Petits carnets cannois (1) (21/06/2014)

Pour une poignée de films

Cannes pendant un dizaine de jours est le plus bel endroit du monde pour voir des films. Le plus beau et le pire. Année après année, festival après festival, je me retrouve face à cette contradiction et je n'en suis pas à une près. Parfois cela se passe bien, parfois moins. D'un côté, il y a cette incroyable diversité, les films rares, la présence des équipes anxieuses venues des quatre coins du monde, la qualité des projections dans des salles où le cinéma est encore considéré comme un art et non comme un produit d'appel pour vendre des confiseries. Cela devient l'exception. D'un autre côté, il y a tout ce déballage de camelot, ce luxe omniprésent et parfois arrogant qui parade devant les écrans où s'ausculte toute la misère du monde. Les braves gens ! Il y a cette organisation pesante cultivant la paranoïa, le culte du contrôle et la hiérarchisation quand les films célèbrent la liberté et la révolte. Il y a ces files interminables pour des films qui ne réuniront jamais autant de spectateurs dans toute leur carrière commerciale. Réjouissant, irritant, c'est Cannes.

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Ouaf

Fehér isten (White God) du hongrois Kornél Mundruczó est le mélange improbable de The lady and the tramp (La belle et le clochard – 1955) produit par Walt Disney, de Willard (1971) de Daniel Mann, de The great escape (La grande évasion - 1962) de John Sturges et du conte du joueur de flûte de Hamelin. Le héros en est un chien que l'on sépare de sa jeune maîtresse bien aimée. Quelques péripéties plus tard, traqué par la fourrière et promis à l'euthanasie, le toutou organise la fuite des pensionnaires du chenil. Déterminé, il conduit la horde canine et sauvage à travers la ville, submergeant la police et organisant sa vengeance. C'est très réussi malgré quelques baisses de rythme ici où là. Kornél Mundruczó met en scène son conte avec une invention constante et un premier degré assumé qui ne fait pas le malin avec son histoire, tout en conservant cette pointe ironique propre aux cinémas d'Europe de l'Est ce qui laisse la possibilité d'une lecture au second degré jouissive. Le film est tour à tour poétique (le finale, superbe), lyrique (la course de la horde), haletant (la traque, successions de scènes impressionnantes dont le montage inspire le respect), social (c'est ancré dans une réalité très prosaïque), sachant jouer avec un suspense un poil fantastique (l'ombre du chien sur le mur à la Tourneur) et un soupçon d'humour. Joli dosage. Le travail avec les chiens laisse la langue pendante d'autant qu'il ne semble pas y avoir d'effets numériques. Prix de la section Un certain regard.

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Ouest poussif

Il est douloureux pour l'amateur de western que je suis de n'en voir sortir qu'un ou deux par an et de les trouver ratés. The homesman, le film de Tommy Lee Jones est d'autant plus agaçant qu'il avait un fort potentiel. Une histoire où une courageuse fermière doit convoyer trois femmes devenues folles à travers les étendues sauvages et désolées du territoire du Nebraska des années 1850. Elle embarque pour l'aider un ex-soldat qu'elle a sauvé de la pendaison. Le couple que Jones forme avec l'excellente Hilary Swank fonctionne bien et aurait pu marcher dans les pas de celui d'African Queen (1951) de John Huston dont on peut toujours rêver, en vain, de ce qu'il aurait pu tirer de tout ceci. Le couple, la folie, l'aventure, l'ironie... Las ! Tommy Lee Jones qui a écrit le scénario avec Kieran Fitzgerald et Wesley A. Oliver, part dans tous les sens sans rien aboutir. Il multiplie les incohérences. Exemple : Sur ce territoire, les femmes grattent durement la terre (c'est le premier plan du film). Le personnage joué par Hillary Swank a un superbe ranch, du bétail et des terres (c'est son argument pour tenter de convaincre un homme de l'épouser). Pourtant elle est seule et un monde la sépare de ses malheureuses voisines qui vivent en famille. Le western a déjà montré des femmes aux beaux domaines mais elles avaient quarante cow-boys à leurs ordres ou, comme Joan Crawford chez Ray ou Claudia Cardinale chez Leone, elle avaient payé de leur personne. Il y en a d'autres. La mise en scène est tout aussi confuse. Pour traiter de la folie, Jones multiplie inutilement des flashback que l'on croiraient imaginés par Michael Haneke. Sinon il y a de la belle image mais pas de poésie. Une scène tente de marcher sur les traces de Clint Eastwood sans que ni l'acteur ni le réalisateur aient la carrure. Le coup de force scénaristique du second tiers dont je ne révélerait rien par charité abasourdit et achève le film qui préfère l’esbroufe au style, l'effet au souffle. Dommage, trois fois dommage. Et par pitié que l'on ne vienne pas me parle de « féminisme ».

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Photographies : Festival de Cannes

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