Joli mai : Deux approches (24/05/2008)
« [...] je suis romain donc fataliste, le fascisme va se réinstaller dans mon pays, des films innocents se croient politiques (comme Petri qui dit : « je fais des films communistes » et qui ne fait que des jolis films centristes). Je vois tout cela s'agiter dans des codifications nationales et limitées. Je pense... qu'on peut parler justement de politique à l'intérieur d'une fable. Si on fait du cinéma pour un millier de personnes d'accord d'avance, on se trompe autant que celui qui exploite la mode du cinéma politique pour faire de l'argent. Moi, je crois en l'homme et je fais des films sur la rencontre d'hommes. »
Sergio Léone
Entretien avec Emile Verdi
Cinéma 72 N° 166 – Mai
« Je crois à la diffusion de masse quand il existe un parti de masse.(…) Le cinéma est un instrument de parti. (…) Nous, pour l'instant, nous disons que le cinéma est une tâche secondaire dans la révolution mais que cette tâche secondaire est actuellement importante et qu'il est donc juste d'en faire une activité principale. »
Jean-Luc Godard
A propos du groupe Dziga Vertov
Source : Revue Manifeste
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Commentaires
A propos de ce que dit Leone...
Paolo Sorrentino, favori du prix d'interprétation masculine à Cannes, était interrogé l'autre soir sur France Inter : "Pensez-vous qu'un film de cinéma peut éveiller la conscience politique des Italiens ?" "Non" sans appel, quasi pessimiste mais réaliste.
Bonne réponse ma foi, sinon, Il Caimano de Moretti aurait empêché la réélection de Berlusconi et ses conséquences collatérales : Vérone a un maire fasco de la Ligue Nord, Rome est passée à droite (dure) et on va faire un remake transalpin des Ch'tis - oui, je sais, rien à voir mais je vous fiche mon billet que l'histoire sera celle d'un gars du nord de l'Italie qui est muté à Naples, dans les ordures !
Écrit par : il Gatto del Rabbino | 25/05/2008
Oups ! Quand j'écris "Paolo Sorrentino", lire "Toni Servillo".
(Les écrits du dimanche matin ne sont pas tous évangiles)
Écrit par : il Gatto del Rabbino | 25/05/2008
Je serais moins catégorique que M Servillo. Il me semble qu'un film, une oeuvre d'art en général, n'est sans doute pas taillée pour changer la conscience politique d'un peuple. Mais à plusieurs, s'il y a mouvement, il peut se passer des choses. D'un autre côté, l'art est là pour nous aider à comprendre et pour apprendre, et pour nous ouvrir au monde (c'est un peu pompeux, mais je ne peux pas faire plus court). Alors il me semble qu'un film peut éveiller la conscience, politique, poétique ou autre d'un individu. C'est déjà ça.
A Cannes, j'ai vu "Gomorra" de Matteo Garrone. Je ne sais pas si le film changera le cours de l'histoire napolitaine, on peut en douter, mais il aura quand même éveillé quelques consciences, au moins la mienne.
Après, on en revient à ce que dit Léone, le problème de nombre de films à portée politique, c'est qu'ils ne s'adressent qu'à des convaincus. Les fans de Berlusconi ne vont pas voir, j'imagine, les films de Nanni Moretti.
Écrit par : Vincent | 26/05/2008
Les fans de Berlusconi ne vont pas voir les films de Moretti puisque les médias de Berlusconi leur ont dit par avance tout ce qu'il y avait dans ce film en démontant les faits évoqués ou en les transformant à l'avantage du Cavaliere.
Croyez-moi, il n'est pas besoin de voir Il Caimano pour savoir ce que ce film raconte sur Berlusconi : la valise aux milliards de lires tombée miraculeusement du ciel, les accointances avec une mafia (remarquez que je ne dis pas LA mafia), les lois qu'on fait voter pour se protéger et protéger ses amis, les phrases provocatrices - celle au Parlement européen l'a plus servi que anéanti -, l'empire média-foot, etc.
