L'amour à mort (21/01/2016)
Corps à cœurs (1978), un film de Paul Vecchiali
Une semaine avec Paul Vecchiali - Le film sera diffusé le dimanche 24 janvier à 17h00 au cinéma Mercury à Nice, présentation de Vincent Jourdan, en présence du réalisateur
Jean Grémillon et Gabriel Fauré, le cinéma et la musique, la passion et la mort, quelque chose de l'ordre du sacrifice et quelque chose de l'ordre du sacré, l'émotion à fleur d'image et la finesse de composition. Paul Vecchiali ouvre Corps à cœurs en 1978 avec cette double dédicace sur fond de ciel, un ciel lentement envahi d'un noir nuage d'orage. Levez vous, orages désirés ! Pierre travaille dans un garage. Il a la trentaine, séduisant et séducteur. Il vit dans la ruelle, survivance d'un Paris prolétaire exilé en proche banlieue, au cœur d'un petit monde issu d'un film du temps du Front Populaire, Marcel Carné, Julien Duvivier, Pierre et Jacques Prévert... Elle dit que son nom n'a pas d'importance, va pour Jeanne. Elle est pharmacienne, la cinquantaine toujours très belle, élégante, racée. Son officine est en centre ville, son appartement bourgeois, sa villa au soleil. C'est La musique qui les réunit lors d'un concert à la Sainte Chapelle, celle du Requiem de Fauré. Pierre remarque Jeanne « Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue ». l'Amour balaie Pierre comme une lame de fond. Un homme, une femme, la belle affaire ? Oui, la belle « love affair » comme disent les anglo-saxons. Vecchiali pose d'entrée cet amour comme un absolu, magnifiée par l'art et sa dimension sacrée, mais aussi marquée du signe du destin. Le requiem est la messe des morts. Dans cette première scène toute de fascination, les cadres, le montage assuré par Vecchiali, et la lumière chaude du fidèle Georges Strouvé, établissent des liens invisibles entre les deux personnages et les isolent au sein de la foule. Ils soulignent aussi la beauté des interprètes, Nicolas Silberg et Hélène Surgère, filmés avec noblesse comme deux héros de tragédie classique. Il est certains qu'entre ces deux là ne coulera pas de l'eau tiède mais des sentiments les plus purs, de ceux par lequel l'être humain se dépasse.
Le film va se construire sur l'irruption de ce sublime dans le quotidien, sans pourtant que ce quotidien soit dévalorisé, et c'est peut être là que l'on trouve avec le plus d'évidence une proximité avec le cinéma de Jean Grémillon. Bouleversé par cet amour si puissant, Pierre va devoir trouver comment l'exprimer et Jeanne va l'aider à renoncer à tout ce qui est médiocre en lui. Ne reculant devant rien, pas même devant le ridule, il va se dépouiller se ses façons de Dom Juan prolo pour dire, et de quelle manière, cet amour. Jeanne, elle, va devoir accepter cet amour venu dans une vie qu'elle croyait rangée, un amour venu d'un monde qui lui est inconnu. Qui vient tard aussi, bien tard pour une femme marquée déjà par le drame. Jeanne va devoir accepter de mettre le drame inéluctable entre parenthèses pour vivre pleinement cet amour, pour ces scènes parmi les plus lumineuses du cinéma de Paul Vecchiali, entre le bleu du ciel, celui de la mer et les couleurs de Provence.
Les amoureux ne sont pas tout à fait seuls au monde. Corps à cœurs et aussi construit autour d'autres passions qui viennent comme un écho à celle des deux principaux personnages. Il y a la passion juvénile et enthousiaste d'Emma qui finira par épouser Pupuce, ouvrier du garage, pour se consoler ; celle, homosexuelle et refoulée de Louis, l'associé ; celle, distante et comme fraternelle de Mélinda qui accepte de jouer l'entremetteuse ; et puis les regrets amoureux de la mère délaissée, jouée par la grande Madeleine Robinson venue du sublime Lumière d'été (1943) de Grémillon. Autour de cette sarabande féminine, Vecchiali crée plusieurs personnages attachants, les habitants de la ruelle, à l'aide de ses acteurs fétiches : Sonia Saviange, Liza Braconnier, Myriam Mezières , Michel Delahaye, Denise Farchy, Marie-Claude Treilhou, Paulette Bouvet. Ce petit monde est dépeint avec chaleur et un rien de mélancolie car il sait, c'est dit de façon directe lors de la scène du repas sur le toit, qu'il est en train de disparaître. Il contraste avec le milieu dans lequel évolue Jeanne, mais aussi avec la froideur impersonnelle du monde extérieur. Il ménage aussi des respirations dans un récit dramatique car l'une des qualités de Corps à cœurs c'est sa légèreté. Émouvant souvent, beau, lyrique quand il le faut, le film n'est jamais pesant. Il marche avec grâce et équilibre entre le rire, les larmes et les battements de cœur.
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