Quelle est belle la France... (29/09/2008)
Répondant avec plaisir à l'invitation de Ludovic de l'excellent Cinématique, je vous propose une liste de dix films français qui ont compté pour moi depuis 1988. Le cinéma français, on en discute avec acharnement, le plus souvent pour déplorer, malgré une production toujours dynamique, un manque d'imagination, d'audace sur le fond comme sur la forme, d'ambition, de renouvellement. Une poignée de thèmes qui tournent en boucle, de formules parfois à succès qui ne prennent jamais le risque de s'écarter du droit chemin menant à la première partie de soirée sur les chaînes de télévision, l'invasion de modèles, de vedettes et d'humour venu de cette même télévision, la caricature du cinéma de la Nouvelle Vague, l'imitation inutile de modèles américains, semblent constituer tout notre horizon. Toutes ces critiques sont justifiées, mais ne résument pas tout notre cinéma. Du moins je le crois. Ces formes sont dominantes, mais je me pose souvent la question de savoir si, que ce soit dans les années 30 de Renoir, Carné, Pagnol, Grémillon, Vigo et Guitry, ou dans les années 60 de Godard, Truffaut, Demy, Rivette, Mocky et Tati, ce cinéma qui est aujourd'hui notre histoire, était alors dominant. L'année de la sortie de Playtime, c'était le film de Jean Girault, Les grandes vacances avec Louis De Funes, qui cassait la baraque.
Peut être manquons nous de recul sur notre période. Peut être le cinéma n'a-t'il plus la même importance, ou le même impact qu'à la grande période ou pouvaient encore séduire un large public des auteurs comme Fellini, Bergman, Kurosawa, Hawks, Bunuel, qui tiraient sans doute la critique, le public et les « professionnels de la profession » vers le haut. Toujours est-il qu'il y a des choses. Que si je regarde les vingt années passées, il y a des films qui ont compté, que je défendrais pour de bonnes et parfois mauvaises raisons. Cette liste, contrairement à ce que je craignais, a été difficile à faire parce que j'avais trop de candidats. J'aurais pu proposer trois listes entièrement différentes sans trop de problème. Je me suis donc fixé quelques règles : rester sur des premières impressions fortes, éliminer les films d'auteurs étrangers comme Ruiz, Watkins ou Iosseliani (ce qui a été dur), donner la priorité aux auteurs plus récents, ce qui m'a fait mettre de côté quelques grands anciens comme Godard, Resnais, Sautet ou Rappeneau (Bon voyage, c'était quelque chose) et puis essayer d'équilibrer les différentes formes : l'animation, le court, et le documentaire ont donné de belles réussites. Alors voilà, ça donne ceci, avec quelques mots d'explication :
Dieu seul me voit (Bruno Podalydès)
Mon film fétiche parce que je trouve qu'il me ressemble. La confirmation après Versaille rive gauche du ton particulier de Podalydès brassant un héritage cinématographique (Tati, Truffaut, Prévert), littéraire et populaire (les hommages à Hergé). Podalydès a le sens du gag, ce qui est rare. C'est le film qui m'a rendu définitivement amoureux de Jeanne Balibar, mais toute la distribution est excellente.
La chatte andalouse (Gérald Eustache-Mathieu )
Sophie Quinton en nonne poursuivant l'oeuvre d'une artiste sur le point de mourir. Un des plus beaux moyens métrages que j'ai vu, l'un des plus prometteurs. Avril, le premier long de Eustache-Mathieu, toujours avec Quinton, toujours en nonne, était intéressant sans retrouver la force de ce film.
Le vent de la nuit (Philippe Garrel)
Deneuve. La voiture rouge et la musique de John Cale.
Un monde sans pitié (Éric Rochant)
Présenté comme le film d'une génération, ce qui pouvait pour une fois se défendre, ça reste la plus belle réussite de Rochant, avec des images magnifiques de Paris et Mireille Perrier.
