A la française (28/04/2008)
La place du fantastique et de la science fiction dans le cinéma français a déjà fait couler pas mal d'encre. Généralement, c'est pour déplorer qu'elle soit si minime. Je n'ai pas l'intention de me joindre au choeur des pleureuses, mais je vois là l'occasion d'aborder deux films remarquables qui posent néanmoins quelques questions.
Il me semble, en préliminaire, qu'il existe une solide tradition fantastique dans notre cinéma, tradition héritée de la poésie, de la littérature et du mouvement surréaliste. On compte de belles réussites chez René Clair, Georges Franju, Jean Cocteau, Jacques Demy, Maurice Tourneur, Jean Renoir ou Jean Rollin. Si nous sommes loin des grands mouvements qui traversent les cinémas anglo-saxons, italiens ou japonais, ce n'est pas rien. La science-fiction n'a, elle, pas du tout la cote. Les tentatives de François Truffaut et de Jean-Luc Godard ne m'ont pas plus convaincues que celles, plus récentes, des laborieux imitateurs de modèles américains. Restent quelques ovnis, quelques films de Jeunet, le premier film de Luc Besson. C'est peu. Avec quelques contorsions, on pourrait rattacher le Playtime de Jacques Tati, mais la seule réussite incontestablement bien dans le genre, c'est encore La jetée de Chris Marker. Une histoire de temps.
Je t'aime, je t'aime, tourné en 1968 par Alain Resnais, est aussi une histoire de temps. Une histoire de voyage dans le temps. Le film a été écrit par Jacques Sternberg, un des grands noms de la littérature de science fiction francophone (il est belge), même si mon optimisme naturel s'accommode mal de ses histoires désespérées. Nous y faisons connaissance avec Claude Ridder, joué par Claude Rich. Ridder vient de tenter de se suicider. Il se réveille dans un hôpital où viennent le rencontrer des hommes mystérieux. Qui lui proposent d'être le cobaye d'une étrange expérience. Un voyage temporel. Ridder dont le désespoir est intact accepte. Dans la cave d'un centre secret, il pénètre dans une étrange sphère. Une sorte de pomme de terre géante dans laquelle on est comme dans un ventre maternel. Ridder a un compagnon de voyage, une souris blanche. L'aventure commence. Enfin, pas vraiment. Dès le début, l'expérience échappe à ses instigateurs. Ridder se retrouve un an plus tôt, sur une plage ensoleillée. Il émerge de l'eau comme Vénus en son temps et rejoint sa belle compagne, Catrine. Un moment heureux qu'il se plaît à revivre, en admettant qu'il conserve sont point de vue « du présent », et qui va l'amener à se perdre dans le temps. Mais est-ce véritablement dans le temps que voyage Ridder ? Voyageur immobile, il est le spectateur de ses souvenirs. Son voyage est en lui-même. Certes, il disparaît littéralement de l'image et à la surveillance des scientifiques, mais ce n'est pas lui, le Ridder du présent, que nous voyons dans le passé, mais le Ridder du passé. Alors, où se trouve le Ridder du présent censément partit dans le passé ? Je ne sais pas si c'est bien clair, mais dans les histoires de voyage dans le temps, ce qui est intéressant c'est de faire perdre les repères.
