L'aigle vole au soleil (26/02/2012)
Il y a un passage sublime dont je ne me souvenais plus dans The wings of eagles (L'aigle vole au soleil – 1957) de John Ford. C'est vers la fin du film. Spig Wead, joué par un John Wayne particulièrement inspiré, range ses affaires avant de quitter le porte-avion sur lequel il est officier après une attaque cardiaque. . Il s'arrête sur deux photographies : ses filles et Min, sa femme. Elle est jeune, c'est Maureen O'Hara, somptueuse en maillot de bain sur un ponton. Souvenirs. Ford raccorde cette photographie en noir et blanc à l'image vivante du passé en couleurs. Et pour ce faire, il enchâsse dans le fondu enchaîné une surimpression d'éclats de soleil jouant sur l'eau. La photographie semble se dissoudre en une multitude d'étoiles avant de prendre vie comme sous la baguette d'un enchanteur. Ce qui n'aurait pu être qu'une simple transition devient un moment de merveilleux poétique. C'est Wead qui prend la photographie. Le couple est à la plage, le temps d'une jeunesse heureuse. Plus loin, ils sont dans leur incroyable tacot (nous sommes vers 1920). Ils s'arrêtent et regarde attentivement de gauche et de droite. Puis ils osent un baiser timide puis un second passionné. Ce sont John Wayne et Maureen O'Hara et je pense à la scène du cimetière dans The quiet man (L'homme tranquille– 1951) et combien ce vieux pudique de Ford pouvait être sensuel. Des souvenirs encore. Une promenade avec les enfants dans les landaus. Puis retour vers 1943, le visage de Wead renversé en arrière et je pense à celui de Ma Joad qui trie ses souvenirs au moment du départ. Musique délicate de Jeff Alexander. Des souvenirs et des regrets aussi. Je connais peu d'évocations aussi belles de ce sentiment du bonheur passé.
Je ne me souvenais pourtant pas de ce passage. J'ai du voir le film au moins deux fois enfant. Et je l'aimais parce qu'il y avait John Wayne. Je gardais le souvenir des passages de comédie, les bagarres burlesques entre marins et soldats, l'hydravion dans la piscine du général et le gâteau à la crème dans la figure. Je frémissais à la chute terrible de Wead dans l'escalier, chute qui le laisse paralysé (mais comment John Wayne pouvait-il tomber dans un escalier ?). Il y avait aussi cette histoire de doigt de pied à bouger et ce trafic de bouteilles d'alcool. Et puis quand même ce dernier plan spectaculaire quand Wead est évacué du porte-avion sur une chaise suspendue entre deux navires. Mais le reste n'imprimait pas, ni l'histoire du couple, ni l'épisode hollywoodien où Ford se décrit à travers le personnage du réalisateur John Dodge incarné par son vieil ami Ward Bond, ni la force mélancolique du souvenir, ni ce sens du temps qui passe, sentiments vagues encore pour un enfant de dix ou douze ans.
The wings of eagles se base sur la vie de Franck « Spig » Wead, aviateur de la marine qui se distingua dans les courses et les records de vitesse. Suite à l'accident domestique stupide relaté dans le film et qui le laissa paralysé, il devint écrivain puis scénariste à Hollywood où il écrivit pour Howard Hawks (Ceiling zero en 1936), Franck Capra, King Vidor ou Victor Fleming. Il devint l'ami de John Ford et son scénariste pour Air mail (Tête brûlée - 1932) et le superbe They were expandable (Les sacrifiés – 1946). Il meurt en 1947. Ford n'aimait pas le scénario développé à partir de la vie de son ami, mais il a toujours déclaré qu'il ne voulait pas que quelqu'un d'autre le fasse à sa place. Du coup, sous des dehors classiques et sophistiqués (production MGM, moyens et stars), le film reste très personnel et souvent surprenant. Traité à coup de grandes ellipses, The wings of eagles dégage un mélange de force et de désinvolture, ce qui se traduit visuellement par la façon que les personnages ont de tout envoyer balader dans le décor :allumettes, cigarettes, bouteilles, chaussures et verres. Il devait falloir se garer sur le plateau. Du parcours de Wead, Ford s'attache longuement à des temps morts, en apparence, car ils sont au plus près de la vérité des personnages. Les grands évènements qui auraient fait l'ordinaire d'une biographie classique sont relégués hors champs. Les courses d'avion victorieuses sont vues à travers des actualités au cinéma où racontés au pot de la victoire, Les succès hollywodiens sont vus des coulisses et quand arrive la seconde guerre mondiale, Ford préfère intégrer des extraits de films d'actualité semblables à ceux qu'il tournait à Midway en 1942. Pas question de tricher. Ce qui compte, c'est l'homme et ce qu'il ressentait. Plus encore, Ford reconnaît en Wead un double et avec toute la retenue imaginable de sa part, il fait de Wead à travers son acteur fétiche un véritable auto-portrait. Comme tout les grands héros fordiens, Wead est hanté par l'échec, écartelé entre ses aspirations profondes et son devoir, entre l'expression d'une sensibilité incarnée dans la famille et la femme aimée, et l'attachement à un idéal qui exige le sacrifice sans atténuer le sentiment de culpabilité. On peut voir The wings of eagles comme la version réussie de The long gray line (Ce n'est qu'un au-revoir- 1955) et Wead comme le prolongement du personnage d'Ethan Edwards, plus tard de Tom Doniphon, tous deux incarnés par Wayne.