Aujourd'hui, je pense que Il Divo, qui est un film que les électeurs de Berlusconi peuvent aller voir, va dans le sens du pouvoir en place : "Regardez ! Vous vous rappelez comment c'était du temps d'Andreotti ? Berlusconi a mis fin à ça. Vous avez eu la chienlit avec la mauvaise coallition de gauche de ces dernières années : Berlusconi va remettre de l'ordre. Le seul homme capable de pouvoir en Italie, c'est Berlusconi !"
Et remettre de l'ordre, avec une action choc que tous les Italiens ne peuvent qu'approuver, y compris ces répugnants Napolitains - du nord au sud de la Botte, les Napolitains sont la lie de l'humanité ; même en Sicile, pour t'insulter, te faire sentir que tu es un porc, on te traite de Napolitain ! -, c'est s'occuper du problème des ordures. Et vlan ! D'une pierre deux coups : politiquement, Berlusconi utilise l'armée pour descendre en flèche l'activité écran reine de la Camorra, à savoir la collecte d'ordures. Il va ainsi débarasser ses amis mafieux d'UNE autre mafia (et là, le film Gomorra va dans le sens du pouvoir en place, j'imagine). Il va ainsi mettre la main sur le sud honnis de l'Italie. Le nord ? Ses amis fascistes s'en occupent, il n'y craint plus rien.
C'est ma théorie. Et un film, deux films, dix films n'y pourront rien : les Italiens occupent trop leur temps libre de servile cerveau à gober les conneries des chaînes MediaSet.
Écrit par : il Gatto del Rabbino | 26/05/2008
Et bien, voici un chat dont le poil se hérisse quand on lui parle du "cavalière" !
Bon, je vous crois sur parole, d'autant plus que je ne suis effectivement pas allé voir le film de Moretti pour apprendre. Je faisais déjà partie des convaincus. J'avais déjà adoré le coup du pétard dix ans avant.
Peut être que le cinéma est mieux à même d'accompagner, ce qui rejoindrait des choses que j'ai entendues ou lues à propos du film de Cantet. Ceci étant, "Il Divo" et "Gomorra" ont été fait fait avant que les italiens aient eu l'idée saugrenue de remettre le cavaliere en selle. Pour ce qui est de l'éveil des consciences, peut être que les actions politiques de Moretti, et celle de l'écrivain de "Gomorra" sont plus efficaces que leurs oeuvres, mais quien sabe ? Tous les italiens ne regardent pas Mediaset comme tous les français ne sont pas plantés devant TF1. Une majorité, peut être, mais un peu d'optimisme que diable.
Écrit par : Vincent | 27/05/2008
Donc, pour résumer, le cinéma digne de ce nom ne peut qu'être gauchiste et pas autrement. CQFD.
Écrit par : Gulden Draak | 29/05/2008
Sans vouloir préjuger de l'opinion du chat, ni ériger mon propre parcours en règle, j''ai quand même l'impression que ce que dit Léone, c'est le contraire. On éveille sa conscience politique dans le sens que l'on veut.
Écrit par : Vincent | 29/05/2008
Le cinéma a-t-il une étiquette politique ? Et la télé est-elle de droite ? Répondre brièvement en refusant le débat serait comme affirmer que Claude Chabrol, Charles Bronson et Clint Eastwood sont fascistes mais le cachent désormais (surtout Bronson), que Michael Moore fait beaucoup pour sauver l'emploi aux Etats-Unis et que Woody Allen fait des films juifs. On pourrait aussi se demander si la NRA n'a pas commandé "Elephant" à Gus Van Sant parce qu'au premier degré, pour un jeune esprit, ç'a l'air tellement cool de flinguer des camarades de classe.
