Moments (14/11/2008)
La première fois que j'ai vu The searchers (La prisonnière du désert – 1956) de John Ford, c'était à la télévision. Mes parents ont longtemps eu le noir et blanc et c'était encore le cas quand j'ai quitté le foyer familial à la fin des années 80. Je pense que cela a contribué à forger mon goût en la matière. Je situe cette première fois vers 1980 et c'était un peu spécial. Mon père avait en effet déclaré que c'était un bon film. D'ordinaire, il détestait les westerns et particulièrement ceux avec John Wayne (Ce facho !). La règle souffrait trois exceptions : les films de Léone (qui avait tout compris, lui), Rio Bravo de Hawks (qui le faisait rire) et La prisonnière du désert.
Ce ne serait donc pas une soirée conflictuelle. A l'époque, j'aimais enregistrer le son des films sur un petit magnétophone à cassettes. Cette fois, j'enregistrais toute la première scène, de l'arrivée d'Ethan (Duke) jusqu'à la première apparition de Martin (Jeffrey Hunter). Cette scène me fit une grosse impression, jamais démentie par la suite. Je crois qu'elle condense tout ce que j'aime dans l'univers du western et dans le cinéma de John Ford. Illico, The searchers devint mon western préféré et l'un de mes films favoris.
La fois la plus tendre que j'ai vu The searchers, c'est en Hollande avec ma compagne. Au début que l'on s'est connu, nous nous écrivions des lettres. Evidemment j'ai dù parler de cinéma. Elle m'avait envoyé une réponse dans laquelle elle parlait longuement de ce film et combien il l'avait marqué, elle qui n'apprécie pas spécialement le western. Cela m'avait beaucoup touché. Donc, un soir, à l'époque où elle travaillait en Hollande, j'avais le DVD et je lui ai proposé de le mettre. Nous avons donc vu le film tous les deux, bien blottis au fond du canapé. Le plus difficile pour moi, c'était de ne pas me mettre à pleurer comme une madeleine lors du final, chose plus facile à gérer dans l'obscurité protectrice d'une salle de cinéma.
La pire fois que j'ai vu The searchers , c'était à la cinémathèque de Nice. J'y avais déjà vu le film plusieurs fois, sans problème. Cette fois, tout commence comme d'habitude, ride away, ride away, puis soudain, dès le premier intérieur dans la ferme des Edwards, un micro en haut de l'image ! J'accuse le coup. Un peu plus loin, un autre micro. Enfer ! Puis un spot. Puis lors des scènes nocturnes tournées en studio, carrément le bord du décor peint et au-dessus toute une rangée de projecteurs. J'étais effondré. Que s'était-il passé ? Je n'avais donc rien vu les autres fois ? Ford était-il gâteux ? Un véritable cauchemar, cette séance. Il a fallu la vision du DVD pour que je me assure sur les cadrages de Ford, mais je n'ai eu l'explication que bien plus tard. C'était juste un bête mauvais cache devant le projecteur. A quoi ça tient, la magie du cinéma.
La plus belle fois que j'ai vu The searchers, c'était à Cannes, il y a trois ans. Ma fille venait de naître et je n'avais pas trop envie d'aller au festival. Il y avait pourtant un documentaire sur John Ford, alors je me suis décidé. La Warner venait de restaurer le film qui devait être projeté en seconde partie de soirée. Je n'avais pas l'intention de rester, je connaissais bien le film, et j'avais hâte de renter au doux foyer familial. Un gars du studio est venu expliquer comment s'était faite la restauration. Un boulot de dingue, chaque couleur primaire ayant fait l'objet d'une copie, toutes ayant été restaurées séparément. Ils ont alors passé un extrait. L'image était si belle que je suis resté pétrifié et je suis resté pour le film. A quoi ça tient, la magie du cinéma. Dans la première scène, j'avais l'impression que la poussière de Monument Valley venait rouler à mes pieds. Et jamais les ocres n'avaient été aussi ocres. Et bien sûr, pas l'ombre d'un micro ou d'un projecteur.
Et bien sûr, je pleure toujours comme une madeleine à la fin, dans l'obscurité protectrice de la salle.
21:48 | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : john ford | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Absolument remarquable, cette note !
Sonic Eric devrait aimer itou.
Écrit par : mariaque | 15/11/2008
C'est l'un des rares westerns que j'ai vu au cinéma (Actions Ecole à Paris en 1993) et ce n'est pas un hasard. C'est sans doute mon film préféré de tous les temps et pourtant comme dans Red River, une autre somme monumentale, je n'arrive pas à encaisser la fin. Je ne parviens pas à admettre qu' Ethan, vu les changements opérés sur Debbie, la laisse en vie. C'est cet aspect-là du cinéma de Ford, son côté irrémédiablement sentimental qui me plaît le moins en vieillissant. Le reste (l'interprétation du Duke, le cadre, la narration, la scène d'introduction) est effectivement à pleurer.
Un grand plaisir à vous lire comme toujours.
