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17/07/2010

L'illusionniste

Si vous aimez le cinéma de Jacques Tati, vous aimerez L'illusionniste, le nouveau film d'animation de Sylvain Chomet, l'homme de La vieille dame et les pigeons (1996) et des Triplettes de Belleville (2003). Chomet a adapté un scénario inédit du grand Jacques écrit dans le milieu des années 50. Son héros est un nouveau monsieur Hulot, avec pipe je vous prie, Tatischeff sur les affiches des spectacles de l'illusionniste de fiction, Tati tout court quand il transporte partout sur lui une photographie de Sophie… Tatischeff. L'effet miroir culmine dans une très belle scène, émouvante, quand l'illusionniste entre dans un cinéma nommé le caméo, pour y voir Mon Oncle (1958) le film de Jacques Tati. Le personnage dessiné et animé contemple son modèle tout à la fois de fiction et réel, l'image cinéma de sa fiction. Ah, c'est troublant, c'est autre chose que Matrix. L'illusionniste est ainsi un film inédit de ou avec Tati, au choix, tant Chomet retrouve le ton, le type d'humour, le style du grand bonhomme.

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Si vous aimez le cinéma de Charlie Chaplin, vous devriez aimer L'illusionniste. Le film de Sylvain Chomet évoque deux grands classiques du génie à moustache et chapeau rond. La relation de Tatischeff, artiste illusionniste qui sort un lapin plutôt féroce de son chapeau, et de la jeune écossaise rêvant de la grande ville (Édimbourg en l'occurrence, magnifiquement imaginée), est proche de celle du vieux clown ver-de-terre Calvero et de l'étoile rêvant de danse de Limelight (Les feux de la rampe – 1951). La dimension amoureuse étant ici orientée vers une relation père-fille. Les efforts stoïques de Taticheff pour trouver à tout prix du boulot et multipliant les tâches ingrates pour donner du rêve à la jeune fille, sont du même ressort que ceux du vagabond décidé à aider la jeune aveugle de City Lights (Les lumières de la ville – 1929). Même mélange de bonne volonté et de maladresse du personnage, même précision de la part du metteur en scène dans la description pointue d'univers professionnels (ici un garage). De Chaplin, Chomet retient le choc d'une réalité sociale (L'entrée radicale dans la société de consommation à la fin des années 50) avec un personnage inadapté mais décidé à en découdre pour s'insérer. Une différence fondamentale d'avec Keaton qui reste toujours à distance et, à la moindre occasion, tente de fuir le réel ou le plier à sa fantaisie.

Si vous aimez le cinéma de Federico Fellini, vous devriez être sensibles à L'illusionniste. Sensibles à cet univers du Music-Hall avec ses vieux clowns sur le retour, un peu suicidaires, ses ventriloques clochardisés, ses acrobates gominés, son public clairsemé, ses patron de théâtre adipeux, ses imprésarios baratineurs, le monde idiot de la publicité, la vulgarité de la distraction moderne (la parodie savoureuse des Beatles avec les inénarrables Brittons). Nostalgie, amertume, derniers éclats de rire, précision d'un savoir faire qui n'intéresse plus personne, la dimension fellinienne du film de Chomet ajoute une dose de noirceur, quelque chose de ce subtil équilibre entre comédie et drame qui constitue le cœur du cinéma italien de la grande époque.

Si vous n'aimez ni le cinéma de Tati, ni celui de Chaplin, ni celui de Fellini, vous pouvez toujours méditer les immortelles paroles de Michel Poiccard.

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Heureusement pour lui, le cinéma de Sylvain Chomet ne se réduit pas à une simple équation de la forme X = T + C + F. Et si vous avez aimé les films précédent de l'un des chefs de file de l'animation française des quinze dernières années, vous ne devriez avoir aucun problème avec ce film-ci. Mélange d'impressionnisme, de précision dans le détail, de goût pour les plans virtuoses (une vue d'ensemble d'Édimbourg à tomber par terre), une utilisation aussi habile que poétique des effets (brume, pluie, lumière), l'art de Chomet dans L'illusionniste surpasse celui des Triplettes de Belleville. Le film est à la fois plus clair au niveau du dessin (moins chargé donc plus lisible) et plus fluide au niveau des mouvements. Assurant le montage, le réalisateur contrôle parfaitement un récit à la trame ténue mais aux nombreuses ramifications et multiples personnages. Il privilégie les séquences qui font bloc esthétiquement comme la course poursuite dans le théâtre avec le fichu lapin en ouverture, ou le voyage vers l'Écosse, scène théoriquement de transition qui devient un véritable morceau de bravoure avec multiplication des moyens de transports, l'utilisation de la météo qui ménage les effets de découverte (la brume encore) et le dépouillement des décors qui correspond à la sensation d'arriver au bout du monde. Il faudrait encore parler de la finesse des mouvements, qui compense la sobriété des expressions des visages.

