Ponyo, Ponyo, lalalala (26/04/2009)

Après la pluie qui tombe sur la tête de Totoro, la plage intérieure où se prélasse Porco Rosso, le lac enchanté du Dieu-Cerf et le paysage submergé que traverse l'autorail emprunté par Chihiro, Hayao Miyazaki confirme avec éclat qu'il est le maître de la représentation de l'eau au cinéma dans Gake no Ue no Ponyo (Ponyo sur la falaise – 2008). Le film s'ouvre par une séquence d'une beauté à couper le souffle. Au fond des mers, juché à la proue d'un navire aérien, un homme étrange anime un merveilleux ballet d'animaux marins. Répandant le contenu de fioles élégantes, il diffuse un feu d'artifice de couleurs au milieu de centaines de méduses translucides. Allégorie tout aussi transparente du créateur Miyazaki, déployant toutes les ressources de son art pour faire naître la magie. Le film est animé à l'ancienne, essentiellement à la main, avec de superbes couleurs pastels. Notre personnage se nomme Fujimoto, un homme qui s'est exilé dans le monde marin et est devenu le compagnon de la reine de la mer. Il y est également une sorte de créateur de beauté, reniant le monde des hommes, proche cousin en cela du capitaine Némo de Jules Verne. Verne dont l'imaginaire a nourrit nombre de créations du réalisateur japonais, les machines improbables et baroques qui fendent airs et flots en particulier. Discrètement, Fujimoto est observé par sa fille, un curieux petit personnage, petit poisson rouge tout en rondeur. Miyazaki convoque alors Andersen et la légende de la petite sirène. Partie à l'aventure, prise dans un filet dérivant, la fille-poisson est recueillie par un petit garçon, Sôsuke, qui la baptise Ponyo. Comme dans le conte, les deux enfants tombent amoureux, la fille-poisson devient une véritable petite fille tandis que Fujimoto déchaîne les forces de la mer pour la récupérer. C'est un petit peu plus compliqué parce que, pour devenir petite fille, Ponyo a libéré sans le vouloir la magie de Fujimoto et mis une sacrée pagaille. Mais à ce niveau, il n'est pas nécessaire d'entrer plus avant dans les détails.

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Une nouvelle fois, Miyazaki brasse différentes influences culturelles pour donner naissance à un univers qui lui est propre et au sein duquel il peut développer ses thèmes de prédilection. L'écologie, l'enfance, l'agression de la Nature par le monde des hommes, la famille, les anciennes divinités merveilleuses, la magie du monde. Cette fois, il revient également sur plusieurs titres clefs de son oeuvre et Gake no Ue no Ponyo m'apparaît comme un film synthèse. Attention, je n'ai pas dit, même pas pensé « testamentaire ». Mais à son âge bientôt vénérable, Miyazaki semble se délecter de revenir sur des motifs, des ambiances, des réflexions qui lui sont chers. Tout le monde a noté que le film apparaît comme un retour à la simplicité de Tonari no Totoro (Mon voisin Totoro – 1988), Joe Hisaishi reprenant même quelques mesures du fameux thème dans sa nouvelle partition. Ce n'est pas faux, mais ça me semble trop limité. On retrouve effectivement le même sens du détail et la délicatesse dans le traitement des scènes du quotidien (l'intérieur de la maison de Sôsuke, la scène du repas, la maison de retraite, la fuite des insectes des rochers qui rappelle celle des « noiraudes »), une attention qui rapproche Miyazaki du cinéma de Yasujiro Ozu (rappelez vous le début de Bakushū (Eté précoce - 1951) et la façon de montrer les enfants dans la scène d'ouverture). Mais dans le même temps, les morceaux de bravoure et le traitement du merveilleux s'éloignent de la sobriété unique de Totoro pour retrouver le foisonnement, le lyrisme des grands moments de Mononoke Hime (Princesse Mononoké – 1998) ou Sen to Chihiro no kamikakushi (Le Voyage de Chihiro – 2001). Et le sommet du film, la course de Ponyo sur les vagues-poissons de l'océan déchaîné au son d'un morceau démarquant La chevauchée des Walkyries de Wagner, retrouve l'enthousiasme grisant du mouvement des ballets aériens de Porco Rosso ou de Majo no takkyūbin (Kiki la petite sorcière – 1989). Voler, courir, planer en équilibre sur le monde. Il n'y a qu'une poignée de réalisateurs dans toute l'histoire du cinéma capables de nous faire ressentir une telle exaltation.

