Nous vivons une époque formidable (09/09/2006)
Il est furieux, Jean-Michel Frodon, dans son éditorial du dernier numéro des Cahiers du Cinéma. On a osé s'attaquer au dogme, en l'occurrence le texte de Rivette sur Kapo de Gillo Pontecorvo dont je vous parlais cet été. D'aucuns auraient flanqué des coups sur les colonnes du temple à l'occasion de la sortie du DVD et des commentaires afférents. Frodon se dresse telle la statue du commandeur, drapé dans ses grands mots : Morale, Risque Critique, Symbole, Rigueur. Il renouvelle la bulle rivettienne « le film [est] effectivement abject ». Fermez le ban. Rien à re-voir. Le dogme est « le symbole d'une approche critique rigoureuse ». C'est « un point d'appui essentiel ». Et la huitième merveille du monde. Ceux qui oseraient contester les saintes écritures sont « une tendance puissante de la liquidation (sic) de la pensée critique dans le domaine du cinéma ». Et défense de rire. Tout à sa fureur, Frodon se laisse aller à des méthodes éprouvées : attaques personnelles et légère mais significative torsion de la réalité. Ainsi Rony Brauman qui prend la défense du film de Pontecorvo dans les bonus du DVD manifeste « un impressionnisme sans pensée ni goût » et est d'ailleurs le co-auteur d'un « documentaire truqué sur le procès Eichman » (Un Spécialiste avec Eyal Sivan). Ainsi Paul-Louis Thirard « un critique d'une autre époque » qui avait fait un article de synthèse et pointait les manques de Rivette comme de Daney puis de leurs disciples manifeste, lui, une « aigreur d'arrière garde ». Charmant. Cher monsieur Frodon, monsieur Thirard n'a jamais traité monsieur Rivette de « menteur myope ». Il a simplement fait remarquer ce que n'importe qui peut constater, que la description du fameux travelling par l'auteur de Va savoir est quelque peu exagérée et qu'il n'y a pas de recadrage spécifique sur la main. Je vous assure. Il suffit de lire l'article dans Positif de mai et de regarder le DVD de Kapo sans oeillères. Le risque critique c'est un peu cela aussi.
08:55 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : cinéma, critique | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Le travelling de Kapo, c'est un article doublement symbolique pour les Cahiers. Il a été écrit par Rivette, puis repris par Daney, à la lettre, comme une maxime.
Pourtant, selon les dires de Daney lui-même, il n'a jamais vu le film! C'est donc une sorte de signature, de code pour affirmer l'importance de la Morale et de l'Ethique à l'oeuvre dans le cinéma (à la fois dans les films et les propos tenus sur ceux-ci).
Mais il faudrait savoir évoluer aujourd'hui, Monsieur Frodon. La Politique des auteurs a fait son temps, il faut savoir passer à autre chose.
Et peut-être (re)voir le film de Pontecorvo, sans préjugé hatif. Certes, il est difficile de remettre en cause la parole des Anciens. N'est-ce pas pour autant nécessaire?
Écrit par : John Mohune | 20/09/2006
Très jolie synthèse, John, plus claire que ma réaction à chaud. Votre nom est-il une réminiscence de Moonfleet ?
Écrit par : vincent | 20/09/2006
Magistral. Bravo.
Écrit par : sandrine | 25/09/2006