Alain Resnais a sur le sujet une approche très originale mais aussi quelque peu déroutante. L'aspect science-fiction semble rapidement mis de côté. Les scientifiques, une fois perdu le contrôle de l'expérience, s'agitent vainement sans que Resnais s'intéresse beaucoup à eux. De la même façon, le réalisateur ne cherche pas à « jouer sur le temps » en se livrant au délices du paradoxe temporel, mais reconstitue petit à petit l'histoire de Ridder jusqu'à nous la faire appréhender de façon linéaire. Le mystère n'est pas ce voyage temporel mais l'esprit de Ridder dans lequel est enfoui son sentiment de culpabilité. Car s'il s'est suicidé, c'est parce que Catrine est morte. Et qu'il n'a pas su vivre avec elle. A ce point je me suis posé la question de savoir si l'on aurait eu un film différent si, au lieu d'une expérience de science-fiction, Ridder avait eu un accident de voiture provoqué par un routier aux allures de Bobby Lapointe. Je n'en ai pas l'impression. Le film, de part sa construction, est finalement assez proche tant de L'année dernière à Marienbad que du plus tardif Mon oncle d'Amérique. Je t'aime, je t'aime, n'en est pas moins superbe, l'un des plus limpides de son auteur, d'une rigueur mathématique enveloppé de la fascinante partition de Krzysztof Penderecki. Et puis il y a Claude Rich, acteur quelque peu sous estimé, parfait tant aux côtés de Louis de Funes et Lino Ventura que dans les contes satiriques de Jean-Pierre Mocky. Son visage fin, son allure élégante et fragile, sa diction précise et rapide m'enchantent toujours un peu plus. Ici, il est un parfait Ridder auquel il donne plus que son prénom. A un moment, lorsqu'il discute avec les scientifiques, il a un petit geste de la main pour gratter le rebord de la table. J'adore ce genre de trouvailles. Reste donc qu'Alain Resnais pratique une science fiction intimiste jusqu'à l'absence. C'est assez étonnant pour un homme si sensible à des formes de culture populaire qu'il intègre de façon plus directe, que ce soit la bande-dessinée, le mélodrame ou l'opérette. Je t'aime, je t'aime est sortit difficilement en 1968 pour cause d'évènements dont l'annulation du festival de Cannes. La même année sortaient 2001 de Stanley Kubrick et Planet of the apes(La planète des singes) de Franklin J. Schaffner qui ouvraient en grand les portes de l'imaginaire sans sacrifier à la réflexion. Resnais avait choisi le voyage intérieur. Olga Georges-Picot est superbe.
Autre temps, autre film, l'Histoire de Marie et de Julien tourné par Jacques Rivette en 2003 est passé quasi inaperçu. Film étrange, difficile à appréhender, fascinant par moments, déconcertant à d'autres. Un film sur lequel il est assez difficile d'écrire tant tout ce que l'on pourra dire de la mise en scène impeccable de Rivette n'aura que peu de poids face aux sentiments éprouvés face au film. Soit un horloger joué par Jerzy Radziwilowicz, maître chanteur à ses heures, amoureux d'une mystérieuse jeune femme jouée par Emmanuelle Béart. Rivette est habile à faire naître le fantastique. Il y a une chambre mystérieuse comme chez Lang ou Truffaut et un fantôme. Les horloges et leurs mécanismes à nu que répare Julien portent symbole et promesses. Le récit marche clairement dans les traces de M. Night Shyamalan et de Alejandro Amenabar et Rivette cite Allan Edgard Poe et Henry James. Pourtant le film tient constamment le fantastique et le mystère à distance pour se focaliser, comme souvent chez Rivette sur l'amour fou que se portent les personnages. A ce niveau, le film fonctionne, porté par les deux acteurs et la grande attention à leurs moindres gestes.
Mais les promesses ne sont qu'à moitié tenues, comme si Rivette ne savait que faire de ses éléments fantastiques, comme s'il reculait devant eux, hésitant sur l'intérêt qu'il leur porte. Il se dérobe presque, nous laissant, moi du moins, avec une certaine frustration. Un exemple caractéristique est l'utilisation du chat Nevermore, félin compagnon de Julien. Quand on sait combien il est difficile de faire jouer un chat, on reste admiratif devant la performance obtenue par Rivette. Dans la première partie du film, Nevermore est un personnage à part entière, sorte de passeur vers un autre univers. On pense au Pyewacket de Richard Quine et au chat noir de Poe. Mais sa participation s'estompe dans la seconde partie et Nevermore se fait presque oublier. J'y vois, là encore, une difficulté pour les cinéastes français à franchir résolument le rideau des choses réelles dont parlait Abraham Merritt et à laisser vraiment les fantômes venir à leur rencontre.
Le DVDde Je t'aime, je t'aime
11:49 | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : alain resnais, jacques rivette | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
La note est bien écrite et donne envie. Il est vrai que certains films n'ont pas la popularité qu'ils mériteraient " juliette ou la clef des songes", "françois 1er" ( disparu des écrans de TV... )... IL y a cependant quelques ALIEN tout bizarre comme "la soupe aux choux", les visiteurs... On est loin du fantastique français de l'après guerre.
Bref, blog bien sympa et j'y reviendrai souvent!
Bonne continuation!
Écrit par : jerome-b | 28/04/2008
On pourrait se demander si "Je t'aime je t'aime" n'est pas la matrice secrète d' "Un jour sans fin" (puisque le film est axé sur la "minute sans fin").
