Non, Citizen Kane n'est pas le plus beau film du monde (23/11/2008)

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Je suis le maitreuh du mondheu ! (crédit RKO)

A l'attention de mes lecteurs les plus influençables, ainsi qu'à ceux qui sont régulièrement hanté (avec un H comme dans Halimi) par le doute, il est de mon devoir d'affirmer haut et fort, urbi et orbi, ici et maintenant, avec vigueur et détermination, sereinement cependant, que, non, Citizen Kane, premier film d'Orson Welles réalisé en 1941, n'est pas le plus beau film du monde.

Vraiment.

D'ailleurs, ça n'existe pas un « plus beau film du monde ». Chacun a ses films préférés, c'est normal. Et puis il y a de grandes œuvres, même au cinéma. Et puis il y a des films qui ont marqué l'histoire de ce jeune art, ces derniers n'étant pas forcément les premiers, n'en déplaise à Michel Ciment. En ces sombres temps où l'indicateur et le mérite sont rois, où l'on tient à tout hiérarchiser, classer et valoriser, j'affirme avec Georges Brassens que « Chacun(e) a quelque chos' pour plaire / Chacun(e) a son petit mérite ». Et moi, mon colon, celle que je préfère, c'est Rio Bra... (excusez-moi, cela m'a échappé).

Mais cela revient, comme neige en décembre et un quotidien national peut titrer « Citizen Kane est le plus beau film du monde », suite à une commande de la mairie de Paris auprès de critiques et historiens spécialisés, enfonçant une nouvelle fois le clou de ce film certes remarquable mais quand même. Alors quoi, avec Citizen Kane ?

Les cadres ? Évidemment, The long Voyage home (Les hommes de la mer) est bien moins connu, mais en 1940, Gregg Toland éclaire le film de John Ford aux petits oignons, perspectives, effets de projecteur, de brouillard, de profondeur de champ, de contre jour, en veux tu en voilà. Rien de moins que chez Welles. Et que dire des allemands expressionnistes, de Karl Freund, de Fritz Arno Wagner, de The crowd (La foule) de King Vidor, du travail de Joseph Von Sternberg avec la sublime Marlène ?

La structure en flash-backs ? Carnet de bal de Julien Duvivier, ça ne vous dit rien ? Et Le jour se lève de Marcel Carné, peut être ? C'est vrai que ce sont des films français.

Le montage ? Il suffit de parler d'Eisenstein sur le sujet pour calmer le jeu. L'art de l'ellipse est celui de Ernst Lubitsch et de Fritz Lang, ce dernier ayant utilisé les ressources d'une action commentée par plusieurs points de vue extérieurs dans M.

le plan séquence ? Et le premier plan du Scarface de Howard Hawks en 1932, ça ne vous rappelle rien ? Quand même un peu, comme le face à face Cary Grant – James Stewart dans Philadelphia Story de Georges Cuckor en 1940 (belle époque).

Les plafonds, alors ? Soyons sérieux. Ford les avaient déjà filmés dans Stagecoach deux ans avant et Welles, qui admirait Papy, avait vu une vingtaine de fois ce western pour préparer sa grande oeuvre.

La puissance d'expression des images ? Je préfère King Kong.

La hardiesse du propos ? Nous sommes quand même loin d'Un chien andalou de Don Luis Bunuel et Jean Vigo, à notre grande tristesse, était déjà mort.

Je pourrais rajouter un raton laveur, mais il n'y en a pas dans Citizen Kane. Brisons là. Le film d'Orson Welles est un condensé ce tout ce qui a été cité ici. C'est un film brillant, séduisant, c'est aussi un beau drame existentiel. Du coup, les comiques peuvent aller se rhabiller. Le cinéma de genre aussi par la même occasion. Certes c'est une date mais rien ne le fait pour moi briller d'un éclat particulier. Dans la carrière même de Welles, je préfère The magnificent Ambersons (La splendeur des Ambersons) tourné l'année suivante et malgré les outrages subits de la part des studios. Plus sensible, plus pétri de pâte humaine, plus fin, moins crispé aussi. Manque un peu d'humour, Welles, ici. Et puis il manque décidément à Citizen Kane le minimum d'érotisme syndical. Welles ne sait pas encore filmer les femmes comme Janet Leigh ou Suzanne Cloutier. C'est quand même ennuyeux pour un « plus beau film du monde ». S'il ne fallait qu'une raison, voici donc pourquoi qu'il ne l'est pas, CQFD.

En vérité, je vous le dit, si Citizen Kane se retrouve si souvent sur le podium, c'est qu'il est consensuel, bien fichu, et surtout que n'importe quel critique l'a vu. Parce que qu'il faut l'avoir vu sinon, c'est la honte dans la cour de récréation des critiques et historiens du cinéma. On pourrait ainsi argumenter sur beaucoup des titres cités dans cette fameuse liste des cent meilleurs films, même si certains sont parmi mes préférés, on pourrait discuter sur tous, sauf sur Rio Bra... (aie, t'es con ça fait mal).

La liste

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