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De l'érotisme (partie 2)

9 -  Existe-t-il une actrice de films pornographiques que vous aimeriez voir dans un film d'un autre genre ?

Mes connaissances en la matière sont assez limitées, je n'ai pas de préférence particulière. Mais sur le principe, cela peut donner des résultats intéressants, je pense à Ovidie chez Bonello ou aux acteurs de Oshima. On pourrait rêver d'un film d'héroic fantasy avec Erica Gavin en amazone.

10 - Quelle est la scène (ou le film) ayant le mieux stimulé votre odorat ?

Je sens toujours très bien le café dans la scène entre Jill et le Cheyenne dans C'éra una volta il West (Il était une fois dans l'Ouest – 1968) de Sergio Leone. « Ma mère faisait le café comme ça. Chaud, fort, très bon ».

11 - Si vous pouviez prolonger une séquence soudain interrompue, quelle porte fermée rouvririez-vous, quel rideau tiré écarteriez-vous ou quel panoramique s'esquivant vers le décor anodin, redresseriez-vous ?

De par mon tempérament, ce que je préfère, c'est la monté du sentiment amoureux, la tension érotique, les préliminaires. J'aurais plutôt tendance à me sentir gêné quand on passe aux choses plus directement physiques d'autant que ces scènes sont généralement des démonstrations rarement convaincantes de gymnastique. Pour moi les grands metteurs en scène savent arrêter à temps et laisser mon imagination travailler derrière. Je n'éprouve pas vraiment le besoin du contre-champ sur Tristana à sa fenêtre ni à passer derrière le paravent de Feathers. Une chose quand même, je regrette vivement que le code Hays ait si terriblement modifié le pagne de Maureen O'Sullivan (Jane dans les Tarzan MGM des années 30) passé d'un merveilleux bikini tenant par miracle à un tablier de sapeur.

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12 et 13 - Quelle actrice ou quel acteur a su vous montrer la plus belle poitrine ? Les plus belles dents ?

Poitrine, difficile de départager Edwige Fenech, Valérie Leon et Frédérique Bel.

Dents : Marlène Dietrich mais ne me demandez pas pourquoi.

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14 - Vous êtes enfermé jusqu'au matin, avec le partenaire de jeu de votre choix, dans un musée berlinois qui a reconstitué des centaines de décors de films. Lequel choisissez-vous pour votre nuit ?

Le Discovery de 2001 (1968) de Stanley Lubrick (oups).

15 - Quel est pour vous le mot, la phrase ou le dialogue le plus empreint de sensualité ?

Les dialogues dans les grands films de Howard Hawks sont pour moi le sommet en la matière. Du « You know how to whistle, don’t you Steve ? You just put your lips together and blow."  » de Lauren Bacall à la métaphore des courses de chevaux en passant par «Because I just went gay, all of a sudden !», c'est un feu d'artifice. Je vais en rester à ma favorite, « Shérif, you forgot your pants » de Rio bravo (1959).

16 - Quelle est votre scène de douche préférée ?

Raquel Welch sous le réservoir d'eau dans 100 rifles de Tom Gries (1969)

17 - Existe-t-il une actrice que vous aimeriez voir dans un film pornographique ?

Carrément pornographique, non. Mais, voir question 11, j'aurais aimé voir nombre des grandes actrices hollywoodiennes dans des films plus épicés.

18 - Quel film et/ou quel cinéaste vous paraît le moins érotique ?

Et dieu créa la femme (1956) ne m'a pas impressionné du tout / Michael Haneke forever.

19 et 20 - Quelle actrice ou quel acteur a su vous montrer le plus beau ventre ? Les plus belles mains ?

Ventre : Barbara Bouchet (Milano calibro 9 (1972) de Fernando Di Leo, La Tarantola dal ventre nero (La tarentule au ventre noir – 1972) de Paolo Cavara, Casino royale (1966)...

Mains : Audrey Hepburn, surtout gantée de noir...

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(à suivre)

Photographies : capture DVD MGM / Scifi Universe / Non identifié.

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26/11/2009 | Lien permanent

Franco, ligne claire

Célestine, la mutine, viens ici que je te lutine. Que voilà un film hautement réjouissant. Le titre le plus surprenant de la collection et selon ses exégètes, atypique du réalisateur. Avec son titre de porno français de la belle époque (les années 70), son château façon Moulinsart, troublante ressemblance, et ses dialogues parfois un rien vulgaires, Célestine, bonne à tout faire, lointainement inspirée de la femme de chambre d'Octave Mirbeau, se rapproche des comédies polissonnes à l'italienne de la même époque. Ce sont les mêmes musiques sautillantes et agaçantes, et Lina Romay en donnant un peu plus qu'Edwige Fenech, mais avec la même santé, la même fougue, la même joie d'un corps libre, la même sensualité brisant d'un éclat de rire ou d'un mouvement de sein convenances et morale.

jesus franco

Lina Romay, il faut déjà dire que Franco rend avec ce film un hommage à sa beauté comme à son esprit. Il la filme sous toutes les coutures et en fait le moteur comme le centre de l'action. Elle est la femme totale, l'origine du monde et, dans une jolie envolée, Célestine déclare vouloir l'embrasser tout entier, ce monde, pour lui faire l'amour. Quelle abnégation ! Officiant dans une maison de passe 1900, elle en est chassée, les fesses à l'air, par une descente de police (avec Jean-Pierre Bouyxou en inspecteur). Elle trouve refuge dans la propriété des Bringuette. Là , après avoir mis dans tous leurs états le jardinier et le majordome, elle se fait engager par la famille constituée d'une belle collection de coincé de la fesse. Célestine va alors exercer ses talents sur chacun et chacune, rétablissant paix et harmonie d'une fesse ferme. On peut dire à ce point que Célestine est une version décomplexée, joyeusement libertaire, du visiteur de Teorema (Théorème, 1968) de Pier Paolo Pasolini. Et qu'il me soit permis d'écrire que malgré toute mon admiration pour le poète transalpin, je préfère le miracle opéré sur le grand-père joué par Howard Vernon (déchaîné) à l'élévation de la servante jouée par Laura Betti, les formes de Lina Romay aux yeux de Terence Stamp.

jesus franco

Si la mise en scène de Franco a ses défauts habituels (Zoom ici, zoom par là), et s'il est vrai qu'il délaisse ici ses expérimentations de cadres et de couleurs qui se prêteraient sans doute mal à cette histoire, elle compense par la construction théâtrale du récit, la vitalité de la comédie et le plaisir de diriger des acteurs complices au sein d'un burlesque assumé. Ils s'en donnent à cœur joie, arrivant à nous communiquer cette joie. Le sommet est atteint lors d'une cérémonie religieuse que l'on devine improvisée dans la bonne humeur et où Célestine et le majordome rivalisent de vigoureux « Amen ! » masquant mal leur fou rire. La caméra de Franco virevolte et, cette fois, est en phase avec l'agitation générale. Les portes claquent, les répliques fusent, on saute sur les lits, on se planque dans les placards, on se chevauche avec fougue, la vie et le mouvement irriguent la vieille demeure et ses habitants. Célestine, avec un peu d'aide d'une brave copine, met la paix dans les ménages et entre les classes. Dans sa règle du jeu, tout le monde y trouve son compte.

De nombreux commentateurs reprochent à ce film sa légèreté, mais je dis que c'est là qu'il trouve sa force. Célestine n'a pas besoin des discours alambiqués des aristocrates de Plaisir à trois ou de La comtesse perverse, elle parle direct et agit. Franco fait peut être bien passer ici mieux qu'ailleurs sa philosophie de la vie et j'en veut pour preuve ce plan final magnifique, gros plan sur le visage de Célestine quittant le château, son devoir accompli. La bouche de l'actrice frémit, ses yeux hésitent un instant, on sent comme un sanglot retenu. Elle est magnifique. Puis elle part. Éclat de gravité au sein de la comédie qui en dit tout l'enjeu. Et puis comme un pied de nez, elle traverse le parc sur cette fichue musique.

