Mauvais souvenirs - Partie 2 (10/09/2010)
On est parfois trahi par soi-même. Ma plus douloureuse expérience physique, je la dois à une séance hélas inoubliable du Casino (1996) de Martin Scorcese. C'était une séance du dimanche matin. Je tenais à voir le film mais, la veille, j'étais souffrant ou j'avais un peu trop bu, je ne me souviens plus. Ce dont je me souviens bien, c'est que j'avais les entrailles tordues pire que John Hurt dans le Nostromo. Le problème, c'est que le film dure pas loin de trois heures et qu'il est bon. Enfin, j'étais complètement accroché. Pas question donc de m'interrompre pour filer aux toilettes et manquer un plan. En fait, vu le montage de Scorcese, c'est un paquet de plans que j'aurais manqué à chaque interruption. Je me suis donc accroché, m'agitant dans mon fauteuil comme un ver, développant un mal de tête carabiné, les yeux brûlants, pleurants. Je suivais le film avec rage. Tenir, il faut tenir, comme un marines rampant sur Omaha Beach, j'ai tenu. A quel prix, je n'ose le dire. C'était une expérience limite dont je ne sais finalement pas trop comment elle a influencé ma vision du film. Mais maintenant, quand je suis malade, je reste chez moi.
Pour rester sur l'exploit physique, il y a eu, mais c'est devenu rare, l'état des fauteuils. A Nice, au milieu des années 80, nombre de petites salles ont fermé. Elles vivotaient et ne faisaient aucun investissement en terme de confort. J'ai un souvenir très vif d'une séance de C'era una volta il west (Il était une fois dans l'ouest – 1968) de Sergio Leone au cinéma Ritz sur la zone piétonne. C'était un cinéma avec trois salles, dont une était consacré au porno et les deux autres oscillaient entre semi-exclusivités et reprises parfois incongrues comme un peplum de Vittorio Cottafavi qui n'est pas à sa gloire. Cette fois là, c'était le Leone et un Leone en salle, ça ne se refuse pas. Problème, le Ritz avait des fauteuils assez anciens, épais, marrons, imitation cuir avec la rudesse d'un parpaing. Supporter les presque trois heures (encore) du film sur un tel fauteuil relève de l'exploit vertébral. Cette fois aussi, j'ai tenu (quel héros !) mais ce fut rude d'autant que la copie n'était pas de la première fraîcheur. Rayures, coupes sauvages, fin et début de bobines hachés, son pourri, de quoi se réjouir de voir le film dans la superbe édition DVD qui lui a été consacrée et renier ces fichues salles de quartier. Mais qu'est-ce que je dis moi ?!
Au seuil du multiplexe. Photographie source : Film reference
J'ai vécu l'enfer du multiplexe. Si. J'en avais eu un avant-goût en Belgique, pour une séance en IMAX, assez spectaculaire pour que j'oublie l'environnement. Mais mon expérience avec film s'est faite sur un redoutable navet. Je me suis laissé convaincre par ma compagne et sa soeur d'aller à une séance du samedi soir d'un multiplexe varois pour The Avengers, la version cinéma de Chapeau melon et bottes de cuir réalisée en 1998 par Jeremiah S. Chechik. C'étaient les vacances, nous étions en famille, je suis un admirateur de la série télévisée et des tenues cuir d'Honor Blackman puis de la divine Mrs Peel, je ne me suis pas trop fait prier. Le problème, c'est l'environnement. La salle est située au coeur d'une zone commerciale, le genre d'endroit que j'évite autant que possible. En face, un grand parking. De l'extérieur on dirait un hangar. A l'entrée, on se croirait face à une batterie de caisses d'hypermarché. Il y a des vigiles et j'imagine, des caméras de surveillance. J'ai surtout été heurté par la vision d'un vigile avec son chien, une de ces grosses bestioles que je déteste genre molosse. Mais qu'est-ce que ça vient foutre au milieu d'une salle de cinéma !? Dedans, c'est code couleurs a tous les étages, ça ressemble à tout, ça ne ressemble à rien. La salle est confortable, certes ce ne sont pas les sièges du Ritz, mais pour accéder à sa place, il faut marcher sur un tapis, un véritable tapis de pop-corn, de gobelets de papier, de sachets en tout genre. Immonde. En Hollande, je me souviens des canettes de bière en verre qui roulaient sous les sièges, mais il y avait une ambiance bon enfant et puis la salle était jolie. Misère. Avec ça, le film a été une déception terrible malgré Uma Thurman qui prenait la pose. Sean Connery cabotinait tant et plus, Ralph Fiennes était transparent, le film était raté dans les grandes largeurs. Jamais remis les pieds dans un endroit pareil. C'est peut être l'âge mais je m'y sens trop oppressé, l'odeur du pop-corn m'écoeure, l'horreur, l'horreur...
