L'un des avantages du DVD est qu'il permet de retrouver ou de découvrir tout un pan de l'histoire du cinéma qui n'est plus trop accessible sur les chaînes « classiques » et encore moins en salles, cinémathèques comprises. J'ai ainsi pu assouvir mon ancienne envie de voir La Bande à Bonnot de Philippe Fourastié réalisé en 1968. J'ai longtemps eu cette image de Jacques Brel et de Bruno Crémer dans leur voiture d'avant 1914 avec ces lanternes comme on en faisait aux diligences. Et puis, j'ai toujours aimé Brel au cinéma, même dans les films faiblards qui ne le méritaient pas. Tiens, Mon Oncle Benjamin d'Édouard Molinaro, voilà un autre film que j'aimerais bien revoir.
Mais revenons à nos anarchistes en auto. Le film a visiblement eu les moyens : reconstitution d'époque soignée et belle interprétation avec, aux côtés de Crémer (Bonnot), et Brel (Raymond la Science), Annie Girardot, Jean Pierre Kalfon, tout jeune, Anne Wiazemsky et Michel Vitold. J'ai cherché des informations sur le réalisateur, mais il n'y a pas grand chose. Pourtant, ce film, son second après Un Choix d'Assassin en 1966, est un beau film, vif, ambitieux et maîtrisé. Et Fourastié a été à bonne école : Assistant de Godard sur Pierrot le Fou, de Rivette sur La Religieuse, de Chabrol et de Schoendoeffer. Né à Cabourg en 1940, mort à Tréguier en 1982, sa carrière s'interrompt brutalement après La Bande à Bonnot. Enfin presque puisqu'on le retrouve à la télévision pour la série Mandrin. Encore un bandit légendaire.
Sortit en 1968, le film n'a pas du plaire et sera interdit aux moins de 18 ans. Sa force tient au mélange de faits bruts, les braquages, les meurtres et la cavale des bandits ; et du discours anarchiste radical porté essentiellement par le personnage joué par Brel. Fourastié mêle habilement la sympathie que lui inspire l'idéologie avec la froide violence des actes. Ce partit pris et le refus de toute psychologie évite largement toute empathie avec les membres de la bande, Cremer en tête qui joue un Bonnot renfermé, déterminé et impitoyable. Il faut les voir décharger d'un coup leurs armes sur les clients de la banque, tirer sur la foule comme à la foire. Les images sont assez fortes pour se passer de toute autre condamnation. Seul Raymond la science échappe à cette mise à distance. Il bénéficie de la sympathie naturelle de Brel. Son discours, virulent et naïf aux ouvriers aux portes de l'usine, c'est presque Brel qui chante « Moi, les carreaux de l'usine, j'irais les casser ». Même s'il exerce la même violence que les autres et n'en éprouve aucun remord, c'est lui qui porte l'idéal anarchiste, s'opposant au personnage de Victor Kilbatchiche (Vitold), non violent et présenté de façon un peu ridicule, du moins peu efficace. Lors du procès final, le discours de Brel a des accents de celui de Chaplin dans M Verdoux lorsque l'on reproche ses crimes : "Des flics et des rentiers ataviques. Alors que vous, combien d’ouvriers, de travailleurs, sont venus salir de leur sang vos mains autocrates ?" Le film épouse la forme de la légende, des couvertures de la presse à sensation de l'époque, au sein d'une réalité comme estompée, rejetée à l'arrière plan pour laisser la bande aux prises avec ces policiers tout vêtus de noir comme chez Grimault et Prévert et les zouaves de carnaval, interchangeables, mécaniques.
Commentaires
Merci pour ce super bog cinéphile !!
Enfin un vrai blog culturel de qualité !!
Écrit par : Marc | 23/03/2006
excellent blog que je découvre à l'instant, j'aime beaucoup Brel au cinéma également (et je suis dingue du chanteur), j'ai vu avec un grand plaisir "La bande à Bonnot" (j'admire Bruno Cremer en +) et moi aussi j'aimerai revoir "Mon oncle Benjamin". Pour rester avec Brel, j'ai aussi vu il y a peu de temps le film très politique de Marcel Carné, "Les assassins de l'ordre" (un long métrage un peu à la Cayatte) avec là encore une belle prestation de Brel en tant qu'acteur...
Je suis heureux de voir un lien vers cinezik dans ta blogroll ;) je fais partie de leur équipe !! merci de leur faire de la pub, ils le méritent !! ;)
A +
Écrit par : kfigaro | 13/04/2006
arggg... mais je vois que l'on se connaissait déjà !! (comme je navigue en désactivant les images, je n'avais pas vu ta photo en haut à gauche !!) mais je me disais aussi, un blog de cette qualité, peut être y en avoir cinquante... :? je suis confus mais c'est de ma faute, je m'embrouille avec mes liens, du coup, j'ai rajouté 2 de tes blogs dans mon blogroll, comme ça, je recommencerai plus les mêmes gaffes...
ah, c'est malin, tiens !!
Écrit par : kfigaro | 13/04/2006
Je suis une soixantehuitarde italienne (chez nous '68 s'est doublé d'une longue insurrection ouvrière)non repentie, de mpn metier je suis historienne du monde du travail et j'adore Bruno Cremer. Trois raisons pour decouvrir avec joie un film que j'avais vu en Italie en '69 et disparu au point d'imaginer de l'avoir revé.
Ce film n'aurait pu etre tourné qu'alors et c'est dommage que Cremer ne soit plus confronté avec l'imaginaire de la revolte (mais on imagine assez difficiliment Maigret en commissaire de police du ministre Clemenceau: et en effet la serie qu'il a interprété se deroule dans les dernières années de la quatrième republique)
Écrit par : m g m | 25/06/2007
Interdit aux -18? Mais alors comment expliquer que ce film m'ait été montré, je crois vers 1971, dans une école secondaire (pensionnat) abbatiale des pères bénédictins en Belgique? J'ai longtemps voulu le revoir, et je viens de le trouver en dvd.
Qu'est-il arrivé à Philippe Fourastié, d'ailleurs?
Écrit par : sibelius | 23/10/2007
Je viens de voir ce film malheureusement tombé dans l'oubli. Outre ces reélles qualités de réalisation, il est impressionnnt de constater sa formidable liberté de ton. Il suffit de voir aujourd'hui avec quelle infinie précaution JF Richet s'empare d'une autre légende du banditisme français du siècle dernier.
Écrit par : princecranoir | 07/12/2008