Écrit par : sonic eric | 15/11/2008
la beauté du personnage de Ethan vient à mon avis de cette ambigüité, du mystère généré par son geste final, inexpliqué et sublimé par la mise en scène de Ford. ça m'avait perturbé la première fois que j'ai vu le film mais je m'y suis fait. Un peu le contraire de vous en somme.
sinon, d'accord avec tout le monde sur la séquence d'ouverture. la plus belle de toute l'histoire du cinéma ?
Écrit par : Christophe | 15/11/2008
Ah tiens, moi aussi, quand je l'ai vu au Grand Action, il y avait le mauvais cache et j'ai vu les spots d'éclairage et le haut des découvertes des décors. Cela dit, en général, ceux qui sont ravis de ce genre d'incident, ce sont les ingénieurs du son (pas ceux du film, hein) car ils peuvent voir le maniement de la perche tout en haut du cadre.
Sinon, je trouve l'idée d'enregistrer le son du film sur K7 très poétique. Est-ce que tu retravaillais ces bandes sons ? Ou est-ce que tu faisais comme Duras : mettre de nouvelles images sur une bande son préexistante ?
Écrit par : Joachim | 15/11/2008
Très belle note! C'est amusant comme le cinéma peut, d'une certaine manière, faire office de psychanalyse et nos souvenirs de projections nous rappeler ce qui nous a constitué. En lisant ta note, j'ai pensé que je connaissais finalement très mal le cinéma de Ford et que malgré mon admiration, il ne m'a jamais véritablement passionné au sens fort (même si j'estime que "la prisonnière du désert" est un film magnifique, ce n'est pas une œuvre que j'aime aussi "intimement" que toi).
Lorsque je me retourne vers mon passé, je réalise que Ford et le western en général constitue un genre que j'ai totalement rejeté dans ma jeunesse. Même si j'y suis revenu plus tard, il reste au fond de moi quelque chose qui me pousse plus vers la comédie ou le fantastique que vers ce genre (dont j'aime d'ailleurs plutôt les manifestations "singulières", que ce soit chez Hawks ou Anthony Mann)
Et si un jour je devais écrire une note dans ton style (je ne m'en sens pas vraiment capable), je pense que je choisirais davantage un cinéaste comme Sirk (même si je l'ai vraiment redécouvert que très récemment) ou Minnelli plutôt que Ford parce que ce sont des cinéastes qui me "parlent" plus directement...
Écrit par : Dr Orlof | 15/11/2008
Bonsoir, Vincent,
Quel qualitificatif ou quel superlatif, dois-je utiliser pour ta note ? "magistrale", sans aucun doute.
J'aime beaucoup la manière avec laquelle tu parles d' un film en évoquant tes souvenirs personnels et tes émotions.
Je serais bien incapable d'écrire une aussi jolie note !
Bises
Écrit par : Marie Thé | 15/11/2008
Moi aussi il me plait beaucoup ce texte. Bravo! Mais je ne vais plus oser regarder ce film: vais-je voir des micros et des spots ?
Écrit par : tepepa | 15/11/2008
Bonjour à tous et merci de vos messages. Mon PC est en panne depuis vendredi, du coup, j'ai tardé à vous répondre.
Sur le geste d'Ethan, je crois quand même que tout le film tend vers lui. C'est l'enjeu, cette transformation, cette prise de conscience, cette acceptation. C'est au coeur de la philosophie humaniste et progressiste fordienne, la croyance que les hommes peuvent changer et sacrifier leur égoïsme au collectif et çà, j'avoue y être de plus en plus sensible avec l'âge. Ethan comprends et accepte que la famille survive à travers deux "sangs mêlés" : Debbie et Martin. Il accepte aussi de reconnaitre qu'il n'a pas de place auprès d'eux et qu'il doit s'effacer. C'est la même conclusion que cette de "...Liberty Valance". Si la scène est si forte (même la caméra sursaute), c'est que Ford, au lieu de ma langue de bois, exprime ça en un plan.
Dans son livre sur Wayne, Alan Eyles met aussi en parallèle les fins de ce film et de "Red river". Il préfère chez Ford l'utilisation de la poésie et de l'émotion. Chez Hawks, comme souvent, il n'y a jamais une telle tension, ses personnages semblant toujours assez intelligents pour faire la part des choses. "Red river" finit par une pirouette.
Christophe, sur l'ouverture, je suis bien d'accord :)
Joachim, je n'ai pas fait de Duras, avec mon frère on réécoutait les extraits la nuit, c'était une façon de revivre le film. Il n'y a jamais eu de magnétoscope dans la famille. En fait ça ressemblait plus à ce que beaucoup faisaient : enregistrer des petites compilations sur la radio.
Doc, sans faire de la psychanalyse de bazar, je crois que mon rapport au western est assez lié à mon père, à la fois en opposition mais aussi en imitation. Après tout, c'est lui qui m'a montré (ou plutôt laissé voir, le fou !) "Rio Bravo" et mes premiers Ford.
Marie Thé : je t'embrasse
Tep', rien à craindre, sauf si tu tombes sur un projectionniste négligent.
Écrit par : Vincent | 17/11/2008