Ceci dit, on peut se heurter à d'autres problèmes dans les salles dignes de ce nom. Je ne compte plus les copies douloureuses, les mises au point hasardeuses, les lignes jaunes (blanches ou vertes) baladeuses et le son réglé comme il peut. Dans cette catégorie j'ai une affection toute particulière pour une projection de Dracula, prince of darkness (Dracula, prince des ténèbres – 1966) du grand Terence Fisher, projection à la cinémathèque de Nice que je vénère par ailleurs. Les films estampillé Hammer, c'est pas tous les jours que l'on a la chance de pouvoir les voir en salle, surtout en province. L'occasion était belle et si ce souvenir m'est pénible, c'est qu'il était associé à un grand espoir. Le film commence, grand écran, Techniscope sur toute la largeur, couleurs impeccables rendant pleine justice à la photographie de Michael Reed. Le film semblait avoir été tourné la veille. Pendant une vingtaine de minutes, c'est le bonheur. Deux couples se retrouvent dans un étrange château, l'un d'eux s'engage dans les couloirs sombres et puis patratas, Dracula est là, bagarre, Dracula tombe dans les douves gelées du château, il meurt, The end. Au bout de trente minutes ? Tiens non, nous revoilà ailleurs, Dracula ressuscite un peu plus tard. C'est le bon vieux coup de l'inversion de bobine. Sauf que cette fois, mis à part la première, aucune autre ne sera à sa place. Un vrai loto. Impossible de comprendre quoi que ce soit, pourtant, ce n'était pas non plus du Bergman. Un ami, un véritable fan, est ressortit en maudissant le projectionniste. Moi j'y suis retourné le dimanche suivant. Nous étions invités.
Pauvre bête ! (Photographie source Nova)
Parmi les mauvais souvenirs, il y a les films qui mettent mal à l'aise. Généralement, c'est voulu. Haneke le fait exprès. C'est pour secouer un peu le spectateur. Ça peut faire du bien mais il y a la manière. J'ai aimé être secoué par Oshima ou Pasolini et pourtant il y eu des séances terribles. Avec le temps, j'ai compris que je suis mal à l'aise quand il y a un brouillage entre la fiction et le réel dans le cadre d'une fiction. Typiquement, certaines scènes de sexe, quand je n'ai plus l'impression qu'elles sont jouées (hors films érotiques) peuvent me mettre mal à l'aise. J'ai beaucoup de mal aussi avec des scènes où les personnages se font faire une piqûre, que se soit pour se droguer, se soigner ou se faire tuer. Il faut dire que j'ai une sainte aversion pour les seringues. J'ai aussi un peu de mal avec la façon dont on traite les animaux. Le cafard de Leone et les poulets de Peckinpah (même si on les voit ensuite rôtis et mangés) me font tiquer. J'avais ainsi beaucoup souffert sur un film tchécoslovaque Konec srpna v Hotelu Ozon (Fin août à l'hôtel Ozone – 1966) de Jan Schmidt. On y suit les déambulation d'une dizaine de jeunes femmes dans un monde apocalyptique d'où les hommes ont disparu, ou presque. L'ambiance n'est pas folichonne mais bon. Le problème, c'est que les donzelles rencontrent au long du scénario divers animaux grandissant en taille et se rapprochant de l'homme (d'où allégorie) et qu'elles ont la sale manie de les tuer. La sale manie du réalisateur, c'est de le montrer en détail avec un sadisme d'autant plus gênant qu'il n'est pas truqué. Au début, c'est une mouche ou une araignée, on passe. Puis c'est un serpent écrasé par une pierre. Je m'agite un peu. Quand on passe à la vache puis au chien, ça commence à bien faire. J'imagine que c'était voulu mais j'ai passé un moment très pénible.
Je terminerais par un petit gars bien de chez nous, Gaspard Noé avec son incontournable Irréversible (2001). Là encore, j'imagine que le sale goût dans la bouche quand on ressort est prévu avec le film. Mais en ce qui me concerne, ce n'est pas tant le fond qui m'a gêné (j'en ai vu d'autres), que la forme. La scène du viol du personnage de Monica Bellucci aurait suffit à me faire détester le film, en partie à cause de ce que j'ai écrit dans le paragraphe précédent, en partie parce que c'est interminable et que, comme chez Haneke, je n'avais qu'une hâte, c'est qu'ils en finissent. Mais le plus éprouvant, c'est la première scène, celle du night club, encore une fois pas tant pour sa violence que pour son traitement. La musique techno à fond, les flashs rouges et les effets de stroboscope, c'est juste pas possible. Au bout de cinq minutes, j'aurais avoué tout ce que l'on voulait. C'est le film, en tant qu'objet, le plus agressif que j'ai jamais vu. Je ne vois pas au nom de quoi je devrais endurer un truc pareil. J'ai rien fait, j'le jure. Mais je suis maso, j'ai repris un morceau de Noé dans le film à sketches Destricted (2006), même mise en scène avec les mêmes effets. Là, j'étais prévenu, j'ai réussi à me mettre dans un état second. De temps en temps, j'ouvrais un oeil et je vérifiais si le cauchemar ne s'était pas achevé.
