Quatre films d'Idrissa Ouédraogo - Partie 2 (02/06/2015)

Karim et Sala (1991) et La colère de dieux (2003)

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Idrissa Ouédraogo reprend le jeune couple de Yaaba, Noufou Ouédraogo et Roukiétou Barry pour une histoire qui est cette fois ancrée dans un temps contemporain. Mis à part la vieille pétoire de Saga, il n'y a aucun détail dans les deux films précédents qui permettrait de dater aisément la période où se déroulent les histoires. Karim et Sala vivent en 1991 et le film aborde la réalité du Burkina Faso au présent tout en se construisant sur les oppositions entre ville et campagne, entre riche et pauvres, entre tradition et modernité une fois de plus. Mais à travers ses jeunes héros, Ouédraogo peut aborder ces thèmes tranchés de façon assez subtile et avec une certaine tendresse. Karim est un jeune paysan, son père a mystérieusement disparu et il vit avec sa mère sous la coupe d'un oncle rustre et violent à l'occasion. Alors qu'il porte un chevreau dans ses bras, il croise la route de Sala. Sala vit à la ville et son père est aisé, ce qui se voit à sa camionnette Peugeot 404 quasi neuve. « Petite fille à son papa » mais sans malice, Sala veut l’animal et propose à Karim de l'acheter. Entre ces deux là, il se passe quelque chose dans le premier regard. Le garçon comprend qu'entre eux il ne peut être question d'argent. Il refuse de vendre le chevreau mais accepte après un instant de le donner. Il scelle ainsi, reproduisant en toute innocence un geste ancestral (on offre une chèvre à la famille de sa promise) un de ces amours d'enfance entiers dans leur pureté.

idrissa ouédraogo

Comme dans Yaaba, le réalisateur emprunte la voie du conte pour développer son récit, initiatique comme il se doit. Karim va vivre une successions d'épreuves qui sont dans un premier temps marquées par la découverte de la vie africaine moderne décrite avec minutie tout en évoquant de grands classiques comme Oliver Twist pour la littérature ou Les quatre cent coups (1958) de François Truffaut pour le cinéma. Envoyé à la ville pour vendre des calebasses au marché, Karim se fait voler son argent puis son âne. Il se laisse embarquer par un voleur et finit par se retrouver en prison. Il trouvera son salut par l'amour de Sala qui convainc son père d'intervenir malgré ses réticences, par l'aide de sa mère qui incarne une nouvelle fois la force et la compréhension, et par les retrouvailles avec le père disparu. Une très belle idée qui est l'occasion pour le film d'emprunter le chemin du fantastique, un fantastique africain puisant dans les légendes traditionnelles avec cette sorte de fée de la brousse qui avait séduit le chasseur. Une scène annonce cette orientation plus avant dans le film quand Karim et sa mère arrivent en ville. Au milieu de la circulation, sous le regard indifférent des passants, deux personnages dansent en tenues traditionnelles. Ouédraogo excelle dans ces scènes musicales comme des respirations au cœur du film, utilisant de musiques plus actuelles comme une chanson de la grande Myriam Makeba. Ce sont des moments de pure grâce qui transcendent le réalisme dans lequel baignent les personnages et ouvrent la porte à la poésie. En outre son réalisme évite toute description misérabiliste. Chaque personnage est filmé avec humanité et souvent avec noblesse dans des cadres classiques plein de beauté.

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Film plus complexe que son apparence, A Karim na Sala est un mélodrame décontracté, plein de tendresse et d'humour, mais ancré dans le réel et nourri des préoccupations du cinéaste. Le film coproduit par la France et la Suisse a été décliné en feuilleton télévisée et l'édition P.O.M.Films permet de découvrir les deux versions.

Idrissa Ouédraogo met en chantier ce qui allait devenir La colère des dieux après A Karim na Sala, rêvant d'une épopée avec des moyens conséquents en s'inspirant du destin du héros de l'Histoire burkinabè, Boukari « Ouobgho » Koutou qui s’opposa à la colonisation française jusqu'en 1898. Les problèmes de financement l'amenèrent à repenser le projet et le réalisateur mettra une dizaine d'année avant ce nouveau film. La colère des dieux s'inscrit pourtant dans la continuité des trois autres même si le récit est plus ample, étendu sur une vingtaine d’années, brassant de nombreux personnages et de multiples rebondissements. L'ambition d'une fresque africaine est intacte avec soldats, batailles, vils et nobles personnages, sentiments plus grands que nature. Ouédraogo se tourne une nouvelle fois vers la tragédie classique comme dans Tilaï. Son roi mourant évoque la figure shakespearienne de Lear qui ne peut empêcher une sanglante guerre de succession menée par son fils Tanga joué avec beaucoup de conviction par Barrou Oumar Ouédraogo.

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Nous y retrouvons un enfant en position centrale, Salam, le fils de Tanga qui va se révéler un enfant adultérin, Tanga ayant enlevé sa mère à son amour d'enfance qui le retrouvera en secret, nouvelle variation sur un motif cher au réalisateur. Entre eux, l'oncle Halyaré joué par Rasmane Ouédraogo qui était Saga dans Tilaï incarne la voix de la raison et la droiture. Après l’assassinat de ses parents, Salam devenu adulte n'aura de cesse de les venger. Mais toutes ces émotions négatives, la soif de pouvoir, la vengeance, l'exercice de l'arbitraire, éloignent les personnages de leurs racines et les font se détourner avec arrogance de la tradition et des rites ancestraux. Salam tire sur l'aigle qu'il refuse de voir comme un dieu lui ayant donné son pouvoir, Tanga méprise la vie des autres et ne croit qu'en la force. Ils se coupent de leurs racines et provoquent ainsi la fameuse colère des divinités qui va se matérialiser de façon saisissante par l'invasion du colonisateur. La métaphore est limpide. Ouédraogo explore les raisons qui ont rendu possible la débâcle de l'Afrique, d'abord à l'époque de la colonisation, mais également dans les multiples problèmes contemporains. Tanga a les façons et la morgue d'un de ces trop nombreux dictateurs qui ensanglantent le continent. Les divisions et le refus des règles venues de siècles d’expérience provoquent le désastre. Ouédraogo cherche ici ce qu'il y a de positif dans la tradition, quelque chose d'un esprit africain, différent des archaïsmes qu'il pointe dans les films précédents.

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Le souffle donné au récit évite tout côté moralisateur sans occulter la dimension politique de son propos. Outre l'attention portée aux personnages et à leurs sentiments qui se manifeste dans les superbes portraits éclairés par l'éthiopien Abraham Haile Biru, collaborateur de Haroun Mahamat-Saleh, il y a la précision dans la descriptions des rituels (les funérailles du roi, la présence constante de la magie) qui valorise un temps, un rythme, une culture typiquement africaine. Le réalisateur filme toujours aussi bien les vastes étendues de la brousse et la beauté des cités, utilisant les formes triangulaires dans les architectures, symboles Bambara du serpent de la vie, une autre manière d'ancrer son récit dans des siècles d'Histoire. La bande son est tout aussi réussie, associant tradition et dynamisme avec la troupe du Larlé Naba et l'aide de Manu Dibango. Avec ce film, Ouédraogo poursuit sa recherche d'images africaines en propre, affinant sa maîtrise classique des formes et son propos moderne.

Photographies DR, source Cinéma.de

Sur Yaaba, lire sur Cadrages

Sur Tilaï, le texte de Sid-Lamine Salouka

Sur Karim na Sala, lire chez chez Shangols

Sur la La colère des dieux : critique et entretien avec le réalisateur sur Africulture.

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