à fait originale, travaillant une atmosphère des plus étrange qui m'a fait penser, allez avoir pourquoi, à du Luis Buñuel. Peut être à cause des idées incongrues qui parsèment le film, peut être par le télescopage constant d'épisodes qui ne cessent de désarçonner. Peut être aussi par le profil socialement marqué des personnages, la description sous-jacente des rapports de classe avec la sexualité comme point de convergence, encore qu'elle reproduise dans son exercice les rapports de domination. Ce dernier point est accentué par le côté japonais, le film étant situé dans une société très hiérarchisée quoique la période choisie des années vingt corresponde à un moment plus démocratique, plus ouvert en particulier sur les droits des femmes.

Nous trouvons ainsi Dame Minako, grande bourgeoise et propriétaire de la maison, une sorte de pension, qui vient y assouvir ses pulsions. Dans la première scène, elle est observée par Gōda en train de pénétrer dans une chambre où l'attend un clown pour quelques jeux érotiques. Un vrai clown avec le nez rouge et tout, un pantin tout à sa dévotion. Il y a le chauffeur de maître de la dame qui la mène en connaissance de cause à ces rendez-vous galants, rendez-vous qu'il organise puisque c'est lui qui a recruté le clown. Amoureux de sa maîtresse, il a fait fabriquer sur mesure un fauteuil pour elle, fauteuil très spécial dans lequel il se glisse lorsqu'elle s'y installe pour se caresser. Il y exprime des tendances masochistes tandis qu'elle y assouvi un certain sadisme. L'employé se livre aux caprices cruels de sa patronne, gémissant « Madame ! », impuissant, consentant et heureux. Il faut avoir vu cela. C'est à ce genre de trouvailles que l'on se dit tenir avec Edogawa Ranpo ryôki-kan : Yaneura no sanposha l'un des plus étranges films du genre. Dans la maison, il y a aussi un prêtre qui ne se gène pas pour moraliser tout en harcelant la servante, et puis une artiste peintre à l'art délicat qui ne pourra rester longtemps simple témoin des turpitudes de tout ce petit monde. Il y a aussi hors les murs le mari de la dame dont les rapports au lit avec sa femme sont bien compliqués et qui comprendra trop tard qu'il ne la connaît pas du tout.

Maison perversités01.jpg

Noboru Tanaka orchestre les relations entre ses personnages avec Gōda comme élément catalyseur. Son voyeurisme déclenche chez Dame Minako une radicalisation de ses pulsions, allant jusqu'au crime dont le jeune homme devient le complice objectif. L'objet observé est modifié par l'action de l'observateur. La mise en scène construit des rapports de regards qui se devinent plus qu'ils ne se croisent, d'aveuglements aussi, volontaire chez le chauffeur, ignorants chez le prêtre et le mari. D'où une succession d'effets dominos et la plongée dans un univers de perversions de plus en plus étonnantes. C'est là un matériau en or pour un film et le réalisateur l'exploite avec brio, soutenu par la photographie de Masaru Mori, la musique tout à tour parodique (la marche du générique) et romanesque de Jirō Tateshina, et un travail sur le son qui renforce l’étrangeté des scènes de voyeurisme avec de curieuses stridences estivales. Un an après Jitsuroku Abe Sada (La véritable histoire d'Abe Sada également interprété par la belle Junko Miyashita) qui jouait la carte d'une description précise et quasi documentaire d'un couple repoussant les limites du sexe et de la mort, s'inspirant d'un fameux fait-divers, Tanaka réalise un film qui plonge dans l'onirisme et le fantasme pour retrouver la conclusion du film précédent, la fusion entre Éros et Thanatos, lors du final en forme d'apocalypse où l'étreinte ultime rejoint la réalité par un emploi culotté d'images d'archives. Des subtils jeux d'amour et de mort de la maison des perversités ne reste que poussière.

Photographie Nikkatsu DR

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07:58 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : noboru tanaka |  Facebook |  Imprimer | |