Écrit par : Joachim | 28/04/2008
J'ai revu très récemment "Je t'aime, je t'aime" et c'est effectivement un film superbe, construit effectivement comme "L'année dernière à Marienbad" et presque tous les films de Resnais à ses débuts (un homme a aimé une femme et tente, tel Orphée allant chercher son Eurydice, de remonter le temps pour la retrouver). Mise en scène magistrale, musique envoûtante, interprétation parfaite et l'humour noir et désespéré de Sternberg (tu n'as pas cité les scènes surréalistes comme celle de la fille dans sa baignoire au milieu d'un bureau!) ; le film mérite vraiment d'être redécouvert...
Quand au Rivette, il m'avait un brin déçu (moi qui adore ce cinéaste) et pour sa veine fantastique, je préfère largement le sublime "Céline et Julie vont en bateau"
NB : Quel film de Renoir rattaches-tu au fantastique?
Écrit par : Doc Orlof | 28/04/2008
Le testament du Dr Cordelier ?
Sinon, a défaut de chef d'oeuvre, Renoir a signe un film très attachant que l'on peut ranger dans la SF: le dejeuner sur l'herbe
Écrit par : christophe | 28/04/2008
Oui, Christophe, je pensais à ces deux films que je trouve plutôt réussis même si le premier est plus "dans le genre" que le second qui ne se laisse pas classer facilement.
Sur le film de Resnais, Pierrot, je n'ai pas mentionné les quelques plans surréalistes (la tête de monstre qui m'avait tant marqué enfant) parce que je les trouve encore plus énigmatiques par rapport à ce que je disais sur le point de vue. C'est comme pour la souris sur la plage. Pourquoi la souris est-elle présente physiquement dans le passé et pas Ridder ?
Le rapport que voit Joachim est un beau contre exemple. Le personnage de Bill Murray est pris consciemment dans sa boucle temporelle et il essaye d'agir, comme Peggy Sue dans le film de Coppola (j'adore ces deux films).
Mais que ce soit clair, j'aime aussi le mystère de Resnais :)
Écrit par : Vincent | 28/04/2008
Cher amis cinéphiles,
Toujours très agréable de revenir sur les classifications (Merci pour Le testament du docteur Cordelier que j’avais oublié dans ma liste. Je citerais aussi A travers la forêt de Civeyrac, Trouble every day de Claire Denis et Céline de Brisseau).
Il me semble que Je t’aime je t’aime peut éventuellement être rattaché à la science fiction. Il y a bien une possibilité technique non encore inventée à notre époque, le voyage dans le temps. Mais pas beaucoup au fantastique : l’invention ne change pas Ridder ne lui permet pas d’explorer quelque chose de nouveau en lui. Elle lui permet "seulement" de revivre une nouvelle fois avec la même conclusion l’histoire d’amour qu'il a déjà vécu. Pour moi et comme son titre l’indique, il s’agit surtout d’une tragique histoire d’amour. C’est de ce point de vu du tragique amoureux qu'il est à chaque instant émouvant.
Pas question donc pour moi de le rapprocher d’Un jour sans fin, tout aussi excellent mais qui, en poursuivant ce qui dit Vincent, joue une progression vers une démarche amoureuse positive capable de changer le personnage. On est presque là dans le merveilleux, versant positif du fantastique.
L’année dernière est aussi pour moi d’abord un drame sentimental. Je l’ai un peu facilement ranger comme film expérimental, peut-être relève-t-il du fantastique …j’hésite.
L’Histoire de Marie et Julien ne m’a pas intéressé même après une nouvelle vision à la télé. Le dispositif fantastique m’a semblé un peu facile, prétexte à rester à la surface des personnages…Mais on peut être deux fois dans un mauvais jour.
Bonne continuation à vous
PS1 : Je dois confesser à Vincent que John Ford est passé de la première à la quatrième place de mon panthéon perso des cinéastes. Ce qui n’a évidemment rien à voir avec la formidable rétrospective du Lux dans notre riante cité.
PS 2: Joachim, pourquoi le lien vers ton site renvoie-t-il ici à une fenêtre publicitaire ?
Écrit par : jll | 29/04/2008
Le rapprochement avec "Un jour sans fin" était, pour moi, essentiellement stylistique. Des films fondés sur la répétition obsessionnelle d'une même scène, je ne sais pas s'il y en tant que ça. Mais pour continuer les différences, je dirais que quand Ramis joue le scénario (variations sur des fragments autonomes) quand Resnais le montage (souvenir vague de "Je t'aime x2" mais je crois quand même me rappeler que la répétition d'une "minute sans fin" pourtant identique prend d'autres colorations suivant les séquences qui l'entourent). Presque un effet Koulechov appliqué à la fiction.
