Un film mémorable (souvenir) (20/08/2008)
De retour de vacances, presque dix jours sans toucher un ordinateur, je n'ai pu m'ôter de l'esprit la belle idée de Joachim de reprendre le questionnaire proposé par Dasola et de lui donner la forme d'une plongée dans les premières expériences cinématographiques. Cette nouvelle orientation, pour intéressante qu'elle soit, m'a posé un problème dans la mesure ou je crains de rester trop proche de l'exercice originel. J'ai le sentiment, peut être faussé par le temps, d'une continuité dans mes goûts. Je n'ai pas fonctionné par phases, mais plutôt par empilement de strates, un peu comme la confection d'un millefeuille. Et dans les toutes premières strates, Ford et Hawks sont déjà présents, en fait plutôt John Wayne car je crois que l'on commence toujours par identifier les acteurs tout en s'identifiant à eux. Aussi loin que je me souvienne, j'ai aimé le western et la science fiction. Les premiers films que je suis allé voir seul, à Paris vers 8 ans, c'étaient les films de Sergio Léone. Et puis il y a eu 2001. Je ne savais pas encore qui était Stanley Kubrick, mais le film ne ressemblait à rien de ce que j'avais vu dans le genre. J'en suis ressortit dans état bien particulier, je n'avais rien compris, j'avais le sentiment d'avoir vu quelque chose d'important et cela me semblait important parce que je n'avais rien compris. J'avais vu un « film de grande personne ». Voulant comprendre, je me suis acheté le roman d'Arthur C. Clarke, mais peine perdue, le livre ne dit rien d'autre que le film. 2001 a eu alors une influence déterminante sur les années suivantes puisque j'ai jugé les autres films du genre à son échelle. C'est pour cela que j'ai raté les sorties de Star wars et de Rencontres du troisième type, ne les sentant pas au niveau. Il a fallu qu'un ami m'entraîne voir l'ambitieux Star trek de Robert Wise en 1979, dont les effets spéciaux étaient signés Douglas Trumbull, également maître d'oeuvre sur 2001, pour que je cesse de tout ramener à la grande roue de Kubrick.
Évidemment cela ne m'a pas empêché de voir, tout au long des années 70, des films de niveaux fort divers. En matière de comédie, j'aimais et j'aime toujours ce que fit Louis De Funes, j'ai vu quelques Charlots et les bidasses de Robert Lamoureux. Mais dans le même temps, j'allais voir Tati dont Les vacances de Monsieur Hulot m'ont un peu fait le même effet que 2001, les premiers films de Jean Yanne assez caustiques et ceux de Yves Robert. Vers 8 ans, mon père m'a emmené, chose exceptionnelle, voir Le dictateur de Chaplin dans une salle sur les boulevards. J'y ai tellement rit que mon père a juré de ne jamais retourner au cinéma avec moi. J'avoue que je peux être très expansif dans une salle et que j'ai plusieurs fois frôlé l'étouffement. Cette séance chaplinesque est donc passé dans la légende familiale et j'en garde un souvenir très vif. C'est symbolique de ce que je retiens de cette époque, des souvenirs diffus de films alors populaires et des passions jamais démenties pour des choses plus atypiques dans mes genres de prédilection.
Il y a quand même une belle exception qui pourrait rentrer dans plusieurs catégories du questionnaire revisité, dans le genre à être chanté par Delerm (plutôt par Bénabar parce que je ne sais pas trop ce que fait Delerm). C'est une mémorable séance du film de Michel Lang, A nous les petites anglaises, sortit en 1976, je venais d'avoir 11 ans. Cette comédie adolescente a eu un gros succès à l'époque et moi, je fuyais alors ce que j'appelais les « films d'amour », films pour les filles, tandis que mon univers c'était l'Ouest, Jules Verne, les dinosaures, l'aventure, John Wayne, Gary Cooper, l'espace et Charlton Heston ouvrant la Mer Rouge. Je ne me souviens pas, je le jure, avoir manifesté de l'intérêt pour ce film. Ma mère avait arrangé une séance avec la fille de l'une de ses amies qui était concierge. C'était la première fois que j'allais aller au cinéma seul avec une fille et je crois que cela me terrifiait plus qu'autre chose. Pour ajouter à mon embarras, mon père avait tenu à ce que m'habille pour la circonstance, parachevant ma tenue d'un foulard noué autour du cou façon place du Tertre. Ca me serrait la glotte. Je me revois attendant dans la loge de la concierge sa fille, raide comme un piquet. Aujourd'hui, je regrette de ne me souvenir ni de son nom, ni de son visage. Je me souviens par contre nettement que les choses se sont vite gâtées. Mademoiselle m'a entraîné tout au fond de la salle, moi qui, du fait de ma taille modeste et peut être déjà d'instincts cinéphiles poussés, était déjà un maniaque des trois premiers rangs. Je n'étais toujours pas plus à l'aise et me suis vite désintéressé de ma compagne, tandis qu'elle, retrouvant je crois des amies, se désintéressait de moi. La salle était pleine et l'ambiance assez joyeuse, c'était le film à la mode dans les cours de récréation. J'ai desserré mon foulard et me suis absorbé dans ces images nouvelles pour moi. Au bout d'un moment, je me suis glissé vers les premiers rangs pour mieux voir, abandonnant mon rendez-vous. Je ne me souviens même pas si j'ai raccompagné ma cavalière chez elle.