Photographies source La Marseillaise

A lire sur Ecran Bis

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Tintin

 Alors, Tintin, alors ? Alors, oui, le Tintin de Steven Spielberg oui ! Ce n'est pas la première fois que je me fais la réflexion mais j'ai toujours eu tort de sous-estimer les capacités du cinéaste quand il s'engage dans un projet casse-gueule. J'étais plein de réticences : la 3D, la technique de motion capture, le souvenir d'un film pour rien avec le quatrième volet des aventures du Docteur Jones et mon regret de voir repoussé le projet sur Abraham Lincoln. Réticences balayées le temps d'un générique brillant et d'une idée aussi émouvante que géniale : dans la première minute, le Tintin de Spielberg motion-capturé se fait tirer le portrait par un dessinateur des rues bruxelloises qui a le visage de Hergé et trace le visage bande-dessiné universellement connu. Passage d'un art à l'autre, d'une technique à l'autre, de Hergé à Spielberg, de l'Europe à l'Amérique, belle idée de transmission qui définit à la fois d'où vient le film et où il entend aller. The adventures of Tintin peut commencer, puisant à la fois dans trois albums : Le secret de la Licorne, Le trésor de Rackam Le Rouge et Le crabe aux pinces d'or, mais aussi dans l'œuvre du cinéaste. De fait, le Tintin de Spielberg m'apparaît comme le véritable quatrième épisode des aventures de son archéologue aventurier, façon de boucler la boucle tant on a dit et écrit tout ce que ce personnage devait au reporter du Petit Vingtième. Ce qui est une façon particulière de voir les choses puisque Indiana Jones vient d'abord de cinquante ans de serials et de films d'aventure hollywoodiens, qui eux-mêmes ont pu nourrir l'imaginaire de Georges Rémi. Rien ne se perd, rien ne se crée, et toutes ces sortes de choses. Mais plus encore, The adventures of Tintin est une exploration de l'univers de Hergé à travers les formes du cinéma de Spielberg, une œuvre forcément hybride donc, qui justifie par là sa technique entre prises de vues réelles et animation, et qui permet au cinéaste de s'approprier le matériau du dessinateur tout en lui rendant hommage, de le trahir en lui restant fidèle.

 Cette exploration menée sur un mode ludique et à un rythme soutenu passe par de nombreux renvois : Les marins du chevalier de Hadoque sont noyés comme les esclaves de l'Amistad, un requin est pendu dans le dortoir des marins du Karaboudjan et la houppette de Tintin fend les flots comme un aileron. La progression de Milou sous les vaches est semblable à celle des raptors dans la prairie herbeuse, la vitrine de la Licorne se fend comme le pare-brise sous les doigts du personnage joué par Julianne Moore. Cela fonctionne parfois sur le mode du gag mais plus souvent sur la figure de style, sur une mise en scène qui montre combien elle se sent à l'aise avec cet univers. L'hommage, la fidélité au travail de Hergé passe par l'aisance de Steven Spielberg à s'emparer du matériau de la bande dessinée, avec une gourmandise palpable dans le rythme, l'humour et le jeu de miroir constant (Figure abondamment utilisée dans le film) entre les cases de l'un et les plans de l'autre. Cette aisance permet aussi de prendre d'autres pistes quand Spielberg, non seulement mixe plusieurs albums pour une aventure, mais encore greffe les figures de son cinéma de pur divertissement sur le récit canonique. Indiana Jones viendrait de Tintin ? Il y retourne avec plusieurs scènes d'action spectaculaires, poursuite à moto, combats des grues portuaires, séquence aérienne. Des scènes un peu trop dans l'esprit de démesure actuelle, mais qui ne doivent pas faire oublier que les aventures dessinées de Tintin ont multiplié les poursuites, les catastrophes, les accidents. Fondamentalement, The adventures of Tintin est éminemment spielberguien et l'admirateur transi retrouvera avec une jouissance certaine tel rapide travelling avant sur un visage, telle intrusion d'un avant plan dans le champ large, telle ouverture de l'espace qui sont sa signature comme la ligne claire chez le dessinateur belge.

 On peut négliger la 3D qui n'apporte (toujours) rien. Spielberg a toujours beaucoup joué sur la profondeur de champ, on oublie donc très vite le « truc », à deux ou trois effets très années 50 près (La canne que Sakarine nous agite sous le nez par exemple). La motion capture est assez étonnante, alternant des visages quasiment « réels » comme celui de Sakarine, avec le surgissement sur l'écran de figures étrangement proches de leur modèles dessinés. C'est cas de plusieurs personnages secondaires (La concierge Mme Pinson, le cleptomane Aristide Filoselle et surtout Nestor) qui semblent littéralement sortir des cases originales. Pour les protagonistes principaux, nous sommes à cheval entre la stylisation de Hergé et une volonté réaliste (détail des dents, des systèmes pileux, brillant des yeux, sueur...) qui fait un étrange effet et dont on pourra comprendre qu'elle rebute certains. Mais l'arrière-plan, les décors et accessoires sont remarquables, substituant franchement au dépouillement de Hergé, un foisonnement de détails et de textures qui évoque une plongée dans les univers de Franquin ou de Maurice Tilleux (ah, les voitures européennes des années 50 et les meubles !).

 Plus subtilement, Spielberg recherche aussi au sein de son spectacle une connivence plus intime avec Hergé. Une proximité intellectuelle et sensible. Il met en avant Haddock, et avec Le crabe au pinces d'or, l'épisode capital de la rencontre entre le marin et le jeune journaliste. En mettant en avant le capitaine haut en couleurs, hanté par les démons de l'alcool et à la recherche de la mémoire de ses ancêtres, Spielberg revient sur sa vieille obsession de la quête du père absent et ses peurs de l'autodestruction, de l'échec qui hante tant de ses héros. Il double (miroir, miroir) cette quête par celle, identique, qui motive le vilain de l'histoire, Sakarine, personnage très secondaire de l'album. Par contraste, Tintin, personnage lisse, sans famille (son père, c'est son créateur) ni sexualité, reçoit le rôle classique chez le réalisateur du maître des signes qui sera capable de remettre de l'ordre dans le chaos du monde. Tintin s'insère sans peine à la suite de Roy Neary, Indiana Jones, Oscar Schindler, ou le caporal Upham. Il analyse, agit, communique, apprend, maîtrise (plus ou moins bien) les situations et les techniques (l'avion, la télégraphie). Comme Rouletabille, autre figure ronde et juvénile, il sait s'appuyer sur le bon bout de sa raison. Et j'imagine que cette double figure : Haddock – Tintin a nourrit la passion et la persévérance de Steven Spielberg sur ce projet. C'est cette proximité intuitive avec Hergé l'homme comme l'œuvre, qui a développé l'obstination président à la réussite du film. Un cas de figure proche de la relation nouée avec Stankley Kubrick sur A.I. (2000). Et les réserves que l'on sait chez ceux qui récusent cette proximité.

 Finalement, les questions que posent The adventures of Tintin sont d'ordre plus générales et dépassent le film et le plaisir réel qu'il peut procurer. Elles concernent l'évolution des techniques, du cinéma lui-même et la place de la création. Où va t'il ? A quoi resemble t'il ? Qu'est-ce que ça veut encore dire, faire du cinéma ? Ici en particulier le jeu d'acteurs, leur relation avec le metteur en scène, au cœur d'un tel dispositif semble se dissoudre. C'est ce qui continue de me laisser perplexe. Comment imaginer filmer Edwige Fenech dans un costume à lampions pour la pixelliser ?

Edouard sur Nightswimming

Buster sur Balloonatic

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Les découvertes de l'inspecteur Silvestri

 Il y a un petit côté Gainsbourg chez le réalisateur Massimo Dallamano. Une fascination pour les collégiennes en tenue sage et les turpitudes qui se dissimulent derrière la façade lisse et respectable. Quelque chose d'une parabole sur l'innocence et sa perte. La critique aussi d'un monde dont la perversité s'exerce sur le symbole même de la pureté, la jeune fille, quelque chose de proche du principe du sacrifice rituel des sociétés anciennes qui exigeaient la destruction d'une jeune vierge en offrande aux forces surnaturelles. Dans son giallo majeur Ma cosa avete fatto a Solange (Mais... qu'avez vous fait à Solange ? - 1972), Dallamano investissait un collège anglais et huppé pour en faire le cadre de meurtres atroces liés à de sordides histoires d'avortement clandestin. Dans La polizia chiede aiuto (La lame infernale) réalisé en 1974, c'est l'étrange suicide d'une lycéenne qui met les enquêteurs sur la piste d'un réseau de prostitution d'adolescentes recrutées dans une école religieuse pour filles de bonne famille. Les clients font également partie du gratin local. Charmant. Dallamano n'y va pas de main morte et il appelle un chat, un chat (pauvre bête). Au risque d'une certaine ambiguïté, il est direct par éclairs (le cadavre pendu, la tête coupée qui roule, la poitrine juvénile de Sherry Buchanan) tout en privilégiant la suggestion qui lui permet de créer une atmosphère angoissante et malsaine. Il utilise alors l'évocation graphique (les murs ensanglantés) et la bande son quand l'inspecteur Silvestri peut écouter enfin l'enregistrement clandestin et glaçant d'une passe. Ce que notre imagination reconstruit de la découverte d'un cadavre redouble d'intensité une très belle scène de suspense hospitalier comme l'agression de l'assistante du procureur Vittoria Stori dans un parking, évoquant celle du personnage joué par Edwige Fenech dans Il stano vizio della signora Wardh (1971).

