Les tueurs noirs de l'empereur fou (06/06/2019)
Ninja bugeicho momochi sandayu (Les tueurs noirs de l'empereur fou, 1980) de Norifumi Suzuki.
Amicalement dédié à Christophe et Jean-Jacques.
Ah, ce titre ! Il a surgit de l'ouvrage de Christophe Champclaux, Tigres et dragons, sur lequel je reviendrais, et m'a ramené en un éclair à un article paru dans l'un des premiers numéros de Starfix en 1983. Je pourrais être plus précis mais j'ai la flemme de plonger dans le placard. Il y avait aussi une image : un homme vêtu de blanc suspendu à une liane, le corps à angle droit, surplombant une troupe d'adversaires au sol. Que de promesses, enfin tenues aujourd'hui. Ninja bugeicho momochi sandayu, plus connu sous son titre international Shogun's Ninja, et donc par son poétique titre français, est l’œuvre de Norifumi Suzuki, spécialiste d'un cinéma d'exploitation mêlant sexe, action et violence à la japonaise, connu pour Seijū gakuen (Le Couvent de la bête sacrée, 1974) possédant une réputation sulfureuse à base de torture de nonnes. Il se situe au carrefour du chambara, film de sabre classique, du film de ninja plus délirant, du film d'art martial plus physique, et sous l’influence du « wu xia pian » chinois. Feuilletonesque à souhait, son action se déroule au XVIe siècle. Le Shogun en place, Toyotomi Hideyoshi, charge l'impitoyable Shiranui Shogen d'éliminer la famille rivale, les Momochi. Leur chef, Sandayu, est assassiné par traîtrise, sa femme se suicide et leurs gens sont massacrés. On se croirait dans Game Of Thrones. En réchappe pourtant le jeune fils Takamaru et, une quinzaine d’années après un exil en Chine où il est devenu un combattant expert, il revient pour... se venger. Jusque là, rien de très original, mais c'est une base qui a fait ses preuves.
A partir de là, l'intrigue se complique à souhait et le scénario de Fumio Kônami et Ichirô Ôtsu, qui ont beaucoup travaillé dans le cinéma de genre, multiplie les personnages secondaires avec générosité. Takamaru retrouve quatre cousins, les rescapés du massacre initial, le général d'un groupe de ninjas-araignées vêtus en panthère et capables d'escalader les arbres comme rien. Il retrouve aussi Otsu, amie d'enfance qui a récupéré la flûte de sa mère, vivant avec un homme qu'elle appelle frère et qui est intéressé par l'or des Momochi. Oui, car il y a une histoire de mine d'or cachée dont le plan doit être reconstitué à partir de deux dagues. Feuilletonesque ai-je dit. De son séjour en Chine, il s'est lié avec la belle Ai-lian, fille d'un maître Shaolin, et d'un prince chinois dont je ne me souviens plus bien d'où il sort. Il y a également un samouraï appelé Hattori Hanzo, ce qui rappellera quelque chose aux spectateurs de Kill Bill (2004) de Quentin Tarantino, et un prêtre avec longue barbe blanche qui fait de jolis sauts. Du côté antagoniste, Shogen a une troupe de ninjas vêtus de bleu semblant toujours vivre au plafond, et deux hommes de main, un muet et un sourd. Le shogun a une garde féminine assez originale et, trait inattendu d'humanité, une petite fille qu'il adore.
Le film enchaîne alors sans mollir de nombreuses scènes d'action dont la vraisemblance n'est pas le point fort, mais ce n'est pas grave parce qu'elles sont visuellement excitantes. Les Ninjas surgissent de partout, des trous d'eau, des murs et plafonds, des arbres et buissons. Ça saute de partout et ça fait l'acrobate. Le héros est percé mille fois et se relève toujours. Les sabres font un joli bruit métallique. Tout est bien. Il n'y a pas de cohérence à chercher il faut se laisser porter. Combats à mains nues ou au sabre, embuscades, tortures imaginatives, trahisons, entrainements, cavalcades, quelques effets gore efficaces, quelques traits d'humour pas toujours fin, le film est un tourbillon de couleurs vives, de forêts luxuriantes, d'océan agité, de sang écarlate, d’étoffes froissées. La mise en scène de Suzuki alterne des effets parfois grossiers (son utilisation du zoom rapide) avec de beaux moments plus travaillés. La première scène fait penser au maître Kurosawa par la rigueur de ses cadres en intérieurs traditionnels. Les retrouvailles de Takamaru et d'Otsu dans une forêt de bambous au clair de lune sur fond de flûte évoque le cinéma de King Hu. La sauvagerie de certains combats et des scènes de torture, Takamaru suspendu par les pieds et flagellé, m'a rappelé les délires sanglants de Chang Cheh ou les westerns noirs de Sergio Corbucci. Je ne connais pas assez de films de Suzuki pour savoir si tout ceci dégage un style personnel, mais l'ensemble ne manque pas d'énergie ni d'une imagination qui n'est pas bridée par les confortables moyens mis en œuvre.
Une part de la réussite du film tient à mon sens à la qualité des scènes d'action et de combat. Et donc aux performances en la matière des acteurs. Takamaru est joué par Hiroyuki Sanada, connu en France pour avoir été l'un des héros du feuilleton San Ku kai. Ai-lian est incarnée par Etsuko Shihomi et Shogen par Shin'ichi « Sonny » Chiba qui sera... Hattori Hanzo pour Tarantino. Il y a une histoire entre ces trois là. Chiba est une grande star du film martial japonais de son temps. C'est aussi un combattant de haut niveau. Comme l'explique Champclaux dans son livre, il va créer au début des années soixante-dix une école, le « Japan Action Club », pour former des acteurs et actrices qui soient aussi des artistes martiaux chevronnés et renforcer ainsi le réalisme des scènes de combat des films du moment. Sanada et Shihomi sont ses meilleurs élèves, devenant stars à leur tour. Outre ces trois là, on retrouve Tetsuo Tamba, le Tiger Tanaka de James Bond et autre comédien clef du film d'action de l'époque, ainsi que Isao Natsuyagi qui débuta avec Hideo Gosha. Suzuki peut ainsi filmer cascades et combats spectaculaires sans recourir à des trucages ni à des facilités de montage, utilisant parfois le ralenti pour souligner tel exploit physique comme chez Jackie Chan, ainsi le saut de Sanada du haut d'un toit. Il y a là une incarnation de l'action remarquable en nos temps de bidouillage numérique généralisé. En outre, Sanada a un charisme juvénile semblable à celui de Mark Hamill en Luke Skywalker dans le contemporain Star Wars (La Guerre des étoiles, 1977), héros immaculé et volontaire. Si la photographie de Tôru Nakajima est agréable, notamment l’ambiance d'une confrontation en forêt sous la pluie, le point noir du film est la musique, marquée par son époque et qui colle particulièrement mal avec celle du film. Nous avons affaire avec une bouillie entre pop légère et disco qui évoque un mauvais polar italien ou un « blacksploitation » bas de gamme, avec ritournelle sirupeuse et accès de saxophone crispant. Le tout n'est pas loin de gâcher certaines scènes. Mais à la décharge de ce choix malheureux, il faut avouer que la musique n'est pas le fort de ce genre de productions populaires, à Hong-Kong comme au Japon, en Italie comme en Amérique, en ces années douloureuses pour les tympans avant que ne revienne le temps des partitions symphoniques. Mais que cela ne vous fasse pas bouder votre plaisir.
Photographies © Toei Company
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