Clermont 2009 : Programme hollandais (13/02/2009)

Outre les différentes compétitions, Clermont-Ferrand, c'est aussi un ensemble de programmes thématiques venus des quatre coins du monde. Cette année, les Pays-Bas étaient mis à l'honneur avec des oeuvres marquantes de Bert Haanstra, Joris Ivens, Tjebbo Penning, Johan van der Keuken ou encore Loedwijk Crijns (l'incroyable Lap rouge). Le court métrage hollandais a une riche histoire que cette programmation permettait de découvrir, depuis les fondateurs de la Filmliga à la fin des années 20 jusqu'aux créateurs contemporains expérimentaux en passant par la génération des années 60, le courant des films de danse (Shake off de Hans Beenhakker découvert l'an dernier) et celui de l'animation aux réussites éclatantes.

Il fallait choisir entre les six programmes. J'ai choisi celui qui m'a permis de découvrir le quatrième court-métrage de Paul Verhoeven, oui le « hollandais violent », l'auteur de Robocop et de Showgirls. Feest ! (La fête !) date de 1963 et s'attache aux pas d'une jeune lycéen qui tente de séduire une jolie camarade à l'occasion de la fête de l'établissement. A la fois arrogant et timide, il essaye de s'affirmer et de contrôler un jeu sentimental et social. Mais il se laisse entraîner dans un rite innocent en apparence qui lui fait subir un échec humiliant. Feest ! Voit la naissance d'un style et, bien que ce soit facile rétrospectivement à écrire, on trouve dans le film les prémices du cinéma de Verhoeven, outre son indéniable maîtrise. La caméra est déjà très mobile et file à travers les couloirs du lycée de façon excitante (ce ne sont pas les travellings de Gus Van Sant) comme elle le fera plus tard dans coulisses de Las Vegas ou le camp des marines de l'espace. Le film parcourt l'établissement guindé dans ses multiples recoins, multipliant les lieux, salles, escaliers, cours, le transformant en un labyrinthe inquiétant que le héros semble maîtriser jusqu'à cette pièce au sommet d'une tour médiévale qui verra sa déconfiture. Le montage, très contrôlé, fait se succéder les personnages, donnant vitalité à ce petit monde et un rythme haletant tout en ménageant quelques pauses comme la séquence délicate dans la rue. Le noir et blanc de Ferenc Kalman Gall achève de donner au film un côté « nouvelle vague des débuts », le rattachant aux tout premiers essais de Truffaut ou Godard. J'ai pas mal pensé au second épisode des aventures d'Antoine Doinel.

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Et puis Verhoeven a déjà ce regard très particulier sur ses contemporains. Il est tentant de rapprocher ce portrait d'une jeunesse hollandaise des années 60 à celui fait des militaires dans Starship troopers (1997) ou celui des jeunes danseuses de Showgirls (1995). C'est le même mélange d'ironie et de cruauté, cette même façon de montrer des jeunes gens déjà formatés, engagés dans la compétition sociale, désireux d'y jouer leur rôle mais piégés par leurs sentiments. A la fois ambitieux et humiliés, déjà abîmés. Un regard assez sarcastique, de moraliste misanthrope, attitude qui ne s'est pas arrangée avec les années et qui vaut au réalisateur de solides détestations comme de francs admirateurs.