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De fait, Dallamano opère avec ce film un croisement entre le giallo et la polar, deux genres alors en vogue. D'un côté, il y a ce personnage terrifiant de tueur à moto, cuir noir et casque intégral, si habile avec son hachoir. De l'autre l'enquête est menée par l'inspecteur Valentini (Mario Adorf, excellent dans un second rôle qui aurait mérité d'être plus développé) puis conjointement par l'inspecteur Silvestri (Claudio Cassinelli une nouvelle fois superbe, tout en retenue, regards intenses et petits gestes précis) et Vittoria Stori jouée par Giovanna Ralli, l'inoubliable Columba de Il mercenario(1969) de Sergio Corbucci, qui livre une belle prestation en équilibre entre force et faiblesse, évitant les clichés attendus sur sa rivalité avec son partenaire masculin. S'ajoute une dimension de critique politique, pas trop appuyée ce qui lui évite la lourdeur. Comme dans tant de films du même genre, Dallamano et son scénariste Ettore Sanzò dont c'est le premier script, traduisent la défiance du pays envers ses élites. Le soupçon généralisé, la corruption des mœurs valant pour d'autres domaines. Là encore et sans entrer dans les détails, le réalisateur est direct et le haut responsable auquel se heurtent Silvestri et Stori leur dit sans ambages qu'il n'est pas question de poursuivre les notables dont les noms ont fini par être découverts. Un tueur au hachoir est en liberté, ils peuvent toujours courir après. Lui est issu d'un milieu populaire. On retrouve dans la scène finale, avec la disposition des immeubles en arène et la foule accourue en masse, cette idée de sacrifice rituel destiné à rétablir l'ordre des choses et à apaiser le désir collectif de sang, cette fois par la mise à mort du bouc émissaire.

Formellement riche, le film adopte la forme d'une spirale, nous entrainant dans un mouvement continu et maîtrisé qui enfonce les enquêteurs toujours plus profond dans l'horreur au fur et à mesure qu'ils progressent sur la voie de l'invraisemblable vérité. Cette forme trouve son expression dans un travail de caméra très mobile d'un endroit de la ville à l'autre. Nous suivons les policiers qui investissent les lieux et en découvrent les macabres secrets. Exemplaire est l'exploration de l'appartement moderne qui servait de lieu de rendez-vous et qui les met sur la piste d'un nouveau crime. Sous la surface lisse et sophistiquée se laisse entrevoir proxénétisme et détournement de mineure, puis la contrainte, la violence, et finalement une porte s'ouvre sur les traces sanglantes d'un crime spectaculaire. Il faut ici saluer l'admirable partition de Stelvio Cipriani dont les nappes métalliques et grondantes épousent étroitement le rythme des images et celui du récit, le relançant sans cesse, ironisant sur un étrange chœur féminin à l'innocence décalée, avant de se déchainer en sonorités plus dures. Un travail remarquable, proche de celui effectué sur La polizia a le mani legate (1974). le montage de Antonio Siciliano, déjà responsable de celui de celui de Ma cosa avete fatto a Solange ?, harmonise le tout, avec quelques accélérations lors des rares scènes d'action pure (l'inévitable poursuite voiture – moto, la belle descente d'escalier dans l'hôpital, la scène finale) tandis que la photographie de Franco Delli Colli travaille les ambiances giallesques, accentuant le côté film noir plutôt que polar moderne, ce qui n'est pas plus mal. On pourra éventuellement tiquer, et j'imagine que ce fut le cas à l'époque, sur l'idéalisation un peu naïve de la sainte alliance entre policier de base intègre et magistrate courageuse contre les puissants pourris et invisibles, sans plus de nuance que ça. Silvestri convainc Valentini de reprendre sa démission malgré les pressions subies, et ils repartent comme en quatorze. Les braves gens !

Sur Psychovision

Sur Quiet Cool (en anglais)

Photographie DR source Cinema.de

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Des cinéphiles et des Dieux

Voici un nouveau questionnaire qui tombe bien à propos, concocté par Ludovic de Cinématique, sur les Dieux et le Cinéma. Mon Dieu que dire, sinon que le blog Inisfree, à l'image de son modèle fordien se veut terre d'harmonie et de tolérance, quoique sa plume soit aussi peu croyante qu'il est possible. Mon Olympe est un plateau où se réunissent de simples hommes autour d'une caméra, préférant les « moteurs » et « action » aux « Amen » et « Allah Akhbar », ma terre promise se situe du côté de Monument Valley, mes temples sont des salles aux écrans immaculés, mes icônes des photographies d’exploitation. Et Dieu dans tout ça ? Et bien voyons...

1) Parmi tous ceux qui ont été représentés au cinéma, quel est votre dieu préféré ?

Le monolithe kubrickien de 2001 (1968)

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2) Quel édifice religieux, présent dans un film, vous a donné envie de vous y attarder ?

Les édifices en ruine où s'isolent les amants de The quiet man (L'homme tranquille) de Ford ou L'amour d'une femme (1953) de Grémillon.

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3) Quel personnage de prêtre vous a le plus marqué ?

Klaus Kinski, prête révolutionnaire et halluciné dans El Chuncho (Quien sabe ? - 1966) de Damiano Damiani.

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4) Quel est le film le plus blasphémateur que vous connaissez ?

Viridiana (1960) de Luis Bunuel

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5) Quel Jésus de cinéma vous semble le plus fidèle à l’original ? Et le moins ?

Tous ceux que l'on ne voit pas, ou presque, mais qui sont évoqués dans Ben Hur (1958) de William Wyler, Life of Brian (1979) des Monty Pythons, Il ladrone (Le larron – 1980) de Pasquale Festa Campanile. Je citerais aussi Cambreau, joué par Ian Hunter dans le très curieux et allégorique Strange cargo (Le cargo maudit - 1940) de Frank Borzage.

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Le moins, je me souviens d'un curieux film de Luigi Comencini, Cercasi Gesù (L'Imposteur - 1983) avec Beppe Grillo.

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6) Pour quel film mythologique, avez-vous un faible ?

Si je m'en tiens à la mythologie pure, Ercole al centro della terra (Hercule contre les vampires - 1961) de Mario Bava. Excalibur (1981) de John Boorman est un enchantement pour ce qui est des mythes celtes.

Dans le registre des peplums religieux, The sign of the cross (Le signe de la croix – 1934) de Cécil B. De Mille est extraordinaire avec son combat des nains contre les amazones et ses vierges chrétiennes dévorées par des crocodiles.

7) Quel est votre film de moines (ou de nonnes) favori ?

Raining in the moutain (1979) de King Hu, je n'avais jamais vu ça avant.

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8) Parmi les films abordant la religion juive, quel est votre préféré ?

Le plus original, Pork and milk (2004) de Valérie Mrejen sur jeunes juifs ayant réussi à se sortir du milieu ultra orthodoxe. Historiquement, le Rabbi Jacob (1973) de Gérard Oury.

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9) Même question pour l’islam ?

Mes collègues ayant beaucoup cité le magnifique Al Massir (Le destin - 1997) de Youssef Chahine, je mentionnerais , c'est d'actualité, le Timbuktu de Abdherramane Sissoko

10) Quel film a su le mieux traduire l’intensité du monde païen ?

Princesse Mononoké (1996) de Hayao Miyazaki sur le conflit entre les anciens Dieux et les hommes.

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11) Sous les traits de quelle actrice aimeriez-vous voir une apparition de la Vierge Marie ?

Edwige Fenech !

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12) Dans quelle œuvre avez-vous trouvé dépeint le plus fidèlement un rituel religieux ?

Chez John Ford, il y a toujours une façon très originale et sensible, simple, d'aborder les rituels de la religion catholique : la fête dans l'église en construction de My Darling Clementine (La poursuite infernale – 1946), la messe de Noël de Donovan's reef (La taverne de l’irlandais – 1963), la cérémonie funèbre dans They where expandable (Les sacrifiés – 1945), l'enterrement expéditif de The searchers (La prisonnière du désert – 1957)... Il sait à l'occasion monter d'autres religions comme le chant de mort des apaches dans Rio grande (1950).

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13) Un miracle vous permet d’entrer véritablement à l’intérieur d’un film : lequel ?

J'irais bien faire un tour du côté d'Inisfree

14) Quel est votre Diable préféré ?

Les diables français hauts en couleurs, Jules Berry ou Michel Simon.

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15) Avez-vous découvert une religion au cinéma ?

A peu près toutes, y compris les plus étonnantes comme les rites vaudous chez Tourneur et Rudolph Maté, les Haoukas chez Rouch, les Amish et les aborigènes chez Weir, les juifs ultra-orthodoxes chez Gitaï ou Lumet, les orthodoxes chez Cimino et Tarkovski, les religions asiatiques...

16) Quel est à vos yeux le plus grand cinéaste chrétien ?

Luis Bunuel, parce qu'il maîtrise le sujet, Pasolini juste derrière.

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17) Dans la république islamique dépeinte par Michel Houellebecq dans son dernier roman, Soumission, quels cinéastes ou quels films auraient, à votre avis, droit de cité ?

Je ne sais pas trop à quoi ressemblerait cette république islamique, n'étant pas lecteur de Houellebecq, mais j'imagine que l'on trouverait le même genre de films que ce qui sort actuellement comme par exemple en Iran Facing Mirrors (Face aux miroirs - 2011) de Negar Azarbayjani . En Arabie Saoudite, les salles sont interdites depuis les années 80, mais il existe une salle IMAX à Khobar, donc voilà, au pire on pourra voir des films en IMAX.

