Clermont 2008 - Primrose Hill (13/02/2008)

Avec le recul, c'est Primrose Hill de Mikhaël Hers qui s'impose à moi comme le film le plus fascinant de cette édition. Il a pourtant à la base bien des éléments peu enthousiasmant : quatre jeunes musiciens dans le vent parisien, sur le fil de question existentielles, un filmage en lents travellings façon Gus van Sant, voix off et plans séquences. Et puis cette scène essentielle du dernier tiers qui me pose problème.

Primrose Hill est une colline du côté de Regent Park, à Londres, dont l'image est liée à l'oeuvre de nombreux artistes, des musiciens notamment comme les groupes Madness, Blur ou Oasis. C'est également là que se termine le roman de H.G.Wells, War of the world. Bref, cette colline est parcourue un jour d'été par cinq amis, unis par leur amour de la musique pop (anglaise évidemment) et de rêves communs comme monter un groupe et déchaîner les foules. Quand le film commence, quelques années ont passé et ils ne sont plus que quatre à déambuler sur la colline du parc de St Cloud. C'est l'hiver. La musique est toujours là, mais l'énergie a disparu qui devait porter les rêves. Dans l'un des premiers plans, nous les voyons ranger leurs instruments. Tout est dit.

Primrose Hill est construit de lignes qui suivent des trajectoires parallèles. Les amis marchent côte à côte, deux par deux. Il y a Londres et Paris, l'été et l'hiver, la voix off de l'absente venue du passé, aux phrases ciselées, et les dialogues du présent, denses et directs. Le film a beau être bavard, il laisse tout l'espace nécessaire à ce qui se joue entre les personnages : l'inexprimé de leurs sentiments, perte, amitié, amour, rage, impuissance, espoir. Ces sentiments trouvent leur expression dans la remarquable ambiance hivernale qui baigne le film. Le parc est baigné d'une superbe lumière douce et triste, on sent le froid et l'humidité. La photographie est de Sébastien Buchmann. La mise en scène les enveloppe de longs mouvements élégants, de larges cadres, et laisse les plans durer. Et ainsi ils vont, résolument, un rien butés, tout en donnant l'impression que leur périple les fait tourner en rond.

A un noeud de leur existence, ils croisent différents possibles. C'est la jeune mère de famille et la vie rangée, c'est le jeu de ballon et le maintient dans l'enfance, c'est la scène de l'hôpital et la dérive. C'est la tentation de la résignation. Ou de la fuite comme Sonia, jouée par Jeanne Candel, qui joue en province (Marseille ?) avec un groupe appelé les Gavroches Plutonium. C'est une pragmatique. Dans le groupe, le plus acharné à préserver le rêve, c'est Stéphane, joué par Hubert Benhamdine, le frère de la disparue qui accepte d'autant moins un nouveau déchirement. Thibaud Vinçon joue Xavier, celui qui malgré son allure de breton costaud, est sans doute le plus faible, déjà désabusé. Il montre à travers ses réflexions sur ses clients (il est disquaire) qu'il rejette ce qu'il a été. Joëlle est la plus lucide, l'interprétation tout en finesse et en charme de Stéphanie Daub-Laurent vient de lui valoir un prix d'interprétation. C'est elle qui va pouvoir proposer à Stéphane une porte de sortie.

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Le film va se résoudre quand les lignes vont enfin se croiser. Joëlle et Stéphane vont se retrouver dans une petite chambre et va se jouer une très belle scène problématique. Il leur faut beaucoup d'énergie pour vaincre la pesanteur de leurs corps et rompre la force d'inertie qui les tient à distance. Ils se touchent enfin, au terme d'un suspense sentimental filmé avec tendresse et grâce. Je me serais presque cru chez Capra du côté du téléphone. Ils s'embrassent. Hers joue alors de petites touches de comédie. Elle met un disque. Il en change. « Tu veux me faire une sélection ? » ironise-t'elle. Ils se déshabillent puis s'étreignent. Et là, j'aurais aimé que la caméra se retire sur la pointe des pieds, avec délicatesse. Mais non, elle reste pour le plan séquence. On pourra argumenter que c'est en cohérence avec le style du film mais ça m'a gêné. Je trouve ce genre de scène inutilement risquée. A partir du moment ou l'idée est passé, et de belle façon, je commence à m'éloigner des personnages pour retrouver deux acteurs gigoter de leur mieux. En plan large, ce n'est vraiment pas évident. En général, c'est ennuyeux et/ou ridicule. Sauf pour les films érotiques, mais ce n'est plus le même objectif. Dans ce cas précis, j'ai trouvé que ça cassait un peu la magie des préliminaires. La scène a ses ardents défenseurs.

Suit une belle séquence familiale un peu dans le ton du dernier film de Philippe Lioret, un autre film sensible sur la perte, le deuil et le devenir adulte. Le film s'achève sur un dernier retour sur la colline de St Cloud qui se fond enfin, par la grâce des fantômes apaisés, avec Primrose Hill. Et la vie continue, comme on dit.

Il serait gonflé de parler de Primrose Hill sans mentionner sa bande sonore. Il faut avouer que, tout en aimant le style, je ne suis pas un grand connaisseur de la pop anglaise. Je considère aussi que la grande force du film est de ne pas rendre les chansons de Martin Newell, The Adventure Babies, The Little Rabbits (eux je connais) et autres Felt, trop envahissantes. Ils baignent le film qui, d'une certaine façon, est lui-même construit comme un de ces morceaux pop. Son atmosphère, son charme mélancolique, est celui de ces chansons que l'on a aimé et qui passent l'usure du temps. Ceci achève de faire de Primrose Hill une oeuvre attachante, littéralement remarquable.

 And after all this time

To find we're just like all the rest

A lire chez Joachim, Pop News, Indie-boy traqueur et Ed Sissi.

Photographie empruntée chez Joachim.

22:28 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : mikhael hers |  Facebook |  Imprimer | |