Le film, je crois, m'avait tout à la fois déplu et fasciné. Déplu parce que je l'avais trouvé niais et qu'il ne m'avait pas fait rire. Fasciné parce que c'était sans doute le premier film que je voyais qui me parlait, à sa façon, de ma vie réelle et de mon futur proche : une histoire de lycéens, de vacances en Angleterre, de premières amours. C'est sans doute le premier film qui m'ait apporté des éléments précis sur des questions très concrètes que je pouvais me poser alors, les filles, les embrasser et le reste, et que certainement, ni 2001, ni Il était une fois la révolution n'abordaient. Je pense que c'est dans ce film que j'ai vu ma première paire de seins sur grand écran, ceux fugitivement entrevus de Sophie Barjac. C'est également dans ce navet mièvre et mélodramatique que j'ai assisté pour la première fois à une scène d'amour, pourtant bien peu explicite, lorsque le héros arrive enfin à ses fins.
Ma mémoire peut néanmoins me jouer des tours, je n'ai jamais revu ce film. Ce qui compte, c'est l'effet qu'il a eu sur moi. Un effet suffisant pour me faire acheter la bande originale composée par Mort Shuman, un de mes tout premiers achats de disque. Mais l'honneur est sauf, le tout premier, c'est celui de 2001.
Photographie : Allociné
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Commentaires
Mon cher Vincent,
Belle évocation de tes premières découvertes et émotions de cinéphile "débutant" !
Amusant, ton récit de la première fois où tu es allé au cinéma, seul avec une fille...
Bises.
Écrit par : Marie Thé | 20/08/2008
Quelle époque honteuse et dévoyée! Laisser un enfant de 11 ans aller au cinéma voir un film avec un titre pareil, seul avec une fille!! ;-)
Écrit par : tepepa | 21/08/2008
A nous les petites Anglaises, c'est loin d'être un navet...
c'est dans la même mouvance que le Pascal Thomas de la même époque. en moins bien quand même. Télérama appelait ce fort symathique courant "Le nouveau naturel".
Écrit par : Christophe | 22/08/2008
Marie Thé, j'aurais peut être du conclure que je suis quand même retourné au cinéma avec des filles, même si je n'aime pas tellement ça, à quelques notables exceptions près.
Tep', n'oublie pas que dans le même temps, on m'autorisait bien à aller voir les fusillades de "Il était une fois la révolution" ! Quel traumatisme pour un jeune garçon. Il faut dire aussi qu'à cet âge, les filles que je connaissais n'aimaient pas non plus les "films de garçons", c'est à dire les westerns.
Christophe, je veux bien donner au film le bénéfice du doute, mais actuellement, dans mon panthéon personnel, il fait partie de mes pires souvenirs de cinéma. Je me souviens encore de quelques "gags" lamentables et Lang est quand même quelques crans au dessous de Pascal Thomas. "Le nouveau naturel", peut être, il y avait à l'époque des films de ce genre, "Dis bonjour à la dame", "Trocadéro bleu citron", "L'hôtel de la plage"... mais je n'ai jamais aimé ça. Ceci étant, je serais curieux de le revoir, et même ouvert à une réévaluation. Sait-on jamais ?
Rien à voir mais je me suis décidé, après avoir lu votre texte sur "The long voyage home" de Ford, d'acheter le DVD et c'est une splendeur. D'autre part, il y a désormais un Ford muet "Bucking Broadway" disponible sur le site European Film Treasure : http://www.europafilmtreasures.fr/fiche_technique.htm?ID=246
Écrit par : Vincent | 22/08/2008
merci du renseignement. j'ai vu Bucking Broadway grâce à Patrick Brion qui l'a passé au cinéma de minuit en 2003. Je connaissais mal John Ford à l'époque mais j'avais trouvé ça très moyen, surtout le côté comique avec le cow-boy sur le boulevard. Straight shooting par contre qui date si je ne m'abuse de la même année est une petite merveille. beaucoup plus simple.
je suis content de vous avoir fait découvrir un film que vous avez aimé. c'est un des buts de mon blog, le prosélytisme. En même temps, ça me paraît impossible de ne pas apprécier The long voyage home quand on est amateur de Ford comme vous l'êtes. c'est tellement fordien comme film. et tellement bon. un vrai classique dont l'absence de notoriété vient peut-être du fait qu'il n'a pas été produit donc distribué par un grand studio.
Écrit par : Christophe | 23/08/2008
C'est décidemment l'été des souvenirs de jeunesse... Je t'envie d'avoir une mémoire aussi précise concernant tes séances de ciné de l'époque et de pouvoir livrer ainsi d'aussi jolis textes.
Je réfléchis moi aussi, pour la semaine prochaine, à quelques notes allant dans le même sens (le retour en arrière).
Écrit par : Edisdead | 29/08/2008