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18) Quel film vous obligerait-on à revoir sans cesse si vous séjourniez aux Enfers ?

L’œuvre complète de Michael Haneke, quoi d'autre ?

19) Étant entendu que la cinéphilie est pour vous une sorte de religion, quel en est le ou les dieux ? Le ou les prophètes ? Les rites principaux ?

Disons un Panthéon, une Olympe en forme d'immense studio de tournage où se créent toutes les histoires et où les prophètes-critiques chantent les louanges des Réalisateurs-Dieux et des actrices-Déesses.

Les fidèles respectent les rites de la salle, de l'ouverture du rideau, de la tombée de l'obscurité, de l'apparition du divin rai de lumière, de la sainte Version Originale et du silence en projection, sauf pour rire ou psalmodier « C'est pas possible ! ». Parfois, avant la projection, le moine-projectionniste vient présenter une relique de la céleste pellicule qui suscitera des murmures d'admiration. A l'issue de la cérémonie, il est possible d'applaudir ou de siffler, mais avec tact. Vient ensuite la lecture des écritures des vénérés prophètes ou le recueillement devant les saintes icônes affichées dans le hall. Les fidèles peuvent alors se retrouver autour d'une bière et se livrer à des joutes verbales et contradictoires autour des miracles filmés en évitant les débordements physiques et le point Goodwin.

20) Y-a-t-il une scène ou un film qui ait un jour choqué vos convictions, que celles-ci soit de nature religieuse ou non ?

Ce qui me choque au cinéma, c'est quand on veut me prendre pour une bille. Donc cela arrive. Je m'en tiendrais à mon grand traumatisme classique, Il grande silenzio (Le grand silence – 1968) où Sergio Corbucci m'a dévasté en montrant la victoire complète du mal dans un western.

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Tchika, tchika, tchik !

Copacabana Palace (1962) de Steno

Voilà un film estival idéal : ensoleillé, exotique, amusant, coloré, musical et sans conséquences. Ça se passe au Brésil, à Rio de Janeiro, autour de la plage la plus fameuse du monde. C'est un film italien (avec coproduction franco-brésilienne) de 1962, donc une imagerie de carte postale déployée avec une innocence touchante : le sable blanc, les grands hôtels, les restaurants à l’ambiance feutrée, les avions que l'on prenait alors avec simplicité, les petits calots penchés sur la tête des hôtesse de l'air, les costumes de soirée clairs avec nœud papillon noir, les yachts blancs aux grandes voiles, les bikinis au bord de piscines azur, les terrains de golf si verts, les bals et bien entendu le carnaval. Trois ans après le Orfeu negro (1959) de Marcel Camus, les favelas restent hors champ et les quartiers populaires, où la compagne de l'un des héros tient un bar, sont aussi sympathiques que ceux de Rome dans I soliti ignoti (Le Pigeon, 1958) de Mario Monicelli.

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Le scénario signé du grand Luciano Vincenzoni mêle trois histoires qui ne se croisent pas, donnant au film l'allure d'un film à sketches entrelacés. Il y a trois bras cassés venus faire un hold-up, une princesse et son amant suivis par le mari, et trois hôtesses de l'air qui entendent profiter du carnaval et des beaux brésiliens. Vincenzoni ne s'est pas foulé en restant à ce qui peut être attendu de tels points de départ. Par contre les histoires sont bien menées même si celle des hôtesses est très ténue. L'ensemble est agréable quoiqu'un peu bavard, porté par la mise en scène compétente de Steno. De son vrai nom, Stefano Vanzina, Steno fait partie des pointures de la comédie populaire à l'italienne, sans avoir été mis sur le même plan que Dino Risi ou Monicelli dont il fut l'assistant. Il a fait tourner tout le monde, de Ugo Tognazzi à Bud Spencer, d'Edwige Fenech à Monica Vitti, et surtout le grand Totò. En 1972, c'est lui qui lance la mode du Poliziottesco avec le succès de La polizia Ringrazia (Société anonyme anti-crime). Compétent donc, Steno livre un travail très ligne claire, efficace et sans bavures. Il bénéficie de la qualité qui était la norme dans le cinéma de genre italien de l'époque : belle photographie Technicolor du futur réalisateur Massimo Dallamano (qui signera l'image des deux premiers westerns de Sergio Leone), écran large en Dyaliscope, musique pop de Gianni Ferrio et tournage sur place.

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Il a également à sa disposition une belle bande de comédiens dont l'abattage participe du plaisir que l'on peut prendre aujourd’hui à cette œuvre un peu surannée, avec en tête Sylva Koscina et ses grands cils noirs, Walter Chiari, Franco Fabrizi et Paolo Ferrari. Coproduction avec la France oblige, on découvre dans Copacabana Palace le toujours excellent Raymond Bussière en petit truand sympathique, Claude Rich en mari tordu et surtout Mylène Demongeot qui crée le personnage le plus intéressant du film. Sa princesse Zina von Raunacher est d'abord une femme amoureuse qui compte sur son séjour brésilien pour, enfin, passer à l'acte avec un amant qui se révèle peu empressé. D’où une succession d'actes manqués, un empêchement permanent qui met les nerfs de la princesse à rude épreuve. Demongeot donne une charge érotique à son personnage en jouant bien sûr avec son apparence, mais surtout sur un sentiment de frustration et même sur une véritable douleur du désir inassouvi. Il faut la voir sur le pont du bateau de son amant, entourée de beaux brésiliens musclés, la bouche entrouverte, désolée de se voir négligée. Et quand elle l'attire pour un baiser, l'imbécile se fait un tour de rein. Ça pourrait être scabreux, c'est plutôt émouvant et inattendu dans un tel cadre.

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La frustration est le dénominateur commun aux trois récits. Les trois voleurs subissent comme chez Monicelli plusieurs revers d 'un destin taquin. L'épisode des hôtesses est une variation en mode mineur tout en prenant un intérêt imprévu et extérieur au récit. Les trois jeunes femmes veulent passer leur carnaval en compagnie. Hélas, les trois hommes qu'elles embarquent vont se révéler en toute innocence mariés et pères de famille. Mais du coup, les voilà intégrées à un groupe chaleureux qui va leur faire découvrir le carnaval mieux qu'elles ne l'auraient rêvé. Là où le film prend une autre valeur pour le spectateur contemporain, c'est que les trois prétendants sont musiciens et sont joués par rien moins que Antonio Carlos Jobim, Luis Bonfa, et Joao Gilberto. La bande musicale, à côté du travail de Ferrio, comprend donc quelques classiques de la Samba et de la Bossa-Nova comme le célèbre Só Danço Samba joué ici par João Gilberto et le groupe Os Cariocas, Samba do Avião de Jobim, Canção do Mar de Bonfa sur des paroles de paroles de Maria Helena Toledo et Tristezza toujours de Bonfa et Toledo, chantée par Norma Bengell. Steno saisi sur le vif un moment de la musique brésilienne et, lui ou une seconde équipe, nourrit le film de plans documentaires du carnaval qui se mêlent à ceux reconstitués et donnent un film une certaine authenticité. Rien que ça vaut le coup d’œil et d'oreille.

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Photographies DVD Surf Films et collection privée source Libération.

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Un giallo, des gialli

Reprenons, si vous le voulez bien, notre exploration de cet univers bien particulier au sein du cinéma de genre italien : le giallo. Mystère et tueur sadique, jolies femmes dénudées et suspense, musique suavement pop et images baroques, les ingrédients de base ne varient guère. Ici, seule compte l'inspiration du cinéaste et son art de lier la sauce.

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I corpi presentano tracce di violenza carnale alias Torso, réalisé en 1973 par Sergio Martino, a la réputation d'un plat relevé. Il me semble qu'il le doit à l'étrange cagoule anxiogène de son tueur ainsi qu'à quelques meurtres bien sentis dans une ambiance qui annonce les multiples films de psychopathes américains de la décennie suivante, Friday the 13th et toutes ces sortes de choses. Nous voici donc à Pérouse, riante cité italienne où de terribles meurtres déciment un groupe de jeunes et jolies étudiantes en art. Ces dernières sont plutôt délurées et ne portent que des tenues tout à fait excitantes. Leurs professeurs sont charmants et guère plus âgés. Mais le tueur est toujours là au bon moment, traquant ses proies en caméra subjective.

Sergio Martino n'aime visiblement pas les hippies. Il les assaisonne dans Milano trema, la polizia vuole giustizia, tourné la même année, nous les présentant dans de vastes squats, groupe de zombies juvéniles vêtus de haillons psychédéliques. Fumette et baisouille, cheveux longs et musique des sphères signée Guido et Maurizio de Angelis, le portrait est sans nuance. Il le reprend tel quel, musiciens compris, dans Torso. L'une des héroïnes se fait tripoter par deux éphèbes qui ont la grâce de limaces sur une laitue. Peu enthousiaste (sa copine vient quand même de se faire trucider), la donzelle part respirer dans les bois, seule et en tenue légère, vraiment la dernière chose à faire en de telles circonstances. Surtout quand dans les bois flotte la brume. Bien sûr le tueur rôde tel le grand méchant loup et Martino nous trousse une séquence au sadisme virtuose, mêlant la peur, les arbres et la boue. C'est très réussi.

