Cannes 2009 - jour 3 (27/05/2009)
Football, chirurgie et rendez-vous manqué
Looking for Éric, le film proposé cette année par Ken Loach, est désarmant. Il se suit sans ennui ni passion et j'y ai ris plus d'une fois (la séance de "détente mentale" est irrésistible). Sur le fond, c'est la même histoire que Play it again, Sam, le film de 1972 réalisé par Herbert Ross avec Woody Allen, séducteur timide qui trouvait de l'aide auprès du fantôme d'Humphrey Bogart. Ici, c'est un postier anglais, Éric, la quarantaine sur le retour, qui reconquiert son ex-femme, ses fils et l'estime de lui-même avec le concours de l'ectoplasme d'Éric Cantona. Pourquoi pas ? Le problème est que Loach se contente de refaire des choses déjà vues en mieux au sein même de sa carrière. C'est la même histoire que My name is Joe (1998) ou Raining stones (1993), les aphorismes en plus. Pire, toute cette histoire autour du gang dans lequel est entré l'un des fils et qui finit par terroriser la petite famille fonctionne très mal. J'ai pensé pas mal au Gran Torino de Clint Eastwood, mais là où l'américain en fait le moteur de sa fiction, l'anglais et son scénariste fétiche Paul Laverty plaquent péniblement une intrigue-prétexte, artificielle, comme s'ils n'avaient pas assez confiance en leurs propres personnages. Et puis Cantona... Il faut dire que je suis totalement hermétique à la chose footbalistique. On rit beaucoup avec lui. Il a beau avoir commandité le film, on se demande constamment si c'est du lard ou du cochon et si l'on est pas en train de rire de lui. L'autodérision, les mouettes et les sardines et toutes ces sortes de choses, trouvent leurs limites et tournent au répétitif. Dommage.
Loach et Cantona : source site du film
Question mise en scène, Loach en reste aussi au service minimum, sur un style rôdé. La caméra est assez mobile, toujours très près des personnages, une photographie sans relief donne à l'ensemble un aspect un peu terne. Rien de saillant sauf quelques effets brutaux comme l'irruption de la police lors du repas de famille. J'en suis venu à penser que Loach est plus doué quand il fait se télescoper ce style avec des sujets historiques, créant alors des formes inédites et exaltantes comme l'attaque du village et la réunion politique dans Land and freedom (1995) ou les embuscades de The Wind that Shakes the Barley (Le Vent se lève - 2006). La rencontre du travail intimiste de la caméra et des exigences de l'action épique est nettement plus excitante. De ce que j'ai pu voir, Loach est finalement le seul à avoir donné cette année une oeuvre de routine, assez loin de ses plus belles réussites.
L'après midi, j'ai revu avec plaisir l'ami Joachim qui vous raconte plus à chaud sa semaine sur 365 jours ouvrables. Nous avions décidé de découvrir ensemble le nouvel opus d'Alain Guiraudie, Le roi de l'évasion, mais nous n'avons pu accéder à la séance de la Quinzaine des réalisateurs. Rendez vous manqué, frustrant quand on pense aux difficultés qu'il y a à voir les films de cet auteur en temps normal.
Les yeux sans visage : source Electric sheep
Pour me consoler, j'ai lâchement abandonné mon camarade pour revoir Les yeux sans visage de Georges Franju, l'un des deux ou trois plus beaux films fantastiques français. Réalisé en 1960, ce film est resté sans véritable descendance, même s'il a acquit le statut de classique. La poésie d'Edith Scob, de son masque blanc et de son long cou gracile fascine toujours, comme l'opération du visage continue d'arracher des cris horrifiés au public. Alida Valli est toujours aussi émouvante avec son amour refoulé pour le terrible chirurgien Pierre Brasseur dont le fils, Claude, est à jamais un juvénile inspecteur. Ce qui est amusant aussi, ce sont les divers appareils chirurgicaux, notamment un appareil pour les encéphalogrammes, qui resurgissent pour nous rappeler un passé qui semble si lointain. C'est comme les voitures dans les films de Godard et de Truffaut, elles ajoutent aujourd'hui un charme supplémentaire. La copie a été restaurée par Gaumont et c'est du beau travail qui rend toute la profondeur de la photographie en noir et blanc de Eugen Schüfftan qui avait travaillé avec Fritz Lang. Les noirs sont particulièrement intenses. Je ne me souvenais plus que c'était Maurice Jarre qui avait composé la partition. C'est l'une de ses premières grandes oeuvres pour le cinéma dans laquelle s'affirme déjà un style plutôt moderne (percussions, accents jazz), singulier, bien en phase avec ce conte macabre et intemporel qui n'a rien perdu de son charme ni de son éclat.
(à suivre)
07:48 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : ken loach, georges franju, cannes 2009 | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Je picore au hasard et au fur et à mesure dans tes chroniques cannoises, c'est un délice.
Vu le Loach hier. Je prépare ma note. Je ne suis pas d'accord avec toi sur Cantona, mais cette différence de ressenti est sans doute due à ton désintérêt pour le foot... J'ai trouvé pour ma part toute la première partie formidable et même assez émouvante sur le rapport fan/vedette et sur la passion du foot. Après, effectivement, ça ne va plus trop et je rejoins ton point de vue. A mon avis, la faute en incombe beaucoup à Paul Laverty qui, dans ses scénarios pour Loach, le pousse à placer à un moment donné un événement dramatiquement énorme pour relancer la machine. Cette sur-dramatisation est bénéfique lorsque le sujet est celui de la guerre, comme dans Le vent se lève, mais elle détourne trop grossièrement les intrigues qui devraient rester dans le quotidien, comme ici.
Sinon, revoir le Franju, quelle chance ! (et magnifique photo que tu as choisi là)
Écrit par : Edisdead | 29/05/2009
Bonjour,
Je vous rejoins tous deux sur cette question de la sur-dramatisation qui était déjà le problème d'It's a free world. Quand Loach passe du mélodrame social (même drôle) à la farce policière (souvent moins drôle), on atteint très vite les rives du téléfilm et on a l'impression d'un grand gâchis.
En ce qui concerne Cantona, j'ai beau être amateur de foot et aimer la personnalité fantasque du monsieur, j'ai trouvé que l'exercice d'autodérision tournait assez court. On rit la première fois, on sourit la deuxième, à la troisième on se dit qu'on pourrait vraiment s'arrêter là...
enfin, j'avais fait également le lien avec Gran Torino mais avec un autre angle d'approche. Vous trouvez mon article ici : http://spectresducinema.blogspot.com/2009/06/vengeances-deux-films-de-ken-loach-et.html
Bien à vous,
Raphaël
Écrit par : Largo (Raphaël C.) | 29/06/2009
Bonjour Raphaël, et merci de votre visite. J'avais raté "It's a free world" mais il a plutôt bonne réputation. Ceci dit, la dramatisation fait partie du cinéma de Loach, il aime raconter des histoires et il ne rechigne pas devant les grands sentiments. ce que je lui reprocherais, ce serait plutôt le recours à ce que j'appelle des intrigues, un espèce de supplément de fiction qui sonne généralement faux chez lui parce que trop décalé ou trop artificiel par rapport à son réel talent à faire vivre des personnages. Manque peut être un peu de confiance en lui sur ce sujet.
Écrit par : Vincent | 30/06/2009