Un brûlot anti-Sarkozy en prime-time sur TF1 (21/02/2006)

Il m'arrive de manger chez des gens qui ont la mauvaise manie de regarder la télévision à table. Comme la cuisine est bonne et que je suis diplomate, je me mets dos à l'écran et je me concentre sur mon assiette. C'est ainsi que j'ai baigné dans les quinze premières minutes de Minority Report, le film de Steven Spielberg qui avait séduit en son temps quelques habituels détracteurs. Je n'aime pas la télévision, je n'en ai plus depuis au moins quinze ans et, de toutes les chaînes, je déteste particulièrement TF1. « Je n'aime pas que l'on abîme les gens » disait Jacques Brel, je crois. Là, j'ai trouvé la situation plutôt amusante, malgré l'horrible version française. Soit les programmateurs de TF1 sont très bêtes, soit Spielberg est très fort, soit je suis aveuglé par l'amour.
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Une scène : Anderton (Tom Cruise), en fuite, traqué, entre dans un grand magasin de fringues. Repéré par un détecteur biométrique, il entend des voix venues de nulle part l'interpeller par son nom et lui proposer de nouveaux achats. Minority Report, c'est le rêve du publicitaire et du policier sous la forme d'un cauchemar pour l'individu. Un monde imaginé par l'écrivain Philip K. Dick, grand maître de la paranoïa et des univers parallèles. Un monde où tous les êtres sont fichés, tracés, suivis jusqu'au plus profond de leurs pensées, puisque l'on a inventé un moyen pour détecter les criminels avant qu'ils ne commettent leur crime. Un système au service d'une ambition de pouvoir. Un fantasme de ministre de l'intérieur obsédé par la tolérance zéro et pour lequel la sécurité, érigée en absolu, justifie tous les renoncements aux libertés individuelles. Difficile pour moi de ne pas rapprocher cette « prison » où sont enfermés les criminels en puissance réduits à l'état de légumes dans des containers et la récente affaire de ces prisonniers bien réels qui ont demandé le rétablissement de la peine de mort plutôt que la mort lente dans leurs quartiers de haute sécurité. Difficile à ne pas penser à ce geste de parents d'élèves détruisant des bornes biométriques à l'entrée de la cantine de l'école de leurs enfants en voyant les possibilités de ces charmantes technologies décrites dans le film et, plus terrible encore, la terrible indifférence de ceux qui se sont habitués et vaquent comme les zombies de Romero entre autoroutes et centre commerciaux. Pour secouer cette accoutumance, il faudra à Anderton s'arracher les yeux pour y voir clair de nouveau et faire, comme souvent chez Spielberg, un choix entre pulsion de mort (la vengeance envers l'homme qu'il soupçonne d'avoir tué son fils) et pulsion de vie (Accepter la loi, faire le deuil, vivre quand même). Qu'un tel film soit diffusé ainsi sur une chaîne de télévision qui se vante de son travail de lavage de cerveaux disponibles m'apparaît d'une douce ironie. Mais qui le voit ?

 

Photographie © UFD

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