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Mais tout le plat n'a pas cette saveur si je puis me permettre de filer la métaphore culinaire. Si l'intrigue n'est qu'un prétexte, ce que nous admettons volontiers, le scénario, dû à Martino et Ernesto Gastaldi, est très relâché. Difficile de se repérer dans les nombreuses jeunes femmes. Dès que l'on s'intéresse à une, elle se fait trucider. Alors que je pensais avoir mis un visage sur l'héroïne, Daniela (Tina Aumont), voilà que Martino retourne la situation au bout d'une heure de film et Jane (Suzy Kendall), plutôt secondaire jusque là, se retrouve propulsée sur le devant de la scène pour la dernière partie. J'en suis resté tout décontenancé, d'autant que côté masculin, c'est pire. Tous ont de bonnes têtes de suspects, y compris Luc Merenda aussi tête à claque que d'ordinaire. Brouiller les pistes, c'est la loi du genre. Mais ici, Martino ne semble intéressé que par les meurtres et par les fesses de ses actrices. Pas un personnage n'est intéressant, les acteurs moyens et le film est très irrégulier, loin des belles mécaniques et des portraits émouvants de ses films avec Edwige Fenech. Côté érotisme, si la séquence d'ouverture est troublante à souhait, le côté systématique du déshabillage des actrices tend à faire basculer le film dans la vulgarité. Pourtant...

Pourtant, au bout d'une heure se produit une petite révolution. Daniela, Jane et deux copines se sont réfugiées dans une villa surplombant un village pour s'éloigner du tueur. Jane se retrouve immobilisée avec une entorse. Au matin, elle se lève et se retrouve seule. Les trois autres ont été occises. Le tueur a aussi fait le déplacement et il est toujours là. Il ignore, semble-t'il, la présence de Jane et a entreprit, sans se presser, de découper (à la scie) les trois cadavres pour les faire disparaitre. Avec son entorse, Jane est coincée. Et Sergio Martino de nous clouer au fauteuil avec une demi-heure quasi muette de suspense tendu à l'extrême, exécuté avec maestria. On pense à What ever happened to Baby Jane (Qu'est-il arrivé à Baby Jane – 1962) de Robert Aldrich, à des dispositifs similaires et plus récents, et l'on retrouve avec plaisir le Sergio Martino que l'on aime. Avec très peu de choses, deux pantoufles, une clef, un journal, et une bande son très travaillée et qui travaille sur nos nerfs, il nous offre un grand moment de pur cinéma. On lui pardonnera donc une chute convenue dans laquelle il emploie un procédé plutôt malhonnête et va bene cosi.

A noter la participation de collaborateurs fidèles, Giancarlo Ferrando à la photographie et Eugenio Alabiso au montage. Mais eux aussi ne brillent réellement que dans les séquences fortes.

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Que penser d'un homme qui ouvre son film sur la sublime Barbara Bouchet, nue, aux mains d'un masseur aveugle ? D'un homme qui s'attarde sur un lobe d'oreille, le duvet délicat d'un bras ? Que du bien ! Vous me direz, non sans raison, que nombre de gialli commencent par de telles scènes coquines. Mais La tarantola dal ventre nero (La tarentule au ventre noir), tourné en 1972 par Paolo Cavara, c'est un film de grande classe. Non qu'il se distingue sur le fond des autres réussites du genre, mais il possède déjà ce qui fait défaut à beaucoup.

D'une part son héros est un minimum intéressant. C'est Giancarlo Giannini qui joue l'inspecteur Tellini menant l'enquête sur ces femmes splendides assassinées horrible façon (air connu). Histoire de justifier le titre, notre maniaque en gants noir paralyse ses victimes à l'aide d'une fine aiguille plantée dans la nuque avant de les charcuter, à la façon de ces guêpes qui pondent leurs œufs dans des araignées ainsi réduite à l'impuissance. Sales bêtes. Mais revenons à Tellini qui est intéressant parce que durant tout le film, il se demande s'il est fait pour son métier. Il semble bien que son idéal de vie réside dans ses pantoufles et sa charmante femme. Comme elle est jouée par Stefania Sandrelli, ça peut se comprendre. Voici donc un personnage qui, sans être shakespearien, est attachant, et dont on a plaisir à suivre les aventures, les doutes, les erreurs. Il contribue à donner une véritable intensité aux scènes finales et une atmosphère un peu mélancolique à l'ensemble, finalement assez originale dans le genre.

D'autre part, ne nous voilons pas la face, Paolo Cavara a réunit une distribution féminine d'exception. J'ai déjà cité Barbara Bouchet et Stéfania Sandrelli assez superbes dans des registres opposés. Il faut leur adjoindre Claudine Auger (soupir !), Rossella Falk (Vue chez Federico Fellini, Joseph Losey et quelques fleurons du genre), Annabella Incontrera (spécialiste du cinéma de genre, vue chez Julio Busch et Riccardo Freda) et la débutante Barbara Bach ( soupir bis !). Si avec cela vous avez besoin que je vous parle de cadrages, de mouvements de caméra et de l'envoûtante partition signée Ennio Morricone, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? Le film est un festival de boucles brunes et blondes, d'yeux clairs rehaussés de noir, de déshabillés jaunes, de courbes souples, de visages délicats, de peaux satinées, de jambes longues, de frémissements et de soupirs, plaisir ou douleur, plaisir et douleur. C'est une sorte de concentré de tout l'univers fantasmatique du genre et, sur ce plan là, une réussite absolue.

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Qu'importe alors s'il révèle ses limites, notamment une image quelque peu réductrice de la femme. Dans le monde du giallo, la femme est trop belle et elle paye pour cela le prix fort, en souffrance et en mort. Pourtant, il ne faudrait pas en tirer de trop hâtives conclusions. Les hommes de leur côté y sont soit veules, soit fous. Face aux femmes sublimes, ils ne savent que les détruire avec sauvagerie ou rester les bras ballants comme des idiots. Si le personnage de Tellini est intéressant, c'est parce que c'est un mou, un grand gamin timide qui se réfugie dans le cocon soigneusement entretenu par son épouse pour s'y lover comme dans un ventre maternel. La scène de l'humiliation devant ses collègues, lorsque l'on projette un super 8 fait par l'assassin qui l'a filmé au lit avec sa femme, est une jolie critique de l'esprit de cour de récréation des milieux masculins. L'épreuve finale, particulièrement cruelle, lui fera peut être prendre conscience qu'il est temps de se conduire en adulte. En cela, il sort de l'ordinaire des héros du genre, y compris ceux de Dario Argento.

Paolo Cavara n'a pas une carrière très fournie. Il débute comme assistant sur The naked Maja (La Maja nue) de Henry Koster avec Ava Gardner en 1958 avant de co-réaliser le documentaire polémique Mondo cane de Gualtiero Jacopetti en 1962. On lui doit quelques films dans des registres divers dont un western avec Anthony Quinn et Franco Nero. Rien de saillant. La tarantola dal ventre nero a tout de la conjonction heureuse pour un classique instantané. On pourra lui reprocher ce côté exercice de style sans bavure ou se laisser aller à la contemplation des courbes du lobe de l'oreille de Barbara Bouchet, toucher à l'infini et au-delà.

 

Torso

Sur Mrs Peel sardine's liqueur (en anglais)

Sur Devildead

Sur Psychovision

Sur Also known as

Sur Horror Theater Vidéo (en anglais)

Sur Profundis (en italien)

La bande originale sur Screen Archive (avec extraits)

 

La tarantola dal ventre nero

Sur Psychovision

Sur Profondo Thrilling (en italien)

Sur Splatter (en italien)

La bande originale sur Screen Archive (avec extraits)

Images source capture DVD, Cinébeats et Coffee, coffee and more coffee

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Une décennie en ligne

10 ans. Commencer par vous remercier, lectrices et lecteurs, réguliers, occasionnels, historiques ou nouveaux venus. Vous m'avez fait l'honneur et le plaisir de passer régulièrement mettre de la vie et de l'action sur Inisfree, justifiant si besoin en était son existence.

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10 ans. Cette fois je suis pile à l'heure. J'ai mis en ligne la première note d'Inisfree le 13 novembre 2004 à 1h55, c'était une époque où je pouvais veiller très tard. J'avais essayé quelques plate-formes avant de me décider pour la plus simple. C'était un article de Libération qui avait attiré mon attention sur ces nouveaux supports en ligne qu'étaient alors les blogs. J'ai été immédiatement séduit. Avec le site rudimentaire de mon association, je m'arrachais régulièrement les cheveux sur les subtilités du code html. Là, d'un coup, je pouvais maîtriser l'outil. Restait à en faire quelque chose. Jusqu'ici, ma cinéphilie chronique s'était exprimée timidement par une poignée de textes sur un site (défunt) L'Autre cinéma. Mais surtout, j'animais Bande à part, une émission hebdomadaire sur une petite radio locale depuis 1997. En 2004 je commençais à avoir envie d'autre chose et d'être plus libre par rapport aux contraintes de temps. Le temps ! C'est la grande affaire. Et déjà je me demandais dans ma première note si je tiendrais la distance.

