Gratte sur ta mandoline mon petit Marcello (06/04/2011)
Giallo napoletano connu en son temps (1978) et dans nos contrées sous le titre Mélodie meurtrière est une tentative plaisante et parfois réjouissante du maestro Sergio Corbucci de passer le giallo à la moulinette de son tempérament comique. A la fin des années 70, le genre commence à marquer le pas. Corbucci ne s'y est jamais frotté mais il se lance ici en reprenant tous les éléments de base. Il y a un mystère sordide, des cadavres qui s'empilent (façon de parler parce qu'ils sont tous défenestrés), une belle galerie de coupables potentiels autour d'un personnage amené malgré lui à rechercher la vérité, de ravissantes créatures, une étrange demeure et un inspecteur qui compte les points. L'histoire en quelques mots : un modeste professeur de mandoline, Raffaele Capece, napolitainissime, se retrouve manipulé par un truand pour régler la dette de jeu d'un père inconséquent. Il se trouve précipité dans une danse macabre où il croise une blonde mystérieuse, une beauté brune, Lucia, un célèbre chef d'orchestre et sa compagne cantatrice Elizabeth, un inspecteur milanais, la mystérieuse sœur Angela qui dirige un asile, un couple de gangsters et quelques autres personnages pittoresques dont un chien à trois pattes.
Corbucci annonce la couleur d'entrée. Le générique défile sur deux photographies côte à côte : celle d'Alfred Hitchcock, maître du suspense s'il en fût, et celle de il grande Totó, icône de la comédie all'italiana s'il en est, dont le regard napolitain contemple avec ironie le réalisateur anglais impénétrable. Alliance des contraires, effet de collage, références cinéphiles et populaires, l'image redouble l'idée duelle du titre, giallo pour le genre avec ce qu'il comprend d'imaginaire codifié (la nuit, l'angoisse), napoletano pour l'Italie du sud, ses clichés visuels ( la mer, le soleil) et sa tradition de comédie. La mise en scène de Sergio Corbucci, efficace et précise, décline ces motifs de symétrie, de reflets et d'oppositions. Ce sont Raffaele et le chef d'orchestre qui boitent de concert en avançant dans un couloir (le musicien a eu la poliomyélite, le chef un accident de football ce qui nous vaut un excellent jeu de mot intraduisible), ce sont les deux héroïnes, Lucia et Elizabeth, une blanche et une noire, c'est l'inspecteur milanais qui déteste les gens du sud et doit faire équipe avec Raffaele, c'est la paire de truands, le bavard et l'armoire à glace. Raffaele et son père, ce sont deux maladies différentes, deux caractères opposés et deux acteurs, Marcello Mastroianni et Peppino De Filippo, de deux générations différentes. Depuis longtemps, Corbucci aime les duos mal assortis et les dynamiques comiques qu'ils engendrent. Dans Giallo napoletano, cela fonctionne de façon plutôt enlevée, même si l'on pourra regretter un certain effacement des personnages féminins. Incarnée par Capucine, qui avait déjà joué pour Corbucci dans Bluff (1976), dans le rôle de sœur Angela, et la sublime Ornella Muti en Lucia, ne sont guère employées, même si la seconde bénéficie de quelques beaux portraits (ses yeux, mamma mia !) et d'un plan assez émouvant sur ses cuisses qui bouleverse Raffaele, on le comprend. La très belle Zeudi Araya, chanteuse éthiopienne, a visiblement plus inspiré Corbucci que l'on a connu pourtant plus sensuel. Sa beauté, très fine, très souple, que l'on découvre en un plan évoquant les jeux de miroir de Il mercenario (Le mercenaire– 1969), fait des étincelles, notamment dans ses duos avec Mastroianni quand ils interprètent la chanson Funiculì funiculà, grand classique napolitain, lors de la fête de l'asile.