L'illusionniste pourtant n'est pas un film si évident. J'y suis allé en famille et, quand pour répondre aux inquiétude de ma compagne concernant la compréhension de notre fille de quatre ans, j'ai dit pour plaisanter : « Je ne t'ai pas dit que c'est en tchèque non sous titré ? », je ne croyais pas si bien dire. Non que le film soit en tchèque, mais Chomet a véritablement repris les procédés de Tati. C'est à dire que le film a peu de dialogues et que la plupart d'entre eux sont incompréhensibles, bredouillés, couverts par d'autres bruits, interrompus et que, faute de tchèque, une grande partie d'entre eux sont en Gàidhlig ou gaélique écossais non sous-titré. Ce qui ne vaut pas mieux que le tchèque pour qui ne parle aucune de ces deux langues. C'est à dire que les gags sont très travaillés, d'un humour pince sans rire assez sophistiqué et que malgré la trame chaplinesque et les accents felliniens, le scénario est prétexte avant tout à un comique de situation, gestuel, presqu'abstrait dont on se rend compte tout à coup que l'on en a plus l'habitude. Mais si. Soyons honnêtes, si Tati est aujourd'hui panthéonisé, quel est son impact populaire ? Quelle est la dernière diffusion télévisée d'un de ses films sur une chaine généraliste ? Et qui va aller voir les reprises des films de Pierre Etaix mis à part la poignée de combattants nostalgiques qui ont pétitionné pour qu'il puisse récupérer les droits de ses films ? Vous me direz qu'on s'en fiche et que l'important n'est pas là et vous aurez raison. Mais c'est ainsi que j'interprète les semi-déceptions de plusieurs commentateurs et les accès de perplexité de certains spectateurs. L'illusionniste n'est pas un film simple, c'est un film d'animation sombre et mélancolique dont le ton va a contre-courant de ce qui se fait dans le genre. Ce qui me rassure, c'est que Chomet ait malgré tout pris ce risque fou et que ma fille, et bien ça lui a plu, surtout le lapin.

Le site officiel

L'avis de Pascale

Et celui de Ed sur Nightswimming

Sur la Kinopithèque (Par Benjamin)

Sur En salles

Chez Dasola

Photographies : © Pathé Distribution

14/07/2010

Le sabreur solitaire

De la poésie pure. « Si ton dard arrive à décrocher ma fleur, tu pourras annoncer à nos amis notre mariage » minaude Yun Piao-Piao au chevalier Hsiang Ting au milieu d'un parterre de fleurs d'un jaune éclatant digne d'une film d'Akira Kurosawa. Le couple flirte dans l'une de ces forêts irréelles et immémoriales de la Chine médiévale de toutes les aventures. La bande son est saturée de chants d'oiseaux, les couleurs vives baignées de soleil. La jeune femme dépose un voile sur le visage de son amoureux. Le geste est sublime. Préparant un mauvais coup, une troupe de bandits survient et dérange le jeu des sages amants. Noblement méprisant, Hsiang Ting poursuit sa discussion puis sa lame jaillit, éclair d'argent, et déchire les spadassins les plus hardis. Par groupe de trois ou quatre. A se demander pourquoi ils s'obstinent à l'approcher. Ceux qui avancent n'ont pas le temps d'esquisser un geste qu'ils tombent comme épis mûrs en un jaillissement rouge, avec un cri de douleur, un son de métal et une ultime convulsion. C'est bien là la signature du réalisateur Chang Cheh.

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Beauté du titre. Have Sword, will travel. Maxime à l'usage des chevaliers errants inspirée d'une formule des artisans anglo-saxons pour signifier leur disponibilité : « J'ai mes outils, je voyage ». Formule reprise pour une célèbre série télévisée western des années 50 Have gun, will travel qui vit les premiers pas de Sam Peckinpah. Maxime appliquée à Yi Lo, épéiste virtuose et désargenté qui cherche à louer ses talents et croise la route de Yun Piao-Piao et Hsiang Ting. Have sword, will travel est la première rencontre dans le genre du Wu Xia Pian, le film de cape et d'épée chinois, du duo David Chiang et Ti Lung sous la houlette de Chang Cheh . Ils se sont croisés en 1968 dans Dead end, un drame contemporain, mais c'est avec ce film que Chang Cheh crée l'année suivante un couple mythique qui va régner sur les écrans pendant trois années jusqu'à l'apparition de Bruce Lee.

Ti Lung, c'est un peu John Wayne. Grand, fort et digne. La démarche souple et le geste assuré. Il est le héros noble et droit, portant les idéaux de justice et il faudrait que je mette des majuscules partout. Parfois trop sûr de lui, il peut lui en coûter la vie. Timide en amour, il est habile aux armes et courageux sans être un virtuose.