08:45 | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : sergio leone, martin scorcese, jan schmidt, jeremiah s. chechik, terence fisher, gaspard noé | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Décidément, mieux vaut rester à la maison ;-)
Blague à part, c'est extra le coup du mélange dans les bobines. Cela ne m'est jamais arrivé (ou alors je ne m'en suis pas aperçu...). Par contre, le reste, effectivement...
Belle série de notes en tout cas.
PS : Tu piques ma curiosité à propos de ce film tchècoslovaque dont je n'avais jamais entendu parler.
Écrit par : Ed(isdead) | 10/09/2010
Le coup des bobines, c'est quand même rare. Ça m'était arrivé sur "L'idiot " de Kurosawa, mais vers la fin et ils avaient réussi à remettre la bobine mal placée ce qui a rallongé le film, mais globalement, cela restait compréhensible.
On peut trouver "...Ozone" en DVD américain, ailleurs, je ne sais pas. Flickhead en avait parlé : http://home.comcast.net/~flickhead/HotelOzone.html
Écrit par : Vincent | 10/09/2010
Ah ah je sens qu'un certain Amazon va crouler sous les commandes... je suis très très très intriguée itou. J'aimerais savoir si après le chien, on en arrive au gorille toussa :)
Pour les salles en odorama, nul besoin d'attendre mister Waters... j'ai eu une expérience admirable lors de mon arrivée à Paris, j'étais jeune (j'étais belle) j'étais folle d'aller voir Suspiria au Brady (avant que JPMocky ne le rachète et ne le fasse désinfecter)... va et vient permanent aux toilettes parfaitement incompréhensible pour la naïve que j'étais puisqu'il semblait bien à mes narines que les latrines étaient sur place...
A noter qu'en première partie les mercenaires d'Enzo Castellari n'ont pas eu plus de fans ;)
Écrit par : FredMJG/Frederique | 10/09/2010
A part ça, lors du Festival du Film Fantastique de Paris, ceux qui avaient la fort mauvaise idée d'être à l'orchestre et trop près de l'écran avaient la joie de recevoir cotillons et PQ sur la tronche lors des films de la Hammer bien trop prudes selon les mauvais élèves du deuxième étage du Rex...
C'était notre journée Amis scatos bonjour et oserais-je dire que je regrette fortement la fin de ce fabuleux festival animé par Alain Schlockoff
On peut désormais me trouver au dernier rang au fond de la salle si on me cherche ^^
Écrit par : FredMJG/Frederique | 10/09/2010
Et bien, moi, j'ai vu un film de Haneke (La pianiste) en ayant des problèmes gastriques (comme quoi, on peut cumuler). C'était fort éprouvant.
Sinon, j'ai également connu la projection du film que j'aime (Metropolis ; ça vaut le coup de le voir sur grand écran...) après avoir trop picolé. Bon, j'ai surtout fait une sieste.
Mais le plus horrible - et ce à quoi me fait immédiatement ce texte - ce fut une journée consacrée au cinéma soviétique. D'abord, j'ai vu l'excellent La femme au carton à chapeau de Barnett au mauvais format. Du coup, pas de sous-titres. Ensuite, ce fut l'horreur absolu : La ligne générale - un film que je déteste même si j'aime beaucoup Eisenstein - avec des bobines qui n'étaient montées dans le bon ordre. Déjà que, dans le bon sens, c'est à peu près incompréhensible.
Il y aussi la pellicule qui brûle au milieu du film (c'est rigolo, ça fait de grosses tâches au milieu de l'écran). J'ai connu ça avec La Kermesse héroïque.
Quant aux multiplexes, il y aurait trop de choses à dire...
Écrit par : Ran | 10/09/2010
Frédérique, vous avez vécu de bien belles choses ! Ce festival du grand Rex, c'est légendaire. Et cela tient à son ambiance souvent décrite et aussi souvent regrettée. Et le Brady... ça fait rêver le petit spectateur de province. un jour où je passerais à Paris, je me ferais une séance chez JPM, même s'il a fait désinfecter.