L'acteur offre une composition impressionnante, sans doute bien conscient de l'enjeu. Pendant une vingtaine de minutes, il joue immobile, couché sur le ventre et le front posé sur une brique. Plus de la moitié du film, il est sur une chaise roulante puis se traine avec ses cannes, et arbore de façon touchante sa calvitie naturelle. Oui, Wayne a très tôt porté une moumoute. L'alchimie entre lui et sa partenaire est intense et toutes les scènes familiales sont parfaites. Il faudrait les citer une à une à commencer par celle de la mort du premier bébé, traitée avec simplicité et pudeur, et dont l'émotion est si forte qu'elle pèse sur ce qui suit sans que jamais le film ne revienne sur cette épreuve. Dans un autre registre, il y a la délicieuse scène ou Wead débarque au foyer après une longue absence. Ses fillettes ne le reconnaissent pas et, la mère étant absente elles l'accueillent néanmoins avec candeur. Lors d'une tentative de raccommodage tardive, il y aura aussi le geste tendre de Maureen O'Hara caressant le crâne de Wayne. Le plus étonnant dans le film, ce sont ses ruptures de ton. Radicales. Comme ses personnages qui sont réticents à se laisser aller à leurs émotions, Ford enchaîne comme par défi les scène de pure comédie aux moments les plus sombres. A la mort du bébé succèdent les rivalités bon enfant entre marine et armée. La lente guérison partielle de Wead est traitée à la rigolade avec infirmière revêche et défilé de bouteilles d'alcool à l'hôpital (où l'on fume, les temps ont bien changé). Certains critiques n'ont pas apprécié ces changements de ton, pourtant ce sont bien les scènes de comédie, les bagarres fordiennes, qui donnent de la densité aux scènes intimistes. Et les éclipses des scènes familiales correspondent sur le temps du film à celles du temps d'une vie. Reste avec une rare clarté ce sentiment de mélancolie et l'image de Maureen O'Hara souriante au milieu des étoiles.
Photographies : capture DVD Warner
01:40 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : john ford | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Bonjour Vincent, ce filme de John Ford est bon souvenir, je me souviens surtout de Ward Bond (acteur que j'aime beaucoup) jouant le rôle un de réalisateur qui resemblait comme deux goutes deux à John Ford, un mimétisme parfait entre la réalité et la fiction!
Encore un filme qui n'existe pas en DVD sous nôtre soleil.
Écrit par : claude kilbert | 27/02/2012
Bonsoir Claude, Bond raconte qu'il avait pillé le bureau de Ford pour lui piquer ses accessoires, notamment la collection d'Oscars que l'on voit dans le film. C'est même étonnant qu'il l'ai laissé tripoter le fameux mouchoir, Ford était très susceptible sur cette manie.
J'étais vraiment ravi de revoir ce film, depuis le temps. Dommage qu'il ne soit pas édité par chez nous, mais le zone 1 se trouve facilement.
Écrit par : Vincent | 27/02/2012