10 ans, c'est aujourd'hui la réponse. 10 ans, une aventure, de nombreuses rencontres et un plaisir toujours bien là. Inisfree ressemble-t-il à ce que j'imaginais ? Je me demande si j’imaginais quelque chose de précis tant les notes de la première année tâtonnent. Petit à petit, Inisfree a pris une forme, celle d'un petit îlot vert sur l'océan Internet peuplé d'actrices italiennes girondes, de cavaliers solitaires, de baignoires, d'un marronnier, de metteurs en scène borgnes et de blondes mystérieuses. A l'aise avec ce format, je l'ai décliné pour mon projet d'histoire des salles de cinéma niçoises (Cher Nanni...) et il y a peu sur un projet autour de l'un de mes cinéastes fétiches, Sergio Corbucci.

10 ans. C'est aussi l'âge du blog de mon ami le bon Dr Orlof. Cet été, en suivant les festivités de son journal cinéma, j'ai retrouvé des souvenirs identiques tant nos blogs ont eu une histoire proche. Du coup j'hésite devant la répétition. Mais au diable ! Ma première note ne s'adressait à personne en particulier. Je suis alors parti en exploration et croisais les routes d'une admiratrice éperdue de Marilyn, de Ludovic Maubreuil avec ces premiers vrais échanges autour du couple au cinéma, du Contrechamps (défunt) de Sandrine Marques, puis de Pierrot, futur Dr Orlof qui posait la question de l'érotisme. Voilà des valeurs sur lesquelles nous pouvions construire ! Il y a eu les compagnonnages virtuels mais durables et marquants avec Joachim (365 jours ouvrables), Édouard (Nightswiming), Griffe (Notre musique devenu Préfère l'impair), suivis de véritables rencontres. Il y a eu ceux qui ont compté avant de passer à autre chose, comme dans la vraie vie, je pense à Ludo de Série Bis, à Julien « Casaploum » à Imposture, à Rom et à quelques autres dont je conserve les liens et espère que les textes ne disparaîtront pas dans les limbes. Il y a eu le renouvellement avec des gens comme Raphaël, Prince écran noir, Buster et FredMJG avec qui nous avons tant de goûts communs. Il y avait les imprécateurs comme le Stalker, Flingobis ou Zohiloff qui m'ont convaincu de conserver quoi qu'il arrive une certaine distance, du sang froid, et le goût pour l'argumentation plutôt que pour la dispute. Ce n'est pas que j'ai reculé devant un peu de polémique, au contraire, mais c'est encore une question de temps et les échanges sans fin qui finissent par des noms d'oiseaux demandent une disponibilité que je n'ai jamais eue. Cette tendance préfigurait ce qui se passe aujourd'hui sur les réseaux sociaux et qui me pose les mêmes problèmes.

10 ans. Ce qui compte toutes ces années, ce sont les groupes de passionnés avec lesquels se sont construits de longs dialogues. Ce côté collectif est ce qui m'a séduit le plus dans l'aventure blogesque. Il y avait le groupe de westerners de DVDrama avec Tepepa, Breccio, Flingobis, qui s'est transporté sur le forum Western Movies, il y a eu les amis américains avec Ray de Flickhead, Kimberley de Cinébeats ou Peter dont la série coffebreak inspirera mes joies du bain. Avec eux j'expérimentais les blogathons, concept que j'adore, où l'on se retrouve autour d'un thème, Hitchcock, Hawks, Angie Dickinson, les doubles programmes ou Gérard Courant (autre grande rencontre par la bande) à l'initiative du Dr Orlof, les questionnaires pointus de Ludovic, et les fameux "êtes vous..." d’Édouard. Inisfree proposera de plancher sur John Ford, Edwige Fenech, et Corbucci-Godard. Quatre noms qui donnent une bonne définition du cinéma tel que je l'aime et tel que j'aime le faire partager ici. Il y a eu encore la participation à Foco, à l'immense histoire croisée des Cahiers – Positifs d’Édouard, à Panoptique, à l'équipage d'Abordages de l'ami Jocelyn.

Trois aventures se dégagent par leur durée et parce qu'elles répondent à une aspiration profonde quoique non formulée : Kinok, la revue en ligne animée par Laurent Devannne (où je suis entré grâce à Orlof), Les Fiches du Cinéma pour lesquelles je collabore toujours (où je suis entré grâce à Griffe) et Zoom arrière à l'initiative d’Édouard où nous revisitons quelques 70 années de sorties françaises. Aspiration à se retrouver, au-delà de nos espaces personnel, sur un support collectif et peut être plus ambitieux. Une arlésienne qui n'aurait besoin que d'une petite étincelle pour donner un beau feu de joie.

Une dimension qui a été pour moi capitale dans ce principe d’échanges, c'est celle de l'écriture. Au bout d'un an, lisant régulièrement Cinématique, j'ai eu envie d'arrêter car je me trouvais trop mauvais. Un temps de réflexion, et j'ai préféré m'inspirer. Je n'ai depuis cessé de puiser dans ce que j'admirais chez mes collègues pour nourrir mon propre travail : l'organisation de Dasola, la fougue d'Orlof, la rigueur d’Édouard, les télescopages de Joachim, le style de Jocelyn, l'humour de Tepepa, la charte cinéphile du Dr Devo, la générosité de Frédérique, l'élégance de Ludovic, j'en oublie forcément. Je pense à la concision de Christophe et je me dis une fois encore que je fais trop long.

10 ans. Comme le notait le bon Dr Orlof, les choses ont beaucoup changé. 10 ans c'est long sur Internet. Les réseaux sociaux ont bouleversé l’écosystème des blogs cinéphiles tandis qu'apparaissaient de plus en plus de blogs qui parlent séries et films de super-héros, collés à l'actualité comme la moule à son rocher. Le dialogue cinéphile, parfois très nourri, a glissé sur Twitter et Face-de-bouc, Balloonatic étant une remarquable exception. J'ai tenté l'aventure derrière le masque transparent de John T. Chance. J'y ai fait de belles rencontres, mais ces espaces sont trop soumis à la dictature de l’instant. J'y ai vite retrouvé ces problèmes que j'avais avec certaines discussions, moi qui ne suis pas un rapide, moi qui aime et ai besoin de prendre mon temps. J'ai donc laissé tomber tout en maintenant le contact via mon association. Voilà, un grand merci encore à tous ceux qui sont cités au-dessus, et à ceux qui ne le sont pas mais le cœur y est tout pareil. J'ouvre une page « Livre d'Or » (en haut à gauche) et je publierais dans la semaine les contributions conséquentes. Inisfree garde ses portes grandes ouvertes pour dix nouvelles années et plus si affinités.

Vincent

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Viol et châtiment

Autostop rosso sangue (La proie de l’auto-stop - 1977), un film de Pasquale Festa Campanile

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Le réalisateur italien Pasquale Festa Campanile est connu d'abord pour ses comédies et sa manière sensuelle de filmer les femmes. Rire et érotisme avec ce sens de la satire qui fait la gloire de la comédie all'italianna sont ses deux marques de fabrique. Il aura déshabillé et fait défiler devant sa caméra Catherine Spaak dans La matriarca (L'amour à cheval - 1968), Laura Antonelli dans Il merlo maschio (Ma femme est un violon - 1971), Edwige Fenech et Bernadette Laffont dans Il ladrone (Le larron – 1980), et encore Agostina Belli, Ornella Muti, Barbara Bouchet et Lilli Carati qui fut sa compagne. Festa Campanile ou l'homme qui aimait les femmes. Au sein de cette filmographie, Autostop rosso sangue (La proie de l’auto-stop) qu'il tourne en 1977, jure quelque peu. Il s'agit d'un thriller violent, très sérieux, avec des pointes de sadisme et une bonne dose de cynisme. Walter et Ève Mancini forment un couple d'italiens qui voyage en Californie. Les époux sont en pleine crise, Walter est un journaliste frustré qui boit et fait payer ses lâchetés à sa femme. Ève de son côté, quoique moins perturbée en apparence, entretient et encourage une relation sadomasochiste avec son mari. Le couple va prendre en auto-stop Adam (!) Kunitz qui va se révéler un bandit en cavale, psychopathe et donc très dangereux. Autostop rosso sangue est un mélange de road movie et de huis clos électrisant, relevant d'une lignée particulière de films produits dans les années soixante-dix que l'on appelle désormais les « rape and revenge ».