Ran, pour Métropolis, je suis bien d'accord mais j'étais sobre quand je l'ai vu en salle :) Je n'ai jamais été confronté au coup des sous-titres pour une langue que je ne connaissais pas (ouf). La pellicule qui brûle, cela me rappelle surtout mes propres séances en super 8. J'ai eu aussi un film muet projeté à l'envers, inversé je veux dire, les intertitres étaient illisibles. je ne sais pas comment le projectionniste a fait.
Sinon, moi, j'aime assez "La ligne générale", la séquence de l'écrémeuse, c'est un joli morceau de cinéma. Idéologiquement, je ne dis pas, c'est du beau cinéma de propagande, mais beau quand même.
Écrit par : Vincent | 11/09/2010
C'est vrai qu'il y a quelques belles séquences dans La ligne générale mais l'héroïne est vraiment trop affreuse (tiens, j'aurais même pu la mettre dans mes méchants tant elle est laide ; méchants dont on attend d'ailleurs une prochaine liste...) et je trouve qu'Eisenstein fait souvent du (très) beau cinéma mais ne sait vraiment pas filmer les femmes.
Sinon, j'ai connu aussi une copie doublement sous-titrée (d'abord des sous-titres en portugais et, en dessous, des sous-titres en français) de J'ai le droit de vivre de Lang. Ce n'est pas un mauvais souvenir mais c'est extrêmement bizarre car cela oblige à une gymnastique dont on n'a absolument pas l'habitude tant on est attiré vers les premiers sous-titres (et inutile de dire que je ne comprends rien au portugais).
Écrit par : Ran | 11/09/2010
Héhé, bonne idée que ces évocations de mauvais souvenirs cinéphiliques. En y repensant, je n'arrive pas à trouver autant d'anecdotes exceptées la séance que j'ai relaté de "Diary of the dead" (en VF avec des bouffeurs de pop-corns répondant au téléphone pendant le film)et celle de "Kika" d'Almodovar où j'étais seul dans la salle jusqu'à l'arrivée de deux types. Leur conversation devait être passionnante car elle a débuté avant le début de la projection et ne s'est interrompue que lorsqu'ils se sont levés pour sortir de la salle au bout de ... 25 minutes de film.
Il faudrait aussi évoquer les personnages bizarres que l'on peut croiser dans les salles, comme ce type que je vois systématiquement aux séances de 14h et qui s'endort à chaque fois en gênant les voisins avec ses ronflements.
Je me souviens aussi de cette demoiselle assise juste derrière moi pendant les "1001 nuits" de Pasolini qui soupirait à chaque apparition d'une anatomie masculine (soit toutes les 10 minutes!) en maugréant des "c'est nul! Qu'est-ce que c'est que ce film! On s'en va?...)
Je me rappelle encore d'un type arrivant tout essoufflé dans la salle à une demi-heure de la fin du film (c'était "Betty Fisher" de Claude Miller, si mes souvenirs sont bons) : nous nous sommes toujours demandés avec l'amie qui m'accompagnait s'il s'agissait d'un repris de justice tentant d'échapper à la police!
Enfin bref : tes notes sont une excellente idée et comme mes petits camarades, tu m'as fait envie avec le film tchèque (il faudra que tu fasses une note sur "Cannibal Holocaust" car les animaux, les pauvres, y sont bien malmenés) et je crois que nous devons forcer notre chère Fred à raconter ses souvenirs du Brady car, moi aussi, je regrette de n'avoir pu connaître cette salle mythique ou le festival du Rex. ..
Écrit par : Dr Orlof | 12/09/2010
Ran, ce n'est pas très gentil pour cette brave prolétaire. C'est vrai que ce n'est pas Ava Gardner, mais elle ne me semble pas pour autant mériter de se retrouver au banc d'infamie. Les sous titres, c'est vraiment un problème de réflexe conditionné. Je suis aussi irrité quand je vois un film français sous titré, je ne peux pas m'empêcher de lire ce que je comprends.
Doc, merci pour ta contribution aux mauvais souvenirs. Les téléphones, on devrait leur faire avaler. "Cannibal Holocaust", j'y ai bien sûr pensé, mais ce n'est pas un mauvais souvenir (et puis c'était en DVD). Les scènes avec les animaux ne me plaisent pas effectivement. Par contre je dois à ce film un cauchemar assez terrifiant, je le raconterais peut être un de ces quatre.
Tu nous redonne rendez-vous sur la plate-forme de discussion ?
Écrit par : Vincent | 13/09/2010
Je n'oublie pas, je n'oublie pas. Mais je voudrais d'abord finir une série de DVD que j'ai à chroniquer. Peut-être la semaine prochaine?
Écrit par : Dr Orlof | 14/09/2010
Je n'oublie pas, je n'oublie pas. Mais je voudrais d'abord finir une série de DVD que j'ai à chroniquer. Peut-être la semaine prochaine?
Écrit par : Dr Orlof | 14/09/2010