Souvenirs (08/01/2006)
« Quand la légende est en contradiction avec les faits, imprimez la légende » Cette phrase de Ford dans L'Homme Qui Tua Liberty Valance s'applique parfaitement à François Mitterrand et à l'atmosphère de commémoration qui entoure le dixième anniversaire de sa mort. Bâtir sa légende, être obsédé par la place que l'on va laisser dans l'histoire, sont des traits essentiels de son action. Plus qu'une figure historique, plus qu'un président, plus qu'un leader politique, il est aujourd'hui un personnage romanesque, un personnage de film que j'aurais bien vu joué par Welles même si son unique incarnation, très réussie à mon goût, est celle de Michel Bouquet chez Guédiguian.
Mais aujourd'hui, rien n'évoque mieux ce que Mitterrand a pu représenter pour moi que le court métrage de Stéphane Brisset : Le Grand Soir. L'action du Grand Soir se situe le 10 mai 1981. Le héros est un jeune garçon qui vient d'avoir seize ans. Il joue au foot, roule en 103 Peugeot, porte un bandana rouge et anime une émission rock sur une radio pirate, diffusant les Pretenders, Starshooter et sans doute Téléphone. Né en 1964, même sans rouler en Peugeot ni jouer au foot parce que je n'aime pas ça, je me suis senti très proche de cette situation de base. Notre héros a un père pharmacien qui pense que la victoire des socialistes serait le signal de la nationalisation de son officine. Néanmoins, en homme de foi, il a mis du champagne au frigo et le sort à 19h55 alors que toute la famille est réunie devant le poste de télévision. Le plan sur les visages décomposés à l'annonce des résultats est un grand moment tout à la fois d'hilarité et de vérité. Vérité de ce que cela a signifié, ce jour là. Bien sûr, chez moi, mon père avait fait pareil, mais le champagne, on l'a débouché avec des cris de joie. Mais l'intensité de l'émotion, c'était bien ça. Rien que pour avoir su faire revivre ce moment, Brisset a réussi son film.
Mais le reste est bien aussi. Notre jeune héros est amoureux de la soeur de son copain, très jolie fille et militante aux jeunesses communistes. Figure classique, féminine et sensuelle de la Révolution. Celle que l'on désire mais qui reste inaccessible. Mais elle va pousser notre héros à s'affirmer. « et bien moi je suis content » déclare-il sous les yeux horrifiés de sa famille. Une gifle de son père plus tard, le voilà parti errer dans les rues de la ville où la gauche fait la fête. Il y a une autre jeune fille, jouée par l'excellente Julie Durand qui sera récompensée à Clermont Ferrand pour ce rôle. C'est l'amie de la famille. Elle est transparente pour notre héros. Elle n'est pas engagée, ne comprend pas vite, ne semble pas si jolie et pourtant c'est avec elle que notre héros va graver de façon indélébile cette soirée du 10 mai 1981 en perdant, presque par hasard, son pucelage. Jolie métaphore, jolie image. Elle est le passage à la vie adulte, elle est la vraie vie et une sorte de renoncement aux rêves. Mais elle est jolie malgré tout et elle est le bonheur. Ici et maintenant. Quand j'y repense c'est une bonne analyse de ce qu'auront été les années de pouvoir de François Mitterrand, les espoirs qu'il aura incarné, les désillusions inévitables et les véritables avancées. Stéphane Brisset ne semble pas avoir fait de film après ce court, c'est vraiment dommage.
06:40 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : court métrage, Stéphane Brisset | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Ce que je peux être saturnien quand j’y pense ! J’étais parti pour faire le dithyrambe de notre soirée de jeudi 12 au « Volume », je préparais en pensée les plus beaux compliments à destination des organisateurs, les mots qu’il fallait pour décrire le bonheur de voir deux univers se rencontrer.
Et puis, l’esprit du blog m’y poussant, j’ai voulu d’abord flâner un peu : « tiens ! Si je cliquais sur ‘Inisfree’ ? ». Et poum ! Je tombe sur cet article.
Nostalgie ; flash-back ; moments vécus puis oubliés, presque. Il est vrai que, pour toi Vincent comme pour moi, c’est aussi de notre jeunesse dont il est question. Mais bon, me voilà avec un étau de tristesse sur le cœur, et qui me serre doucement.
Si au moins j’avais vu ce film ! Va-t-il être diffusé prochainement ?
Demain, c’est promis, j’essaierai de faire un commentaire sur notre belle rencontre cinémusicale.
Écrit par : L U C | 14/01/2006
Décidément, j'ai une mauvaise influence sur ton moral ! Le film, nous l'avions diffusé voici quatre ans. Il est disponible en vidéo, si je remets la main dessus, je te le passe pour me faire pardonner.
Écrit par : vincent | 17/01/2006
Amusant que vous ayez vu Le grand Soir (ca date un peu maintenant) mais content de ce que vous en écrivez…
Quant aux autres films, ils sont en préparation mais puisque ce sont de longs métrages, tout cela demande un peu de temps…
merci
Stéphane Brisset
Écrit par : stephane brisset | 16/06/2006
Cher Stéphane Brisset, vous ne pouviez peut être pas faire le lien, mais votre film, nous l'avons vu ensemble, à Nice, lors des Rencontres cinéma et vidéo que nous organisons avec notre association. Il y a quatre ans je crois. Vous nous aviez fait le plaisir de venir présenter "Le Grand soir" dans un programme de films tournés en région PACA. Je suis ravi d'apprendre que vous nous préparez autre chose. Bonne chance et bon courage.
Merci d'être passé.
Écrit par : Vincent | 16/06/2006
bof bof le film
Écrit par : hayat | 28/02/2008
C'est marrant que vous soyez intervenu sur cette note, je suis en train de terminer "1981" d'Eric Emptaz sur la même période et ça me ramène aux mêmes souvenirs. Ceci dit, votre appréciation est un peu courte, même pour un court métrage.
Écrit par : Vincent | 28/02/2008