Comme une vélographie (15/01/2011)

Vélographie03.jpg

C'est à l'initiative du bon Dr Orlof que j'ai invité le cinéaste Gérard Courant à Nice, en novembre dernier, pour une programmation en forme de découverte de son œuvre foisonnante. Le Doc, qui a entrepris un vaste travail d'exploration de cet auteur est venu présenter ce programme et m'a permis de rencontrer un réalisateur passionnant, un homme charmant et, surprise, un cinéphile des plus pointu. Gérard est également très organisé et pour l'occasion, il m'avait préparé quelques DVDs, jolie sélection de ses films, et il a fait preuve de psychologie à mon égard, à l'issue d'une conversation qui avait roulé, par hasard, sur le vélo : « Mais c'est Chambery – Les Arcs qu'il faut que tu vois ». Aussitôt dit, aussitôt fait, je me suis retrouvé avec un disque de plus. Bien vu. Le vélo est le seul sport que j'ai jamais pratiqué volontairement (j'ai même participé à quelques courses, ce qui m'étonne encore moi-même), et Eddy Merkx est le seul sportif dont j'ai jamais eu le poster dans ma chambre d'enfant. Le tour de France est la seule compétition sportive que j'ai jamais suivie et, encore aujourd'hui, il m'arrive à l'occasion de regarder chez les uns ou les autres une étape de montagne. Cinématographiquement, j'ai une tendresse particulière pour les scènes à vélo, rêvant d'un film épique sur le sujet. Récemment, je me suis régalé aux séquences de Les copains (1965) d'Yves Robert et aux ralentis sur Nathalie Baye pédalant dans Sauve qui peut (La vie) (1979) de Jean-Luc Godard.

Il est peut être temps de préciser que Chambery – Les Arcs est une étape du tour de France 1996 avec trois cols pas piqués des vers et que le film de Gérard Courant, une vélographie, est un essai autobiographique construit autour de son rapport au cyclisme. Le déclencheur en est la proposition qui lui est faite d'assister à l'étape depuis la voiture du Parisien-Aujourd’hui. Au cœur de la course. Le film organise la masse de souvenirs, d'informations et de réflexions sur le cyclisme comme sur le cinéma que ce projet déclenche en lui.

Vélographie01.jpg

Gérard Courant n'est pas un réalisateur ordinaire. Le mot filmeur me semble lui convenir bien. Sa caméra, super 8 ou vidéo, est une extension naturelle de sa main et de son œil. Il filme tout. Sa désormais célèbre collection des Cinématons, ce sont plus de 2300 portraits filmés de gens, connus ou pas, qu'il a rencontré. Il filme les villes où il a vécu, les rues de son enfance, les cinémas qui ont projeté ses films, les vues depuis les chambres d'hôtel où il est passé, une procession dans un petit village de l'Ardèche pendant 23 années. Tout. Il y a chez lui quelque chose que les cinéphiles, et les collectionneurs en général, connaissent bien : le côté compulsif, souvent maniaque, de celui qui classe, compile, dresse des listes, rempli des dossiers et des classeurs. Une démarche systématique, passionnée, qui vise, dirons nous, au contrôle de l'univers.

Chambéry – Les Arcs,une vélographie de Gérard Courant est un film de forme plus classique dans lequel l'auteur se met en scène avec sa double passion pour le vélo et le cinéma. Il ouvre un grand cahier contenant des articles de revues et de journaux soigneusement collées, comme le faisait le pasteur Playfair dans The quiet man (L'homme tranquille – 1952) de John Ford. A ses classeurs bien alignées correspondent les rayonnages plein de boites de films super 8. Il rencontre ses amis, cyclistes et cinéastes à la fois, tels Serge Poljinsky ou Luc Moullet (qui nous raconte une ahurissante histoire d'engourdissement), et il filme la veuve de Jacques Anquetil, Janine, comme une actrice italienne âgée (quels yeux ! quelle voix !). Le récit plonge dans les racines de l'enfance. Les premières courses vues sur les premières télévisions, les premières revues achetées, la lecture de l'Equipe, les collections de photographies, les premières rencontres avec les idoles, les rois de la petite reine. Des hommes, des dates, des succès et des échecs. Du courage et de la douleur. Des chef d'œuvres. Faire un film, faire une course, le film se nourrit de cette rencontre.

La séquence avec Serge Poljinsky m'a beaucoup touché. Le cinéaste de La ville est à nous (1976) tient un discours très fort sur le vélo comme école de qualités nécessaires à un cinéaste. Poljinsky et Courant discutent assis sur la piste de la Cipale, le vélodrome du bois de Vincennes qui voyait l'arrivée du tour de France entre 1968 et 1974 et où, cinq fois, Eddy Merckx signa sa victoire. Enfant j'avais assisté à l'une de ces arrivées mythiques et si j'ai oublié les détails, j'ai toujours gardé quelque chose de l'ambiance. Courant filme l'endroit, vert, paisible, presque hors du temps. La nostalgie camarade !

Vélographie02.jpg

Tout cet ensemble est vif et drôle. L'une des forces du travail de Courant est son rapport au temps. Le principe profond de son travail, c'est celui de la collection de fragments de temps. Portraits de gens, de couples, de rues, de maisons, il capture des étincelles d'éternité. C'est leur abondance qui finit par faire sens. Et ces fragments nourrissent d'autres œuvres. Ici, qu'il rencontre le journaliste Pierre Vavasseur ou Alain Riou, pour une sortie à vélo, et s'intercale leur Cinématon. Il a recours à ses propres archives et s'amuse à en créer de fausses, se filmant en train de projeter les films. Cette vélographie, c'est un peu la compilation de ces fragments de temps reliés à la passion cycliste, construisant le portrait de l'artiste au guidon. La seconde partie du film voit se rejoindre le temps du film et le temps de son auteur. Récit de l'ascension du col du col de la Madeleine et du Cormet de Roselend en compagnie d'Alain Riou et du chien Raoul, histoire de se préparer au grand jour. Cette partie rappelle par son atmosphère, la fiction en moins, le Parpaillon (1993) de l'ami Moullet. Considérations techniques, géographiques, historiques, philosophiques au rythme du pédalier. Arrive enfin le grand moment et la fameuse étape qui se conclut par une rencontre avec tous les coureurs qui furent les héros de l'enfance du réalisateur : Henry Anglade, Jean Stablinski et l'inamovible Raymond Poulidor, authentiques légendes. Sous une pluie fine et un ciel gris, de parapluie en parapluie, Gérard Courant passe de l'un à l'autre, autant de fragments de la grande histoire du vélo, quelque peu surpris de voir débarquer cet homme aux souvenirs précis qui les ramène à leurs temps de rois de la route. Émouvant, même si vous êtes plutôt football.

Sur le site de l'auteur

La chronique du Dr Orlof

Le doc nous fait une proposition, amis blogeurs : découvrir l'oeuvre de Gérard Courant. L'idée est de puiser dans sa vaste filmographie et de demander les films à leur auteur pour les chroniquer en retour et peut être réunir quelque chose de collectif. A vos claviers !

Photographies : capture DVD Gérard Courant

17:23 | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : gérard courant |  Facebook |  Imprimer | |