Son nom, il le signe à la pointe l'épée (air connu) (28/09/2015)
The mark of Zorro (Le signe de Zorro – 1940), un film de Rouben Mamoulian
Texte pour Les Fiches du Cinéma
Autour de 1940, c'est un joli temps pour les plafonds au cinéma. John Ford en a filmé de rustiques dans Stagecoach (La chevauchée fantastique – 1939) et Orson Welles prépare ceux, imposants, de son Citizen Kane (1941). Entre les deux, il y a le plafond ancien et espagnol sur lequel Don Diego Vega plante son épée pour montrer à ses condisciples de l'école militaire qu'il renonce aux armes. Un acte fort de la part du meilleur escrimeur de l'école, au moment où il est rappelé par son père d'Espagne en Californie sous domination mexicaine au début du XIXeme siècle. Le renoncement sera de courte durée face à la situation qu'il va découvrir sur place, le régime autoritaire du gouverneur Quintero épaulé par le redoutable capitaine Esteban Pasquale. Et pour mieux les combattre, Vega va s'inventer un double, masqué de noir : Zorro ! Ah ! Zorro... Pour les gens de ma génération, c'est d'abord Guy Williams dans le feuilleton télévisé produit par Walt Disney de 1957 à 1961. Et puis la tentative pas si négligeable d'Alain Delon sous la direction de Duccio Tessari en 1975. Puis nous avons découvert qu'il y avait eu de multiples versions adaptées de l’œuvre de Johnston McCulley et que le costume noir a été porté par le fringant Douglas Fairbanks au temps du muet, Reed Hadley dans les Serials Republic des années trente, et puis tous les plus ou moins beaux gosses des coproductions européennes des années soixante. En attendant Antonio Banderas. Une fois fait le tour, la conclusion s'impose : le Zorro mis en scène par Rouben Mamoulian dans The mark of Zorro (Le signe de Zorro) et joué par Tyrone Power en 1940 m’apparaît comme le meilleur, le plus élégant en tout cas, le plus raffiné, bénéficiant de l'éclat d'une production hollywoodienne typique de l'âge d'or.
C'est le studio 20th Century Fox qui met le projet en chantier avec l’objectif avoué de concurrencer le succès du Robin des bois de la Warner et de lancer une moustache rivale de celle d'Errol Flynn. Le studio met les moyens et les talents, Travis Banton aux costumes, Richard Day et Joseph C. Wright à la direction artistique, Thomas Little aux décors et donc aux plafonds, tous multi oscarisés, et Arthur C. Miller, plusieurs fois collaborateur de John Ford, à la photographie. Comme chef d'orchestre, c'est Rouben Mamoulian qui s'y colle, à qui l'on doit la meilleure version de Dr Jekyll et Mister Hyde en 1931 et Greta Garbo en Reine Christine en 1933. Mamoulian a un goût marqué pour les défis techniques. C'est à lui que revient la réalisation du premier film en technicolor, Becky Sharp en 1934, et les effets spéciaux de son adaptation de Stevenson restent bluffants encore aujourd'hui. Mamoulian n'est peut être pas tout à fait l'homme de la situation. Question mise en scène, Raoul Walsh ou Michael Curtiz ont plus de panache, le mouvement des êtres et des choses est plus enlevé. Mamoulian est plus un cérébral qu'un homme d'action. Mais question mécanique, question sophistication, il est à la hauteur.
Le scénario signé John Tainton Foote, Garrett Fort et Bess Meredyth joue sur du velours. Avec prudence, il recycle des éléments ayant fait leurs preuves chez la Warner. La couple de scélérats, Don Quitano et Pasquale reprend le schéma de Robin des bois, l'homme de main étant plus dangereux que son maître, un peu faible au fond. Du film étalon de Curtiz, The mark of Zorro reprend les rondeurs d'Eugene Palette en moine, et Basil Rathbone, escrimeur racé, qui démarque Sir Guy de Gisbourne en Pasquale. Son duel final avec le héros sera le point d'orgue du film. L'élément féminin est confiné à une fonction de potiche de luxe, à l'érotisme limité, mais le talent et la sensualité de la belle Linda Darnell parviennent à dépasser en partie le cliché de la jeune fille en détresse. Tyrone Power, en pleine ascension, donne tout son charme et son talent à ce héros qui fera beaucoup pour son statut de star. Il se régale visiblement de ce double rôle Vega/Zorro auquel il ne manque qu'un peu de la gravité de ses compositions pour Henry King.