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Les éditions Artus rééditent l’œuvre atypique de Festa Campanile dans une très belle édition qui comprend une copie superbe et un petit livre autour de ce sous-genre particulier. Un livre écrit par David Didelot avec force érudition et illustrations. Le lecteur cinéphile s'y reportera pour tout apprendre sur le « rape and revenge » soit : le viol et la vengeance. Je me contenterais ici de rappeler que le film fondateur en est The last house on the left (La dernière maison sur la gauche) film-culte signé Wes Craven en 1972 et inspiré par Jungfrukällan (La source – 1960) d'Ingmar Bergman ce qui fait bien dans le tableau. A dire vrai, nous sommes en présence d'une sous catégorie du film de vengeance, qui se mange froide comme chacun sait. Et depuis que le cinéma raconte des histoires de vengeance, les scénaristes savent qu'il est mieux d'avoir un bon motif pour le vengeur. L'humiliation est un bon motif qui renforce l’empathie avec le spectateur et l'humiliation sexuelle, le viol, apporte une dose d'horreur supplémentaire qui peut être plus poignante, ou plus racoleuse selon le degré de délicatesse du réalisateur. Dans nombre de westerns, le meurtre d'êtres chers qui va motiver la chasse du héros est souvent lié à des violences sexuelles, que l'on se souvienne de The searchers (La prisonnière du désert – 1956) de John Ford. Avec le recul de la censure tout au long des années soixante, le lien entre viol et vengeance va se faire de plus en plus prégnant, visant le plus souvent à provoquer un sentiment de malaise qui va culminer dans quelques scènes aussi célèbres que difficilement soutenables. Je pense ici au point culminant de Deliverance (1972) de John Boorman. David Didelot explique comment les italiens se sont emparés des codes de ces œuvres marquantes pour nourrir un filon de films de genre dont Autostop rosso sangue est l'une des plus belles réussites.

pasquale festa campanile

La mise en scène de Pasquale Festa Campanile y est pour beaucoup. Le maestro de la comédie érotique s'y révèle doué pour faire monter la tension et pour l'action. Avec ses scénaristes Ottavio Jemma et Aldo Crudo, il propose un récit tendu qui recèle plusieurs coups de théâtres souvent surprenants et qui fonctionne d'autant mieux que les personnages principaux sont assez intéressants pour que l'on s'intéresse à ce qui leur arrive au delà de la simple mécanique du thriller. Ottavio Jemma est un collaborateur régulier de Festa Campanile, un scénariste tout terrain. Aldo Crudo est d’abord un écrivain spécialisé dans le Giallo, la série Noire à l'italienne, avec près de quatre cent romans qui se déroulent le plus souvent en Amérique. Son apport semble essentiel pour ce film qui est censé se passer en Californie mais qui a été intégralement tourné dans les Abruzzes. L'illusion, sans être parfaite, est parfois confondante. Le décor de la station service par exemple est plein de petits détails justes même si l'on voit apparaître la bonne trogne de Ignazio Spalla en barman. Et la photographie de Franco Di Giacomo et Guiseppe Ruzzolini ajoute une touche de sophistication (vestes espaces ensoleillés, couchers de soleils, scènes nocturnes aux noirs profonds) qui séduit. Tous les deux ont travaillé pour le Giallo avec Aldo Lado ou Dario Argento et Ruzzolini a collaboré avec l'exigeant Sergio Leone. Les deux hommes ont une solide expérience d'une certaine image à l'américaine. En contrepoint, c'est le maestro Ennio Morricone qui signe une superbe partition pour le film, alternant des passages plutôt pop avec des morceaux plus lancinants, avec chœurs, dans l'esprit de ce qu'il faisait dans les années soixante-dix pour le polar français. Il souffle ainsi le froid de l'angoisse et la chaleur de l'action. Et puisque l'on en parle, il faut mentionner la scène très réussie où le couple, pensant être débarrassé du tueur, est pris en chasse par un camion. Festa Campanile a vu et potassé le Duel (1971) de Steven Spielberg et en offre une jolie démarcation, reprenant cadres et découpage, comme le principe de la cabine opaque qui dissimule les traits du chauffeur. Plus loin, ce sera un superbe ralenti qui conclut la course désespérée de ses héros. Plus original, il sait d'un mouvement de caméra faire basculer une scène, et celui qui conclut la rencontre entre le tueur et le couple a dû inspirer Robert Harmon pour son Hitcher en 1986. Et en bon italien, Festa Campanile sait jusqu'où aller trop loin. Son finale est à la fois désespéré et tout à fait immoral, rebattant les cartes du « rape and revenge », ce qui vaudra à son film quelques déboires avec la censure de notre beau pays.

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Néanmoins ce sont plus les implications morales du récit qui font le sel de Autostop rosso sangue. Pour ce qui est de la dimension sexuelle pure, le film n'est pas aussi audacieux que certains fleurons du genre et du coup prête moins le flanc à l'accusation de racolage. Dans le rôle d'Eve, c'est la jolie Corinne Clery qui apporte son physique ravissant et son succès coquin dans l'adaptation d'Histoire d'O par Just Jaeckin en 1976. Clery passera en Italie pour une carrière dans le cinéma populaire entre Sergio Corbucci, Giorgio Capitani et Antonio Margheriti. Sans être bouleversante, Clery apporte à Ève son visage innocent et le mélange détonnant de fragilité et de sensualité qui émane de son corps. Le plan où elle sort de la caravane, nue et tenant un des fusils de chasse de son époux pour exercer la partie « revenge », fonctionne parce que c'est elle. Elle est à la fois crédible dans la partie de la femme humiliée, servant d'enjeu sexuel entre les deux mâles qui sont d'une certaine façon renvoyés dos à dos, et en femme trouble, plus forte qu'elle le paraît. Elle conserve ainsi une certaine dignité à son personnage sans pour autant rien dissimuler de sa gracieuse anatomie. A ses côtés, Franco Nero, toute moustache dehors, reste dans un registre qu'il connaît bien et qui lui réussi, celui d'un homme qui encaisse beaucoup et semble toujours prêt à exploser. Comme dans ses grands rôles pour Enzo G. Castellari ou Sergio Corbucci, Nero est celui contre qui le destin ne retient pas ses coups. Il ne craint pas d'apparaître antipathique : ivrogne, journaliste raté, brutal avec sa femme qu'il viole presque, opportuniste à un point qui défie l'imagination. Pourtant il conserve quelque chose d'une rage profonde qui le rend attachant, comme une révolte mal exprimée mais à laquelle on peut s'identifier. C'est ce qui rend le retournement final si brutal, si cynique. Dernier membre du trio, Adam Konitz est joué par David Hess, le frisé terrifiant qui exerçait chez Wes Craven. Hess apporte tout le bagage de son personnage précédent et l'authenticité d'un américain pur sucre. Il est aussi inquiétant que l'on peut le désirer sans faire preuve de beaucoup de subtilité. Grimacier parfois, il dégage néanmoins une sensualité déviante qui fait son effet dans les scènes avec Clery.

Tendu, étouffant malgré les grands espaces, Autostop rosso sangue est une parfaite réussite du cinéma d’exploitation fait avec conviction et ce qu'il faut de talent. S'il ne se cache pas de ses modèles ni des illusions qu'il met en scène, il arrive à trouver sa voie en privilégiant la tension psychologique et la terreur pure à l'effet choc. Ceci n’empêche pas Festa Campanile de donner quelques gages aux amateurs de sensations fortes, que ce soit avec Corinne Clery ou quelques effets gore, francs sans être appuyés. Le réalisateur arrive même à donner à son film un sous-texte politique rappelant qu'il a été tourné en Italie pendant les années de plomb. Impuissance de la police, enlèvements, frustrations, banditisme, hippies redoutables, désillusions politiques et débâcle morale forment l'arrière-plan de cette histoire bien balancée comme dans quelques belles réussites du cinéma de genre de cette époque.

Photographies : Medusa distribuzione.

A lire sur Culturopoing par Vincent Roussel.

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20/07/2016 | Lien permanent

Kinski en guerre

5 per l'inferno (5 pour l'enfer - 1969) de Gianfranco Parolini et Il dito nella piaga (Deux salopards en enfer - 1969) de Tonino Ricci

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Klaus Kinski n'était pas un acteur facile et ce n'est rien de l'écrire. Pour s'en tenir à ce qu'il a donné à l'écran, il est indéniable que sa présence magnétique a marqué tous les films qu'il a joué. Et des films, Kinski en a fait. De tout, le meilleur et le pire, avec l'excès comme règle et la sobriété pour exception. Parfois, le mépris pour certaines bandes purement commerciales, jamais l'indifférence. Question d’énergie. Question de nature. Son corps exprime naturellement l'inquiétude, la fièvre, la folie, la violence. Tout se concentre dans son étrange visage à la fois anguleux et poupon, la sensualité des lèvres charnues à la Mick Jagger, l'arrogance du regard de ses yeux bleus, d'un bleu où l'on se perd. De tout cela, Kinski a su jouer en virtuose tout en restant lucide sur ce que cela signifiait pour lui. Il déclara ainsi que son meilleur souvenir d'acteur, c'était la rencontre à Zagreb avec un petit garçon qui lui avait mimé une scène qu'il l'avait vu jouer dans un film de guerre et où il mourrait devant un tank, la bouche grande ouverte. Cette scène est dans Il dito nella piaga (Deux salopards en enfer) réalisé en 1969 par Tonino Ricci et qui est sortit par les éditions Artus en compagnie de 5 per l'inferno (5 pour l'enfer) signé Gianfranco Parolini sous son pseudonyme favori de Franck Kramer la même année, et dans lequel Klaus Kinski joue également.