Va savoir (Jacques Rivette)
Ma première incursion chez Rivette. Jeanne Balibar encore, mais aussi Hélène de Fougerolles dont j'adore le grain de beauté. Le film m'avait mis dans état de joie profonde. Brillant, jubilatoire comme on dit chez Télérama.
La fille coupée en deux (Claude Chabrol)
Encore un grand ancien. Les vingt dernières années sont une belle période de son cinéma. J'aurais pu citer Au coeur du mensonge ou La cérémonie, mais celui-ci a été moins apprécié alors que j'y vois la quintessence de son style. Les femmes y sont sublimes, les hommes veules, j'adore.
La ville est tranquille (Robert Guédiguian)
J'ai un faible pour Le promeneur du champ de Mars, mais ce film-ci me semble plus représentatif de la singularité de Guédiguian. C'est un peu son film somme d'une période, l'un des plus sombre, mais une façon de conclure un cycle de vingt ans avant de se lancer dans des projets plus atypiques.
L'équipier (Philippe Lioret)
Le grand film romanesque que j'espérais. Grégori Derangère, Sandrine Bonnaire, la musique de Nicola Piovani, la mer et la tempête. S'il faut chercher un héritier à Grémillon et Gréville, en voici un. Le film suivant est plus habile que réussi mais le précédent, Mademoiselle avec Bonnaire encore et Gamblin était une très belle comédie.
No pasaran, Album souvenir (Henri François Imbert)
Documentaire intimiste et implacable, Imbert comme pour ses films précédents part d'un élément personnel pour s'ouvrir au Monde. Ici, à partir de quelques cartes postales, il nous raconte l'histoire du siècle à travers celle des camps : camps de réfugiés, camps de concentration, camps de rétentions. De sa voix calme et claire, il interroge autant les images que les gens.
Alberto express (Arthur Joffé)
Un des grands gâchis de la période avec Léos Carax. Joffé a de l'imagination, de l'ambition et le sens du cinéma mais tous ses films se sont ramassés. Ca reste un souvenir très fort, l'histoire d'un homme embarqué dans un voyage délirant en train pour payer, littéralement, sa dette à son père. Avec Sergio Castellito qui n'est pas exactement un manchot.
Juste derrière : La beauté du monde (Yves Caumont), Les triplettes de Belleville (Sylvain Chomet), On connaît la chanson (Alain Resnais), Pork and Milk (Valérie Mrejen), Pas de repos pour les braves (Alain Giraudie), Nelly et Mr Arnaud (Claude Sautet), Ester Kahn (Arnaud Depleschin), Histoire(s) du cinéma (Jean-Luc Godard)...
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Commentaires
Merci pour cette très belle collaboration, Vincent. Il faudra donc que je découvre "La chatte andalouse"
(Sinon, en souvenir d'un débat sur ce film, je ne peux que répéter : Non, non et non, Lioret n'est pas un héritier de Grémillon !)
Écrit par : Ludovic | 29/09/2008
Pour le coup, je suis plutôt de l'avis de Ludovic et n'ai pas une grande passion pour Lioret. Garrel, Rivette, Chabrol : nous sommes d'accord et j'ajoute volontiers Godard et Resnais.
C'est ce qui m'inquiète un peu dans mon classement : les cinéastes que j'affectionne tournaient déjà dans les années 60-70!
A part Dumont et Grandrieux, (éventuellement Mouret), je n'ai pas connu de grands chocs de la part de cinéastes plus jeunes...
Écrit par : Dr Orlof | 29/09/2008
Le problème que j'ai toujours vu avec les jeunes cinéastes, c'est qu'ils ne tournent pas assez. Nos "grands anciens" des années 60 faisaient souvent un film par an. Aujourd'hui, ce que l'on repère dans un court métrage (Eustache-Mathieu, Caumont, Zonca...) ou dans un premier long, est souvent loin d'être transformé 10 ans plus tard. Forcément, à côté, Chabrol et Cie ont bâtit des oeuvres. Par exemple, je me demande ce que deviendra dans cinq ans Mikhael Hers dont j'ai aimé "Primrose Hill" que je diffuse en octobre.