David Chiang fonctionne de manière complémentaire, comme Montgomery Clift ou Dean Martin aux côtés du Duke. Chiang en a la beauté charismatique, le regard intense, la démarche un peu cassée mais d'une vivacité de danseur. Il est le héros romantique et torturé, égoïste parfois, obsédé souvent par son sens de l'honneur jusqu'au-boutiste qui lui fait mépriser la femme, s'investir dans la vengeance ou se trancher le bras par orgueil. Sa science des armes est redoutable. Il a en lui quelque chose des héros du western italien, vitesse, précision, tendance au masochisme et besoin pathologique d'accomplir son destin. Seule différence de taille, il méprise aussi l'argent.

Dans ce premier film du couple, Chang Cheh s'en tient à un triangle classique. Yun Piao-Piao tombe sous le charme de Yi Lo, suscitant la jalousie de Hsiang Ting et son désir d'en découdre. Pour les amateurs de double sens, cette jalousie cache mal l'admiration du chevalier pour le sabreur solitaire et une trouble attraction. Hsiang Ting se rend compte rapidement qu'il est surclassé par Yi Lo et les deux hommes vont s'allier pour combattre le méchant incarné par l'inoxydable Ku Feng et ses hordes de tueurs.

Au temps de sa splendeur critique, John Woo était loué pour ses scènes d'action chorégraphiées comme des ballets de comédie musicale. Inutile de chercher plus loin d'où cela vient. Woo a été l'assistant de Chang Cheh. Toute la mise en scène du réalisateur chinois, les cadrages en somptueux CinémaScope (enfin, le Shawscope), les élégants mouvements de caméra, les effets millimétrés du montage sont là pour mettre en valeur les gestes des protagonistes. On prend le temps de montrer les enchaînements comme Vincente Minelli filmait les pas de Fred Astaire et Cyd Charisse. On souligne la rapidité d'un coup d'un bref recadrage. On suspend un geste. Pour être sanguinolents, les combats n'en sont pas moins stylisés à l'extrême. Complètement irréalistes, ils relèvent des ballets et des codes de l'Opéra de Pekin (Où fut formé David Chiang). Chang Cheh utilise les trampolines pour faire voler ses acteurs, mais d'une façon qui paraîtra sobre en regard des délires actuels. Avec son chef opérateur Kung Muto, Chang Cheh joue sur les couleurs, les uniformes des hommes de troupe, les costumes des héros et des méchants, le rouge du sang bien sûr et accentue l'aspect irréel des décors de studio dont l'artificialité est revendiquée. Le méchant surgit de derrière un buisson comme de derrière une toile peinte et le combat final a lieu dans une symbolique et improbable pagode. Dans les courbes des gestes, des enchaînements martiaux, on peut voir sans doute quelque chose de l'art de la calligraphie.

Ces arts traditionnels dont une partie peut échapper au spectateur occidental, Chang Cheh les traite d'une manière toute cinématographique, moderne pour 1969. Son style puise dans sa fascination pour le western, tant américain qu'italien, le chambara ou film de sabre japonais (qui entretien lui même des rapports avec le western) et les films de la série James Bond. Emprunt amusant qui passe par la musique, les gadgets, les méchants diaboliques et une façon de faire progresser le récit. Dans ce film, en particulier on trouve une très belle séquence de générique avec ombres psychédéliques du plus bel effet que Maurice Binder n'aurait pas reniée.

Du western, j'ai évoqué combien les prouesses de David Chiang se rapprochaient de celles des héros de Sergio Leone ou Sergio Corbucci. Il y a une très belle scène, toute en tension, où les deux héros se mesurent autour d'un repas sous les beaux yeux de Yun Piao-Piao, comme le faisaient Lee Van Cleef et Clint Eastwood chez Leone. Les ralentis de Chang Cheh ont été, dit-on, inspiré par ceux de Sam Peckinpah. Il utilise volontiers cet effet ici, soit pour mettre en valeur les mises à mort ou magnifier le combat final de David Chiang. Il en use aussi de façon plus poétique quand Chiang, tout en bondissant, taille un rideau d'herbes pour s'en faire une couche à même le sol, le tout dans le même mouvement. Poésie pure.

Have Swod, will travel est resté inédit jusqu'ici, oeuvre d'un beau classicisme, à la fois sauvage et raffiné, porté par une très belle partition originale (c'est suffisamment rare pour être noté) de Wang Fu Ling, qui sait faire alterner tension, action violente et temps plus calme où vivent les héros de cette Chine de toutes les aventures.

Le DVD

Sur Sueurs froides

Vu par Raphaël de Le film était presque parfait

Sur HKcinémagic (belle galerie de photographies dont est tirée l'affiche ci-dessus)

23:08 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : chang cheh |  Facebook |  Imprimer | |