Father and daughter (Père et fille - 2000) de Michael Dudok de Wit est un bijou d'animation de huit minutes. Il possède la puissance évocatrice de cet art porté à son point de perfection. Parfaitement. Michael Dudok de Wit n'a que quatre courts métrages à son actif mais une belle carrière depuis 1978 ayant notamment travaillé pour Disney et sur les remarquables films de Rémy Gired La prophétie des grenouilles et L'enfant au grelot. Il a en outre écrit et illustré plusieurs livres pour enfants et ses courts, pour être peu nombreux, ont marqué les esprits et récolté des prix un peu partout. Alors voilà, un père et sa petite fille font du vélo sur une digue plantée d'arbres. Ils s'arrêtent et le père fait ses adieux. Il monte dans une barque et s'éloigne à l'horizon. Longtemps, la petite fille reste là, puis elle repart. Elle revient au même endroit le jour suivant et scrute les flots. Elle revient encore, elle grandit, les saisons passent, les oiseaux chantent, les feuilles volent, la neige tombe. C'est une jeune fille avec son fiancé, une jeune femme avec son mari et ses enfants. Toujours elle revient et regarde au loin. C'est une vieille femme à présent. Il n'y a plus d'eau. Elle s'engage sur la vaste étendue. Au milieu des herbes, elle trouve la barque. Et puis, et puis, voilà. Father and daughter c'est de ce genre de films qui vous prennent là (voir fig. 1),  ce genre de films qui rendent la plupart des autres insignifiants. Un de ces films qui savent toucher quelque chose de profond, d'essentiel. Quelque chose chose qui a à voir avec l'enfance, avec cette idée d'absolu qui est propre à l'enfance et qu'il est si difficile de préserver quand on grandit. Cette qualité rare et précieuse, le film la doit à sa simplicité, à la beauté de son graphisme sans une touche de trop. A base d'encre de chine et d'aquarelle, son dessin évoque la peinture chinoise, jeu sur les contrastes, précision du trait, épure. Les mouvements sont également très précis, fluides sans ostentation. Michael Dudok de Wit a le génie de la composition. J'ai parfois pensé à certains passages chez Hayao Miyazaki (Quand Chihiro prend le train au milieu de l'étendue d'eau par exemple). Ce qui est aussi remarquable, c'est l'intensité des émotions qui se dégagent sans que cela ne passe jamais par les visages, les personnages étant toujours vus d'assez loin pour que leurs traits ne se distinguent pas vraiment. Et puis la musique de Normand Roger, variation sur The danube waves à l'accordéon, un peu dans la manière de Yann Tiersen, est parfaite. Voilà, c'est ce genre de films, et rien qu'en évoquant les images, je me remets à tremper mon clavier de larmes alors, voyez le film et débrouillez vous avec.

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A côté de ça, Het verborgen gezicht (Le visage caché - 2003) de Elbert van Strien et Het Rijexamen (Le permis de conduire - 2005) de Tallulah Schwab sont plus anecdotiques sans manquer de qualités. Le premier est une histoire à suspense dans l'esprit des contes de la crypte ou autres courts récits proches du fantastique. Une petite fille imaginative ne reconnaît plus sa grand-mère ce qui va se révéler dramatique quand cete dernière aura un accident. Raconté par la fillette en voix off, c'est un bel exercice de style. Le second est une comédie comme on dit bien troussée. La candidate au permis se retrouve avec un examinateur en pleine dispute téléphonique. Plutôt prévisible mais bien mené, le film enchaîne gags et cascades pour un plaisir premier degré mais bien réel.

Nummer Drie (Take step fall) est plus original. Réalisé par Guido van der Werve en 2004, le film mêle le film de danse et un humour de l'absurde assez réjouissant comme cet arbre qui tombe soudain au beau milieu d'une danse dans un parc, sans que rien ne l'ai annoncé ni que la danseuse en trésaille. Dans un tout autre registre, Grijsgedraaid (Matière grise – 2006) de Ina van Beek se présente comme un « documentaire hilarant sur une maison de retraite ». Il fallait que je me rende compte et, effectivement, c'est bien un documentaire sur une maison de retraite et on y rit beaucoup. La réalisatrice s'est fondue dans le quotidien des pensionnaires et en a retiré une succession de moments décalés, comme ces deux vieilles dames aux prises avec un ascenseur capricieux. On sent à tout moment que l'on pourrait basculer dans le drame, mais van Beek tient la ligne et ne tombe jamais dans l'apitoiement, meilleure façon de conserver à ces vieilles personnes toute leur touchante humanité.

 

Sur father and daughter :

Un entretien avec Michael Dudok de Wit par Gilles Ciment

Le film sur Youtube (qualité médiocre mais bon...)

Photographie Les films du préau

Un article sur Short of the week (en anglais)

Gallerie d'images

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