Les flics devraient dormir la nuit (25/04/2016)
Wrong cops (2013), un film de Quentin Dupieux
Texte pour Les Fiches du Cinéma
Nous sommes en 2016 à Los Angeles, charmante cité des États Unis d'Amérique où le crime est en voie de disparition. Du coup la police s'ennuie. Que fait alors un policier qui s'ennuie ? Le réalisateur Quentin Dupieux nous présente quelques variantes comportementales dans son film de 2013, Wrong cops. Il y a le massif Duke qui trafique de l'herbe et qu'il refile à ses clients insérée dans des rats morts entourés de ruban adhésif. Quand il est en manque de rats, son fournisseur lui propose des poissons ce qui pose problème rapport à l'odeur. Il y a Rought, borgne au visage déformé, qui passe son temps à composer un morceau de musique électro dont il est persuadé qu'il peut être un tube. Il est (presque) le seul. Il y a la blonde Holmes qui fait chanter son collègue Sunshine quand elle découvre qu'il a jadis posé dans une revue de porno gay. Il y a le barbu De Luca, obsédé sexuel qui se sert de son uniforme pour harceler les jolies joggeuses. Une sorte de bad Lieutenant ce De Luca. Il y en a d'autres, la galerie de monstres à plaque de Dupieux est fournie, et il n'y en a pas un pour racheter l'autre.
Wrong cops n'a pas vraiment d'histoire, plutôt plusieurs récits entrelacés autour d'une unité de temps, une journée dans la vie de la brigade, et de lieu, ce Los Angeles estival et comme anesthésié. L'ensemble est structuré autour d'un cadavre, victime involontaire de Duke qui cherche à s'en débarrasser et le trimballe dans le coffre de sa voiture. Le problème se complique quand le cadavre ne révèle pas tout à fait mort. Scorcese quelqu'un ? A maints égards le film rappelle surtout Pulp fiction (1994) de Quentin Tarantino, que ce soit pour la structure éclatée, la temporalité disloquée, et pour l'ambiance décalée. Pour le goût du détail insolite et les ouvertures de coffre arrière. Scorcese aussi, oui. L'humour de la chose se situe entre celui de la série Police Academy et le fameux esprit Canal, même si c'est ARTE qui apparaît comme co-producteur. Drôle de mélange pour un drôle de film qui séduit parfois et qui parfois irrite. C'est la mise en scène de Dupieux qui provoque ces sentiments contradictoires. D'un côté je sens la maîtrise, la virtuosité de la tapisserie, la façon crâne d'aller au bout des scènes ce qui leur permet de dépasser le simple sketch. Il y a aussi un rapport au temps intéressant, Dupieux faisant durer certains plans, certaines expressions, jusqu'à un point de rupture. De l'autre, il y a la vacuité de l'ensemble, le côté artificiel des personnages tous caricaturaux, sauf celui joué par Marilyn Manson, qui amusent pourtant par l'abattage des comédiens. Il y a aussi des effets bien peu cinématographiques, des effets de manieur de platine ou de tripoteur de samples. Normal, le réalisateur vient de la musique électronique. De sa part, il est peut être vain d'attendre autre chose que ce patchwork au ton personnel, d'autant que Dupieux, outre le scénario écrit avec Diane Bardinet, assure la photographie, le montage et la musique sous son pseudonyme de Mr. Oizo.
Wrong cops est donc l’œuvre d'un artiste total, ben si, un univers sous influence mais qui lui est propre. Il a tout pourtant de la blague de potache montée en neige, puisqu'à l'origine il s'agit d'un épisode courts, celui du personnage de Marilyn Manson tyrannisé par Duke joué par Mark Burnham, développé en série autonome avant d'être mixé, encore un terme de DJ's, pour aboutir au résultat final. La présente édition DVD propose les deux façon de voir la bande d'affreux jojos de Dupieux. La version entrelacée y gagne sans aucun doute de la densité, même si elle prend le risque de l'essoufflement. Il y a enfin une continuité intellectuelle entre ce film et les autres opus de Quentin Dupieux, que ce soit l'étrange Steak (2007) avec déjà Eric Judor, Rubber (2010) avec son pneu tueur psychopathe, ou Wrong (2012 sans cops) toujours avec Judor, une histoire de dognapping. A chacun de voir si ce genre d'objet filmique mal identifié correspond à son sens de l'humour. Je reste dubitatif. Dupieux promène son regard entre innocence et cynisme sur une Amérique cauchemardesque sans que l'on comprenne où il veut en venir, au fond.
Photographies Éric Wareheim © UFO distribution
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