En guise de manifeste (21/10/2009)

Ni naufrageurs. Ni nettoyeurs de tranchée. Ni hyènes. Ni chacals. Et vous savez le reste :

Que 2 et 2 font 5
Que la forêt miaule
Que l’arbre tire les marrons du feu
Que le ciel se lisse la barbe
Et cetera, et cetera…

Qui et quels nous sommes ? Admirable question !
Haïsseurs. Bâtisseurs. Traîtres. Hougans. Hougans surtout. Car nous voulons tous les démons
Ceux d’hier, ceux d’aujourd’hui
Ceux du carcan ceux de la houe
Ceux de l’interdiction, de la prohibition, du marronnage

et nous n’avons garde d’oublier ceux du négrier…
Donc nous chantons.

Aimé Césaire (en guise de manifeste)

Foniké [en guise de manifeste] c'est une histoire de retours. Guinée, fin 2008, trois ans après le premier Foniké ("jeunesse" en soussou, l'une des langues du pays), Jérémie Lenoir est revenu à Conakry avec une idée : faire se rencontrer la poésie d'Aimé Césaire, celle de son livre phare éclatant Cahier d'un retour au pays natal avec les jeunes artistes qu'il avait filmés dans son premier film. Retour aussi, du coup, sur la situation d'un pays toujours en crise, toujours en absence d'avenir pour sa jeune génération. Un aspect du film qui prend une résonance particulière à la lumière des derniers évènements qui ont vu le pouvoir verser le sang de la rue à défaut de répondre à ses aspirations. Retour enfin sur des expressions artistiques, le rap, la poésie, le graphisme, la sculpture, expression sociale, politique, expressions vitales d'espoir et de désespérance, de rage mêlés.

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A ces expressions, Jérémie Lenoir ouvre modestement une fenêtre pour que les mots et les visages parviennent jusqu'à nous. Le réalisateur s'efface derrière ceux qu'il filme leur permettant de s'adresser directement au spectateur, nous. Ce dispositif donne ainsi un sens dramatique à une figure classique de l'imagerie du rap et fait naître l'émotion. Il y a là un sentiment de proximité qui me ramène toujours aux maîtres fous de Jean Rouch. C'est juste un sentiment personnel.

Au-delà de ce dispositif qui prolonge celui des deux films précédents, Jérémie Lenoir cherche à donner un équivalent cinématographique à la poésie césairienne. Le rythme scandé, la force des images poétiques et leur violence, se retrouve dans un montage alterné, structuré par le personnage du sculpteur. L'émergence de la figure, humaine, belle et tourmentée, à partir du bloc de bois brut, est une métaphore efficace d'un état d'esprit : obstiné à créer, obstiné à vivre, porteur d'une tradition artistique qui plonge très loin dans le passé mais qui sait être d'aujourd'hui. Le visage de bois peint c'est disons, du Giacometti, comme les mots de Césaire sonnent toujours si terriblement justes dans les bouches des rappeurs de 2008. L'art, malgré tout, reste un lien et un langage universel.

 

Petite partie plus pratique. Foniké [en guise de manifeste] sera diffusé le samedi 24 octobre dans le cadre des 11e Rencontres Cinéma et Vidéo à Nice.

Le film a été édité en DVD directement par Jérémie avec deux suppléments, L'un concerne Maitre Kader, le sculpteur et l'autre suit BLZ de Conakry à Kamsar. Jérémie cherche un financeur pour le pressage de 500 exemplaires du dvd. Pour vous procurer le film ou le soutenir dans son travail, vous pouvez le contacter via le site Foniké.

11:44 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jérémie lenoir |  Facebook |  Imprimer | |