Sinon, de la part d'un amateur de formes classiques, je pense que mes choix se tiennent, Lioret compris. j'avoue avoir du mal avec des univers comme ceux de Dumont ou Grandrieux. Mais Mouret oui, le Brisseau de "Noces Blanches" oui.
En tout cas, Ludovic, c'était une belle idée que cet état des lieux.
Écrit par : Vincent | 29/09/2008
Si il faut un volontaire pour faire le pont entre Grandrieux/Dumont et Lioret/Rappeneau, je veux bien en être. Je me suis déjà joint à Vincent pour défendre Lioret ici même.
A part ça, cette liste me fait regretter de ne pas avoir évoqué "La ville est tranquille", mon Guédiguian préféré. Et c'est la première fois que j'entends quelqu'un défendre "Alberto express" (ça donne envie de le voir).
Tout cela me fait dire que mes choix, malgré Resnais et Rohmer, font bien sérieux. J'aurai dû placer Rappeneau car oui, Vincent, bien sûr que "Bon voyage" est un petit miracle de comédie.
Écrit par : Edisdead | 30/09/2008
Ed, c'est un sacré pont que tu veux faire :)
Pour "Alberto express", Starfix l'avait défendu à sa sortie et j'en ai un très bon souvenir. J'avoue ne pas l'avoir revu depuis. Les autres films de Joffé sont plutôt ratés, mais il essaye des choses. Dommage qu'il ne puisse pas essayer très souvent...
Écrit par : Vincent | 01/10/2008
Plaisir de voir ressurgir "Alberto express" même si mon souvenir est très vague. Garde surtout l'impression d'un cinéaste qui ne cherchait pas à censurer son imagination (un peu dans le genre de Terry Gilliam dans les années 80). Pour ma part, c'était aussi la découverte de Castellito, acteur qui ne me déçoit jamais.
Pour "Un monde sans pitié", je ne sais pas trop, adoré à sa sortie (mais j'avais 16 ans et les histoires de jeunes gens de 25 ans fascinent forcément quelque part) puis intenses déceptions lors de revoyures télévisuelles, puis un peu ré-évalué depuis, mais au final l'impression d'une jeunesse (et d'un film) qui évoque bien davantage les années 50 que son temps (un charmant reliftage de Becker en fait).
Écrit par : Joachim | 02/10/2008
C'est bien vu ce rapport avec Becker, mais sur le fond, j'ai vu le film à sa sortie avec l'age des personnages et j'avais eu cette impression que, pour une fois, ça ressemblait à ce que je connaissais. Je l'ai revu une fois, mais ça reste lointain, par contre, attention à la télé, parfois c'est redoutable. Le film a(vait ?) une véritable esthétique de cinéma. Et puis, ça a été pas mal imité par la suite ce qui est aussi redoutable.
Moi z'aussi, Castellito je l'ai découvert chez Joffé et j'aime son allure.
Écrit par : Vincent | 02/10/2008
Il y a deux films comme ça d'abord adorés, qui ont mal passé l'épreuve de la télé et dont je ne sais plus trop quoi penser aujourd'hui : ce Rochant donc et "Sailor et Lula" pour lequel là aussi l'esthétique de cinéma est incontestable. Mais en général, pour d'autres films (même de facture plus modeste, je n'ose dire pas dire "télévisuelle") ça marche encore. Très étrange (et ô combien subjectif) ce phénomène.
Écrit par : Joachim | 02/10/2008
Définitivement, le phrasé de Jeanne Balibar - notamment en italien - m'a conquis dans Va savoir, de Rivette.
Écrit par : il Gatto del Rabbino | 05/10/2008