J'ai l'air de prendre les mômes pour des crétins. Est-ce pour cela que je suis antijeune ou fais-je seulement de l'antijeunisme par provocation ? La réponse se trouve peut-être dans le court-métrage "Ringer" de Jeff Lieberman.
En ce qui concerne "Il Divo" et "Gomorra", je ne dis pas qu'il ont été faits pour servir Berlusconi mais qu'ils sortent à point nommé. Certains cinéastes sont visionnaires, pourquoi pas à court terme. Et puis, le cinéma, même avec des films à message, ça reste une industrie, qui doit être rentable.
Écrit par : il Gatto del Rabbino | 29/05/2008
"Au cinéma on lève la tête, à la télévision, on la baisse pour regarder" disait JLG. Je ne sais pas si l'on peut en tirer des conclusions définitives. Mais je n'ai jamais apprécié l'utilisation de l'épithète "fasciste" pour les cinéastes, épithète que l'on manie encore volontiers aujourd'hui, hélas, et qui était monnaie courante dans les années 70. J'ai remarqué qu'elle concernait souvent des réalisateurs que l'on pouvait difficilement réduire à une étiquette et qui se plaisaient à une critique des ambiguïtés des nos modernes démocraties. C'est assez évident pour Chabrol ou Eastwood, Cimino y a eu droit aussi. Je crois que j'aime assez les films qui ne se laissent pas classer, ou les cinéastes qui ont bougé leurs propres lignes tout en faisant de ce mouvement le sujet de leurs films. Je pense à Ford évidemment mais c'est vrai aussi pour des gens comme Fuller ou Aldrich (qui ont eu droit à leur épithète à un moment eux aussi).
Sur nos films italiens, l'opportunisme est surtout le fait de ceux qui savent récupérer leurs sorties, parce qu'ils sont là au bon moment. mais "Gomorra" n'a pas pu anticiper le retour du Cavaliere que Laurent Cantet sa palme d'or et le mouvement dans l'éducation nationale. ensuite, ces films ne peuvent se réduire à un sujet trop précis dans le temps et l'espace sous peine d'être condamnés à l'oubli rapidement. "Le Caïman" a valeur de fable et nous parle en fait beaucoup plus de cinéma que de Berlusconi, comme disons "Una vita difficile" qui va bien plus loin que l'arrière plan politique de l'Italie de 1960 et qui est un chef d'oeuvre. D'un autre côté, le film de Léone ci-dessus cité sait parler de l'Italie de 1971 à travers une histoire universelle.
Au départ, j'étais partit plutôt sur une opposition Léone/Godard, mais finalement, je crois les deux démarches légitimes et intéressantes même si je préfère l'une à l'autre.
Merci pour ce court métrage, si ça intéresse quelqu'un d'autre, le lien en cliquant sur mon nom.
Écrit par : Vincent | 31/05/2008
Désolé pour l'utilisation de l'épithète "fasciste" mais je vilipendais surtout ceux qui s'ingénient à "fasciser" - curieux, ce verbe n'existe pas dans la langue française - l'oeuvre de certains réalisateurs comme seul angle de dénigrement de leur talent.
Même les films de propagande restent du cinéma : le "producteur" et le réalisateur les donnent, le spectateur les reçoit comme il le veut (peut), avec son intelligence, son libre-arbitre.
Mais visiblement, les temps sont à infantiliser les cerveaux ou à les juger comme tel. Preuve en est cette exposition polémique de photos de Paris sous l'occupation - curieux, la langue française autorise des lettres capitales à certains faits historiques mais pas à d'autres : Révolution, Résistance, Libération, occupation, déportation, génocyde... Tout est une question de point de vue.
Ainsi, dans une salle de cinéma, voit-on mieux un film de face que de côté, du bas que du balcon (je regrette de plus en plus les balcons dans les cinémas), du milieu, du fond ou à l'avant de la salle ?
Écrit par : il Gatto del Rabbino | 31/05/2008