Sexe à bout portant (17/01/2016)

Change pas de main (1975), un film de Paul Vecchiali

Une semaine avec Paul Vecchiali - Texte pour Les Fiches du Cinéma

Bonne nouvelle, Shellac a sortit une rétrospective consacrée au cinéaste Paul Vecchiali, d’abord en salles, puis en deux coffrets de quatre films chacun dont quelques titres majeurs d'une œuvre aussi prolifique qu'elle est devenue rare. Parmi eux, il y en un d'un peu particulier par ce qu'il évoque. Change pas de main, tourné en 1975 entre Femmes, femmes (1974) et La machine (1977) fait penser, pour ceux qui ont connu cette glorieuse époque, à ces titres de films pornographiques jouant le leste et l'humour mélangés, interpellant le spectateur avec la promesse d'un spectacle aussi croustillant que décontracté. Cette époque, la première moitié des années soixante dix, est celle où la pornographie se découvre à elle même, connaît le succès, voire le triomphe avec le plutôt érotique Emmanuelle (1974), avant de rentrer dans le ghetto créé par la loi X de 1975 (une taxation lourde qui a rejeté le genre dans un circuit de distribution spécialisé et restreint). A vrai dire, il n'y a nulle coïncidence. Change pas de main est bel et bien un film pornographique, un vrai, c'est à dire un film où les actes sexuels explicites ne sont pas simulés. Le film est sortit avant le label X et fait partie de la première vague, celle des précurseurs. A l'origine c'est le producteur Jean-François Davy qui a aimé Femmes, femmes et qui propose à Paul Vecchiali de réaliser un film pornographique. Davy, qui a commencé comme assistant de Luc Moullet, a aussi réalisé plusieurs films érotiques dont Bananes mécaniques en 1972 et il vient de frapper fort avec Exhibition, titre emblématique du genre qui se présente comme un documentaire sur le milieu de la pornographie, en particulier autour de l'actrice spécialisée Claudine Beccarie. Le film est un gros succès et sera sélectionné dans plusieurs festivals, dont Cannes en 1975 dans la sélection Perspectives du cinéma français. Oui, c'était une autre époque, avec des budgets, du 35mm, et de vraies équipes techniques.

paul vecchiali

Donc Vecchiali relève le défi et écrit Change pas de main avec Noël Simsolo, son complice sur Femmes, femmes , un homme qui a de nombreux talents et à qui l'on doit de passionnantes Conversations avec Sergio Leone. Le film intègre la pornographie de manière franche dans un récit qui revisite le film noir. Sa réussite tient au fait qu'il y a un vrai cinéaste derrière la caméra et que celui-ci apporte tout son univers au sein des figures imposées du genre, scènes d'ébats hétéro et homosexuels, partouze, et qu'il le fait en jouant le jeu un rien malicieux, sans faire le malin, ni se réfugier dans le second degré. Une attitude qui pourrait servir d'exemple à celles et ceux qui de temps à autre caressent l'idée du porno d'auteur. Ceci dit, je crois devoir préciser que je ne suis pas un spécialiste du genre. Le cinéma est pour moi, par essence, un art de la simulation, du jeu, de l'imagination. Une scène de coït non simulée me fait à peu près le même effet que Jean-Paul Belmondo suspendu « pour de vrai » à un hélicoptère. S'il faut arrêter le film pour apprécier la prouesse physique, c'est pas bon. Mais je peux apprécier la chose si elle est intégrée au récit de façon fluide, si elle est partie prenante d'une émotion comme dans les grands films érotiques japonais, disons Nagisa Ōshima, Yasuzō Masumura, ou Masaru Konuma.