Sinon, pour le lien inopiné sur mon nom, est-ce du merveilleux, du fantastique, du surnaturel (on pourrait même craindre un accès de prosélytisme suite à une conversion express de ma part) ? Je ne saurais dire et crains malheureusement un raté ou un piratage. Heureusement que "365 jours..." est atteignable par un lien plus sûr sur la blogroll dans la colonne de gauche.
Écrit par : Joachim | 29/04/2008
Je voulais dire "Ramis joue le scénario et Resnais le montage". Ca m'apprendra à ne pas me relire.
Et je crois que le lien publicitaire était aussi dû à une faute d'orthographe dans l'adresse de mon blog. Ca m'apprendra à ne pas me relire.
Écrit par : Joachim | 29/04/2008
Ce qui revient, me semble-t'il, à cette différence essentielle entre personnage actif et personnage passif. Entre la comédie de l'un et le drame de l'autre. Ridder est condamné a revivre le passé sans l'influencer, inéluctablement, ce qui est symbolisé par le redoublement du titre. Chez Ramis, le jour est sans fin mais il est perfectible indéfiniment.
JL, très heureux d'avoir votre visite, même si ça me désole pour Ford. Mais nos parcours cinéphiles sont fait de telles fluctuations. Le classement du site est le votre propre ou une synthèse des membres du ciné-club ?
Écrit par : Vincent | 29/04/2008
Hello Vincent,
Je n’ai pas de goût pour le vouvoiement et même si nous ne nous sommes jamais vus ni à Nice ni à Caen, même si Ford que nous vénérons mutuellement se serait montré plus formaliste, le tutoiement me paraît plus simple et naturel.
Tout à fait d'accord avec eld ernier post.
Le classement est personnel mais influencé par les arguments des uns et des autres.
Écrit par : jll | 29/04/2008
"je dis vous à ma mère et vous à ma femme"
"Non ? Alors !"
Ca ne te rappelle rien ?
J'ai tendance à conserver une certaine réserve sur Internet, mais en fait, je ne me souvenais plus si nous avions franchit le pas lors de nos derniers échanges. Tu m'excuseras.
Écrit par : Vincent | 29/04/2008
J'ajoute un nom à ce panorama, celui de Christian de Chalonge. Je ne saurais dire si "Malevil" tient encore le coup mais il m'avait marqué quand je l'ai découvert dans les années 80. Par contre, "L'alliance", avec Brialy et Karina, est une belle réussite fantastique, ça, j'en suis sûr.
Mais je suis d'accord avec toi/vous Vincent, si l'on met Resnais à part, rien ne vaut les vingt minutes de "La jetée".
Écrit par : Edisdead | 30/04/2008
dans la SF, j'ai un bon souvenir de Le Monde tremblera de Richard Pottier, avec Erich Von Stroheim
Écrit par : christophe | 30/04/2008
Erreur de ma part : dans "L'alliance", ce n'est pas Brialy qui joue avec Karina (pourquoi pas Belmondo tant que j'y étais), mais un autre barbu, Jean-Claude Carrière, qui signe aussi le scénario.
Écrit par : Edisdead | 01/05/2008
En cherchant un peu il y a quelques films atypiques. Dans un numéro de Midit-Minuit fantastique, j'ai été frappé par quelques photographies d'un film que je ne connais pas : "Le temps de mourir" d'André Farwagi, tourné en 1970 avec Rochefort, Karina et Cremer. "Malevil", j'avais été un peu déçu à l'époque, il faudrait peut être le revoir. Il y a aussi "La planète sauvage" en animation qui est très beau.
Dans un tout autre registre, comme le faisait remarquer Jérôme au début, il y a une tradition de la science fiction dans la comédie populaire, de "François 1er" aux gendarmes en passant par "Le fou du labo 4", "Ils sont grands ces petits" et autres fleurons du genre.
Écrit par : Vincent | 01/05/2008
cela dit, pour relativiser, je crois que, quel que soit la nationalité, la SF n'a jamais été un genre tres florissant par rapport au fantastique. A part peut-etre dans le ciné soviétique des annees 20.
cela peut se comprendre. je partage les réserves de Truffaut a ce sujet, même si je ne serais pas aussi radical que lui, ne réduisant pas toute fiction a une histoire de cul.
Écrit par : christophe | 01/05/2008