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Ces deux œuvres font parties d'un filon exploité par les italiens sur une dizaine d'années, suivant le succès de superproductions américaines ayant pour cadre la seconde guerre mondiale comme Where eagles dare (Quand les aigles attaquent - 1968) de Brian G. Hutton et surtout The dirty dozen (Les douze salopards – 1967) de Robert Aldrich. Le manque de moyens handicape ces films le plus souvent fantaisistes et les réalisateurs tentent de compenser par des méthodes éprouvées dans le peplum et le western : personnages baroques, détails farfelus, surenchère dans la violence et l'action, pointes de sadisme et d'érotisme, allusions politiques.

Avec leurs défauts, ces deux films sont assez réussis. Preuve de son élasticité Klaus Kinski y est en alternance dans les deux camps. Pour Tonino Ricci, il est un soldat américain quoique délinquant. Pour Gianfranco Parolini il campe de façon plus attendue un officier SS aussi infect que prévu. Dans le premier il meurt bel et bien le visage halluciné, chargeant comme un démon un tank allemand dans une scène un peu folle pour le plus grand bonheur de l'enfant de Zagreb. Dans le second, il fini rôti sur des barbelés électriques pour la grande joie de tous et sans doute de son partenaire Gianni « John » Garko qui ne pouvait pas l'encadrer.

Il dito nella piaga, littéralement « Le doigt dans la plaie » ce qui est fort éloigné de la roublardise du titre français, a pour héros un fringant lieutenant américain joué par le beau George Hilton, acteur d'origine uruguayenne et vedette de westerns souvent décontractés ainsi que de gialli fort réussi, souvent en compagnie de la sublime Edwige Fenech. Sur le front italien, notre homme est chargé de convoyer deux condamnés à mort. Carr, un voleur et assassin joué par Kinski donc, et Mac Carey, un soldat noir incarné par Ray Saunders, qui après un rude combat a tiré dans le tas, sur les prisonniers et sur son officier qui tentait de le raisonner. Suite à une embuscade, le lieutenant se retrouve tout seul avec les deux condamnés. Par la grâce du scénario de Tonino Ricci et Piero Regnoli, spécialiste du cinéma de genre ayant œuvré pour Riccardo Freda, Lucio Fulci ou Umberto Lenzi, les trois hommes se retrouvent dans un petit village italien où ils vont fraterniser avec les habitants. Et quand s'annonce une colonne allemande, ils vont le défendre dans un combat désespéré.

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Ce qui frappe aujourd'hui, c'est la ressemblance entre cette histoire et celle du Miracle at St. Anna tourné en 2008 par Spike Lee dans laquelle quatre soldats noirs se retrouvaient dans la même situation. La dimension politique du film italien est la même puisque à travers le personnage de Mac Carey, c'est son statut de soldat et d'américain noir qui est en jeu, et à une époque contemporaine du mouvement Black Power et de l’assassinat de Martin Luther King. Ricci, dont c'est le premier film, se place dans la continuité des westerns de Sergio Corbucci, Damiano Damiani ou Sergio Sollima, qui faisaient passer un discours critique en prise avec leur époque via des personnages de mexicains. La part d'opportunisme de ces discours est un autre problème, mais elle contribue de façon évidente à donner de l'épaisseur à ces films et un intérêt qui perdure aujourd'hui. Avec ses naïvetés, Il dito nella piaga dépasse la simple histoire d'action guerrière. Carr et Mac Carey vont se lier, le premier avec une jeune femme, le second avec un petit garçon, et ces liens vont les pousser à trouver leur rédemption dans le combat. L'officier de son côté apprendra dans sa chair à être moins rigide en s'attachant à ces deux hommes qu'il devait faire exécuter.

Le film possède en outre une dimension supplémentaire assez originale, une dimension religieuse. L’ouverture se fait sur des paysages grandioses et une musique solennelle tandis qu’une voix off nous rappelle la création du monde « Que la lumière soit » et ce genre de choses. Une façon de remettre l’homme à sa place mais avec la légèreté d’un peplum biblique. Plus avant dans le film, les oppositions entre les trois hommes passeront aussi par la religion. Carr affirme son athéisme tandis que Mac Carey est croyant et lie sa croyance au racisme dont il est victime. Le film use de symbolique, le principe de rédemption pour les deux criminels, l’utilisation de la statue à la fin, l’église comme lieu clef du village. Néanmoins, Ricci manque de temps, parfois de finesse, pour bien exploiter cette intéressante piste.

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La réussite du film passe aussi par la mise en scène de Ricci qui joue habilement du contexte pour éviter l'écueil habituel de ces production, la trop grande fantaisie de leurs décors. L'action est située en Italie et Ricci est très à l'aise avec la description du petit village, les maisons de pierre, les oliveraies, les personnages des habitants, les rites et la musique. Tout sonne juste. Le film est en format large avec un beau travail sur les lumières nocturnes de Sandro Mancori à qui l'on doit dans le même genre et la même année les premières scènes nocturnes du Sabata de Parolini. Il y a aussi quelques jolies idées de montage, comme ce raccord sur le gros plan des mains qui permet de passer de l'histoire de Carr à celle de Mac Carey. Je sens que Ricci s'est un peu creusé la tête et je lui en sais gré. La grande bataille finale ne manque pas de souffle et l'enfer se déchaîne avec des tanks qui défoncent les oliviers (ce qui est un véritable scandale) et la statue d'un ange (ce qui fait une jolie scène). Nos trois héros abattent la moitié de l'armée ennemie et Kinski a sa belle mort. La scène finale dégage une certaine émotion et je crois tenir là peut être le meilleur film du genre.

En regard, le film de Parolini est bien léger. En même temps, je ne crois pas que Parolini s'en offusquerait. 5 per l'inferno est un pur divertissement bien dans le style du réalisateur qui reprend nombre d’éléments issus de ses précédents films de genre : la décontraction, une mise en scène sans bavure, une musique pétaradante de Elsio Mancuso, les acteurs-cascadeurs Sal Borghese (grand ami du duo Bud Spencer – Terence Hill) et Aldo Canti, un goût prononcé pour les acrobaties façon cirque et les gadgets aussi improbables qu'explosifs, et un goût moins prononcé pour la vraisemblance. Le film suit de près les salopards du film matrice de Robert Aldrich. Le déroulé est identique : l'objectif, le recrutement, l’entraînement, la mission, le combat final. L'action se déroule de même dans un superbe château ancien, mais cette fois nous sommes en Italie et Parolini utilise la très belle Villa Parisi à Frascati comme siège des armées teutonnes. Seule variation, le commando n'est pas constitué de repris de justice mais de spécialistes : un lanceur de couteau, un expert en explosif, etc. plutôt dans la manière des Magnificent seven (Les sept mercenaires – 1960) de John Sturges.

Le commando est mené par Gianni Garko, aussi beau et à l'aise que quand il joue Sartana, un rien agaçant quand il mâche son chewing-gum. Joueur de base ball, son arme secrète est une balle creuse que l'on peut garnir d'explosif ou d'une bille d'acier. Voilà pour le gadget. Chez Parolini, on aime bondir, donc notre commando va se promener avec un trampoline qui lui permettre d'exécuter de jolies voltiges et de faire leur affaire de ces andouilles d'allemands. Il va de soi que les personnages n'ont aucune épaisseur psychologique, mais ce n'est pas ce qu'on leur demande. L'élément de charme est assuré par la belle Margaret Lee dans le rôle d'un agent double qui est séduite par l’américain et séduit l'allemand. Pardon, le méchant SS joué par, oui, Kinski. Il faut préciser ici que Margaret Lee a joué douze fois avec Klaus le terrible. Britannique authentique, elle a aussi beaucoup fréquenté le duo Franco et Ciccio. Sans doute un goût marqué pour le bizarre.

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Kinski se trouve ici en terrain connu, jouant plutôt sur la retenue tant le spectateur s'attend aux pires choses de sa part. Un peu comme Christopher Waltz chez Quentin Tarantino, qui connaît certainement le film, Kinski compose une sorte de chat vicieux, à l'uniforme noir impeccable et ajusté, au verbe tortueux, aux gestes mesurés et au regard perçant dans lequel on sent qu'il a toujours un coup d'avance sur ses adversaires. Un Kinski bien ignoble comme on l'aime, qui contemple ses actes en retrait, comme il le faisait en Tigrero, le chasseur de primes du chef d’œuvre de Sergio Corbucci Il grande silenzio (Le grand silence – 1968). Que le spectateur se rassure, son officier SS sera à la hauteur des attentes et il faudra tout le talent de lanceur de Garko pour en venir à bout.

Voici deux films impeccables pour découvrir un genre négligé du cinéma populaire européen. Et pour voir Klaus Kinski combattre sous deux drapeau à sa manière inimitable.

Photographies DR

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10/07/2015 | Lien permanent

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