paul vecchiali

Paul Vecchiali propose une manière de film noir qui fait appel à son goût pour le cinéma français des années trente et quarante, la chanson, le cabaret, et les grands classiques américains du genre. Le scénario de Change pas de main évoque celui de The big sleep (Le grand sommeil – 1946) de Howard Hawks où Bogart serait une femme, en l’occurrence la belle Myriam Mezières dans le rôle de Mélinda, détective privée avec les indispensables imperméable et chapeau mou. Elle est chargée par madame Bourgeois (sic!) de régler une affaire de chantage dont est victime son fils, une histoire de film pornographique plus explicite que celle de son modèle chandlerien. Voilà Mélinda plongée dans un univers de boites de nuits, de puissants sans scrupules, de passés mal digérés, d'hommes et de femmes de main, de fumées de cigarettes et de traquenards dans lequel elle évolue en grande professionnelle intègre, portant un regard impitoyable sur la comédie humaine qui se joue autour d'elle. Une comédie qui vire vite au tragique et dans laquelle le sexe et le désir sont centraux. Comme chez Hawks, l'intrigue compte bien moins que les scènes qui permettent de fouiller les personnages et leurs relations. Vecchiali renverse les conventions en distribuant les femmes dans les rôles masculins et les mets au premier plan. Mélinda a une assistante, Natacha, qui est aussi son amante, et les deux femmes ont un homme de ménage au seyant tablier avec rien dessous. Une très jolie scène pleine de tendresse les montre se réconfortant mutuellement. Hélène Surgère joue madame Bourgeois avec ce mélange de classe, d'autorité, et de mélancolie dans la lignée de ses grandes créations pour le cinéaste. Derrière la femme de pouvoir, il y a la mère et la femme blessée par l'amour et par les années. Vecchiali se montre une nouvelle fois un peintre de la femme plein d'attention, multipliant les rôles originaux et très bien écrits, les dialogues poétiques et savoureux, avec ses actrices fidèles, Surgère, Mézières, Sonia Saviange, Denise Farchy, et Liza Braconnier. Le côté masculin n'est pas négligé pour autant, en particulier la prestation étonnante de Marcel Gassouk dont le personnage pathétique, inoubliable, exploite le talent d'un comédien trop souvent cantonné à des seconds rôles folkloriques. On croise là encore les visages et les corps dont Vecchiali aime à peupler ses films, Michel Delahaye, Jean-Christophe Bouvet, Jean Droze, Noël Simsolo qui paye de sa personne en homme objet dévoué, sans oublier le grand Howard Vernon dans un personnage de salaud magnifique comme il sait si bien les composer. Pour les scènes les plus explicites, Vecchiali, sans doute via Davy, bénéficie de l'apport de spécialistes du genre, à commencer par Claudine Beccarie, Benoît Archenoul et Béatrice Harnois qui avaient participé aux films du producteur, ce qui boucle la boucle.

paul vecchiali

Il me semble intéressant de revenir sur le travail magnifique de Myriam Mezières et du lien qu'elle opère avec un film sorti l'année d'avant, Un linceul n'a pas de poches, signé d'un autre réalisateur atypique, Jean Pierre Mocky. Il y a de jolies résonances entre ces deux films, Mocky travaillant la forme du film noir en adaptant Horace McCoy pour livrer, comme Vecchiali, un portrait acide de son temps. Mocky y fait preuve d'un érotisme vigoureux, utilisant Sylvia Kristel, auréolée de son rôle titre dans Emmanuelle, sans toutefois franchir le pas de la pornographie. Les deux films ont en commun une esthétique puisant aux mêmes sources d'un cinéma français pré-Nouvelle Vague, le même goût des seconds rôles travaillés dans une certaine tradition des acteurs à « gueule », le même esprit un peu anarchiste qui ne ménage aucune forme de pouvoir et sait décrire avec chaleur de petites communautés populaires et les personnages un peu en marge. Ils se retrouvent aussi, me semble-t-il, dans un sens de l'humour grinçant teinté de pessimisme, une sensibilité à vif sur la noirceur du monde. Myriam Mézières fait un peu le pont entre ces deux œuvres. Elle se glisse d'une certaine façon chez Vecchiali dans le costume que porte Mocky incarnant le journaliste idéaliste Dolannes, ces accessoires indissociables du privé à la Bogart, l'imper et le chapeau, la cigarette et le revolver, avec cette expression lucide et déterminée. Mocky se mettait en scène non sans narcissisme et le personnage joué par Mézières l'épaulait de son mieux. Mélinda chez Vecchiali semble une sœur de Dolannes. Si l'un perd la vie, l'autre perd ses illusions. Ni ses compétences hawksiennes, ni son éthique ne permettent à Mélinda d'empêcher les meurtres. Il est possible, à travers les acteurs, les formes et les thèmes, de faire des ponts semblables avec deux autres francs-tireurs de la caméra, Jean Rollin et José Benazeraf .

« L’idée, c’était vraiment de faire la critique de la caricature : à chaque fois qu’on va vers une convention ou un cliché, on le renverse par le drame. Par exemple, la séquence qui commence par la scène paillarde sur le comptoir du bar se poursuit avec Sonia Saviange, qui part une bouteille de whisky à la main.Ce qui est un hommage à El Dorado d’Howard Hawks, avec Robert Mitchum et sa bouteille de whisky. »

Collage complexe, Change pas de main trouve son homogénéité dans la mise en scène. Paul Vecchiali assure comme souvent le montage et l'on retrouve le fidèle Georges Strouvé à la photographie qui multiplie les ambiances nocturnes et colorées de night-club. Le réalisateur y fait preuve de son goût pour le plan séquence et pour les audaces expérimentales, en particulier les scènes de partouze du film objet du chantage, construites autour de chutes, images en noir et blanc aux nombreuses impuretés où la pellicule revendique son support avec ses sauts, poussières et rayures. Le film reste sinon dans le style très personnel de Vecchiali, mélange de réalisme et de théâtralité, avec cette façon impromptue d'inclure des intermèdes musicaux. Les scènes de sexe s'intègrent de façon naturelle, sans les ruptures habituelles du genre, et je me rends compte qu'elles sont le plus souvent liées à la mort et au désespoir amoureux. Cet aspect donne au film une ambiance très spéciale, atypique même au sein de la filmographie d'un réalisateur qui ne l'est pas moins. Un beau film, en somme.

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