C'est que le plus intéressant chez Zorro, c'est encore cette thématique du double que Mamoulian avait explorée avec bonheur dans Jekyll et Hyde. Elle lui donne cette fois l'occasion d'en exploiter le potentiel de comédie. Chacun le sait, Zorro, c'est Don Diego et il n'est pas question de jouer sur le suspense avec cette double identité, mais plutôt sur la connivence avec le spectateur. Don Diego, c'est le fin bretteur qui décide de jouer les précieux ridicules à visage découvert pour mieux tromper le monde et se costume de noir pour combattre l’oppression. C'est donc au naturel qu'il porte un masque et sous le loup de Zorro qu'il est lui-même. Vertige de l’identité, dédoublement de personnalité, schizophrénie si l'on aime les grands mots. Tout le monde s'y perd, la jolie fille du gouverneur en premier, ce qui est souvent drôle puisqu'elle tombe amoureuse de Zorro, l'homme qui défie son père, à force d'être déçue par le Don Diego respectueux de l'ordre et répugnant à la violence. Qu'il dit. Tout le monde s'y perd sauf Don Diego très à l'aise, trop peut être. Contrairement à Batman qu'il a inspiré, Zorro n'est en rien torturé avec son alter-ego. Il s'amuse beaucoup. Zorro apparaît comme la projection idéale de Don Diego, plutôt du meilleur de lui même, de son moi réel qui s'exprime ainsi sans retenue. Mamoulian traduit ces éléments en jouant sur la vraisemblance des situations. Zorro surgit. Il n'a ni repaire secret, ni assistant, ni dispositif particulier. Mais il maîtrise le cadre, le champ, le hors-champ et les passages secrets de l'un à l'autre. Il utilise des voies privilégiées qui l’amènent au cœur de l'action. Il n'arrive pas, il est arrivé, comme dans la chanson. Il apparaît sortant de l'ombre dans le dos des méchants, bousculant les mises en scènes de l'injustice, disparaissant avec une facilité déconcertante. Il y a dans cette gratuité totale quelque chose de réjouissant, un pur plaisir de spectateur que le réalisateur se plaît à combler. Nous sommes aux côtés de Zorro, et en vérité, je vous le dis, cela est bon. Alors, certains auront beau jeu de regretter un manque d'épaisseur, que l'émotion soit de circonstance. Mais cela compte peu face à la jouissance absolue du jeu et de l'aventure. Que celui qui n'a pas revêtu le fameux costume noir à huit ans un soir de Noël me jette la première pierre.
Photographie Dr Macro - 20th Century Fox
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15:06 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : rouben mamoulian | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Ayant découvert le film il y a quelques mois, je m'attendais à être plus ébloui, dans le style des Aventures de Robin des Bois (bien qu'indépassable à mon sens dans le genre). L'intrigue m'a paru trop mécanique, l'enchaînelent des actions trop rapide, le tout manquant d'envergure. Par contre, Power s'amuse et ça se voit. Merci pour la chronique.
Écrit par : Raphaël | 25/10/2015
Bonsoir Raphaël, Je l'avais découvert il a de nombreuses années, je pense l'apprécier mieux aujourd'hui. Mais ce genre de film, comme Robin des bois, ça fonctionne sur une intrigue et des rebondissements archi connus bien avant d'avoir vu le film. Le film de Curtiz a peut être en effet un côté épique, un sens du panache jamais égalé. Le Zorro est plus ludique.
Écrit par : Vincent | 25/10/2015