B comme bain (23/12/2013)

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Elle a raison, vous avez besoin d'un bain

Quoi de plus naturel qu'un bain? Quoi de plus banal ? Pourtant, peu d'actes de la vie quotidienne ont autant inspiré les réalisateurs. On voit assez rarement des personnages cuisiner ou repasser leur linge. Encore moins passer l'aspirateur ou aller aux toilettes. Vous me direz qu'il y a de brillantes exceptions, mais ce n'est rien comparé à la proportion proprement astronomique de scènes se déroulant dans une baignoire. Et je ne parlerais même pas des films de cul ni de la variante pourtant excitante des scènes de bain en pleine nature dont le sommet est le bain matinal de Tarzan et Jane dans Tarzan et sa compagne en 1934. Maureen O'Sullivan, future maman de Mia Farrow, y évolue dans le plus simple appareil. Quoique doublée, ce n'est pas une chose banale dans le contexte du cinéma américain de la grande époque. Cela méritait d'être cité.

Prenons une scène classique : un couple se dispute, un cow-boy fatigué se relaxe, une reine se prépare à recevoir un empereur. Que cette scène se déroule dans un bain et vous obtenez une scène potentiellement anthologique. C'est simple le cinéma non ? Il y a une jolie réplique sur le sujet dans un film de Godard, vous chercherez. On se souvient donc de BB et Michel Piccoli dans Le Mépris (justement, plus la peine de chercher), d'Eli Wallach dans son bain mousse de Le bon, la brute et le truand de Léone, Sergio, d'Elizabeth Taylor, paix à ses seins, en Cléo marinant dans sa baignoire piscine en attendant Marc Antoine Burton.

La baignoire a don été exploitée pour sa dimension tout autant dramatique qu'érotique, voire comique. Et l'on se permettra de mêler les différentes options lorsque Marilyn Monroe est contrainte d'appeler un sympathique plombier pour décoincer son orteil pris dans le robinet. De sa baignoire, voyons, faut suivre. Le film, si vous ne l'avez vu ce qui serait dommage, c'est 7 ans de réflexion griffé Billy Wilder, et la scène est le fantasme de son héros malade et accessoirement voisin du dessous de la belle. Façon de parler parce que s'il est malade, c'est parce qu'il est voisin de la belle. Qui ne verrait sa température monter en de pareilles circonstances ?

Le bain stimule donc l'imagination, celle des voisins comme des autres, des réalisateurs en particulier qui nous ont composé de bien belles images, pour hommes comme pour femmes. C'est le bain perpétuellement interrompu de Robert Mitchum dans El Dorado, le bain toujours repoussé de Claudia Cardinale dans Il était une fois dans l'Ouest, le bain terrifiant des Griffes de la nuit qui manque d'engloutir Heather Langenkamp, Le bain collectif du cercle de la merde dans le Salo de Pasolini, le bain tendu entre soldate russe et soldat allemand dans Croix de fer, le bain malicieux qui voit le petit plongeur de plastique s'avancer entre les cuisses de Victoria Abril dans Attache moi. Des bains comme s'il en pleuvait. Bains révélateurs, juste ce qu'il faut, des plastiques de Jean-Paul Belmondo, Steve McQueen, Rhonda Fleming et Françoise Fabian. Qui révèlent tout ce qu'il faut quand trempent les belles Ingrid Pitt ou Edwige Fenech. Très concerné par la Révélation, Cecil B. DeMille espérait celle de la poitrine de Claudette Colbert en tournant Le signe de la croix en 1932. Il fit donc de la scène du bain de Messaline le sommet de son film, décidé à y passer le temps nécessaire. Hélas, la belle déjoua toutes les ruses du réalisateur, s'entourant d'une équipe de jeunes femmes expertes dans l'art de manier peignoir et serviettes. Elles entouraient l'actrice plus vite que ne se précipitait le regard de Cecil qui en fut bien marri. Frustré au-delà du raisonnable, c'est de ce temps qu'il en conçu sa totale calvitie, on en sait des choses, ici. Mais quel bain !

Des bains encore, confessionnal original pour Marc Gibaja où son héros fait défiler ses amis dans sa baignoire sous le regard d'une caméra, symbole de réussite avec cigare et coussins de mauvais goût pour le Scarface de De Palma, torture hygiénique pour Don Saluste aux mains de son Blaze de serviteur dans La folie des grandeurs de Gérard Oury. Bain figure imposée à toute jeune actrice française avec si possible immersion complète histoire de voir si la belle sait retenir sa respiration. Avec accessoire choisi comme le chapeau de Romy Schneider dans Max et les ferrailleurs, avec bureau façon Clifton Webb dans Laura, habillé façon Tony Curtis dans Certains l'aiment chaud, Intello façon Godard avec un livre à la main, à deux, à trois, à cinq dans une barrique façon Peckinpah. Le bain, c'est bien. Sur cette forte sentence et avant de me laisser aller à l'évocation des baignoires en tant qu'objets, je vous prie de passer à la lettre C.

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