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Miyazaki s'est toujours plu à animer les éléments. Vent, terre, feu et eau. L'eau surtout qu'il est capable de représenter avec une pureté sans égale. De ce point de vue, Ponyo est un impressionnant festival dont l'eau est le motif central. Elle prend toutes les formes, toutes les couleurs. Tour à tout nappe sombre aux yeux inquiétants, vaste agglomérat de poissons qui se fondent les uns aux autres, larges étendues translucides révélant les paysages engloutis, divinité au visage féminin sublime et aux cheveux ondulants, simple jet, celui que Ponyo crache, espiègle, celui de la pompe qui permet à Sôsuke de la sauver une première fois.

Variations, disais-je plus haut. L'expérience brutale de Ponyo avec le filet dérivant est traitée de la même manière que la rencontre entre Chihiro et le dieu du fleuve dans l'établissement de bain. Prise dans le filet, Ponyo roule dans un maelström d'immondices soigneusement décrits, nuage roulant boueux et terrifiant, comme Chihiro « vidait » littéralement le dieu du fleuve d'une montagne de déchets qui envahissait le bâtiment, manquant d'engloutir la fillette. Miyazaki se sert de sa fibre écologique et de son sens aigu de l'observation d'objets ordinaires pour construire une séquence fantastique et angoissante, jouant également sur un procédé d'accumulation virtuose des objets, « Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie ».

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De ses oeuvres foisonnantes, Miyazaki reprend le principe de la coexistence de principe entre le « réel » et le « merveilleux ». Le monde de Sôsuke semble immédiatement conscient de celui de Ponyo et la mère du petit garçon ne semble guère surprise de voir débarquer, en pleine tempête, une fillette qui court sur les vagues. Pas plus que Sôsuke n'est véritablement surpris des pouvoir magiques de Ponyo. Le film développe là une décontraction qui désamorce les côtés les plus dramatiques de l'histoire. Le tsunami et ses résultats sont prétexte non à une débauche d'effets de destruction mais à une série de visions élégiaques d'une nature en paix, dans laquelle de grands poissons venus du fond des âges nagent paresseusement au dessus de routes submergées. Face au merveilleux, la réaction des personnages de Miyazaki est rarement la peur mais plutôt la joie, comme ces deux marins remerciant les divinités maritimes. Totoro reste peut être le plus radical de ce point de vue, mais chez Miyazaki, il n'y pas toujours de « méchants ». Et quand il y en a, ils possèdent toujours une facette plus positive. Ils ont leurs raisons et nous sommes à même de les comprendre, sinon de les accepter. Ici, cela pourra désarçonner certains, Fujimoto, ou plutôt le côté obscur de Fujimoto est une piste qui fait rapidement long feu. Il représente plus la voix angoissée d'un père qu'une véritable menace. Et le film se dépouille petit à petit de ses principes antagonistes pour devenir un voyage initiatique, contemplatif, et intérieur, celui de Sôsuke. J'ai lu quelque part que le film pourrait n'être qu'un rêve de petit garçon. L'idée est séduisante, mais il s'agirait alors de la même sorte de rêve que celui de Chihiro. De ces rêves que l'on fait en traversant un tunnel.

Un long article sur Buta connection

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Photographies © Walt Disney Studios Motion Pictures France

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