Ce sont les hommes qui se taillent la part du lion. Il faut dire que Corbucci a réunit ici une distribution exceptionnelle, l'une des plus belles de sa carrière et qu'elle porte littéralement le film. L'équipe d'acteurs offre un panorama de trente ans de comédie italienne. Jouant le père, Peppino De Filippo, dont ce fut le dernier film, vedette des années 50 et 60, a été un partenaire privilégié de Totó, jouant notamment avec lui les comédies réalisées par Corbucci au début des années 60. Renato Pozzetto qui incarne le commissaire est une grande vedette comique des années 70 (il a joué pour Risi, Lattuada, Bolognini, Samperi...) et sera dirigé plusieurs fois par Corbucci. Michel Piccoli en chef d'orchestre apporte la touche française et la référence à la comédie plus satirique, politique, celle de Marco Ferreri. Capucine évoque la comédie américaine et Mastroianni, bien sûr, est l'inimitable Marcello, stradivarius de son temps, qui se régale visiblement de ce personnage très composé, petite moustache, béret français, claudication, accent plus vrai que nature et son air de chien battu. Il faut voir la façon dont il monte les escaliers, poussé par le gorille Albino, la façon dont il tente de désamorcer par l'humour l'angoisse qui l'envahit. Chez Corbucci le grotesque comique peut rapidement virer au drame. Tous les duos de Mastroianni avec ses collègues donnent lieu à des scènes délicieuses aux dialogues percutants, travaillées par Giuseppe Catalano, Elvio Porta et Sabatino Ciuffini qui collaborait régulièrement avec Corbucci depuis dix ans.
Les esprits chagrins pourront, s'ils y tiennent, regretter la scène caricaturale avec le travestit qui ramène à l'énorme passage de Il bianco, il giallo, i nero (Le blanc, le jaune et le noir - 1975) où Corbucci avait déguisé Gemma, Wallach et Milian en filles de saloon. La structure d'ensemble aurait peut être mérité un peu plus de rigueur, mais le rythme compense les légers défauts de la mécanique. Le montage est assuré par Amedeo Salfa que l'on retrouvera aux côtés de Corbucci mais aussi sur le Nostalghia (1983)d'Andrej Tarkovski.
Au jeu des contraintes, Corbucci s'amuse beaucoup avec les clichés napolitains qu'il retourne dramatiquement. Ce sont la mandoline, le soleil et les sérénades. L'instrument est violenté à plusieurs reprises et la musique est, bien malgré elle, l'arme d'un crime. Au Naples solaire des cartes postales, Corbucci et son chef opérateur Luigi Kuvellier (qui avait éclairé le Turin de Profondo rosso (1975) de Dario Argento) préfèrent une ville nocturne, plongée dans la grisaille et surplombée d'un ciel lourd de menaces. Aux demeures éclatantes, il substitue une maison inquiétante, quasi gothique, renfermant comme dans tout giallo qui se respecte, un macabre secret. Là encore, quelques recadrages au zoom peuvent faire tiquer, mais un film italien de l'époque sans zoom, c'est comme un film de Stanley Kubrick sans travelling.
Giallo napoletano m'apparaît au final comme une des réussites de la dernière partie de carrière du maestro Corbucci. Il ne lui manque pas grand chose pour être un film de première importance. Après celui-ci, Corbucci ne reviendra plus sur le mélange des genres et s'en tiendra fidèlement à sa veine comique. Le film est à découvrir, disponible en DVD italien sans les sous-titres et après une projection à la Cinémathèque française en VF (et alors ?!) l'an passé. Le film mériterait une édition digne de ce nom, ce qui devrait être possible au vu des authentiques navets qui partout foisonnent. Je l'attends d'un œil ferme.
Images : capture DVD RAI Cinéma / Titanus
16:08 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : sergio corbucci | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Ben voilà un filme de Corbucci que je ne connaissais pas, merci pour l'article bien ficelé. Faudrais vraiment qu'un éditeur de DVD est le courage d'éditer tout la filmographie de l'autre Sergio.
Un filme que je rêve de voire c'est "L'homme qui rit". Qui parmi-vous a vu ce filme?
Bonne soirée à tous
Écrit par : claude kilbert | 06/04/2011
ah lala, je l'ai vu tant de fois dans le temps, je pense que éditer toute la filmographie ce serait pas tellement RENTABLE pour eux..
Faudrait mieux trouver une bonne rétrospective.
Je ne savais pas qu'il avait fait l'homme qui rit, pour moi c'est juste un livre de V Hugo ..
Écrit par : proteine | 08/04/2011
Claude, merci. je crois que Frédérique a vu "L'homme qui rit". J'espère le voir aussi, il est disponible en DVD en Italie, je ne sais pas trop ce que cela vaut.
"Protéine" (tss le lien, tss), je suis bien d'accord, mais pour la rétrospective, ce n'est pas évident. Autant que je sache, "L'homme qui rit" a été adapté plusieurs fois, par Paul Leni en 1928, Corbucci et pour lé télévision. C'est aussi un élément déterminant du "Dahlia noir".
Écrit par : Vincent | 09/04/2011
Vincent, bravo vraiment pour ton exploration régulière de la filmographie hors western du deuxième Sergio!
Écrit par : tepepa | 13/04/2011
Merci, Tepepa, j'en ai encore toute une pile !
Écrit par : Vincent | 18/04/2011