L'enfer des ninjas (05/09/2014)
Clash of the Ninjas (1986) de Wallace Chang / Ninja in Action (1987) de Tommy Cheng / Ninja : American Warrior (1988) de Tommy Cheug
Texte pour les Fiches du Cinéma
Ami lecteur, ce texte va être quelque peu différent des autres. Je n'y parlerais pas, ou si peu, de mise en scène, de scénario, de photographie, pas plus que de musique, de montage (encore que), de son ou de jeu, ni d'une façon générale de tout ce dont on parle quand on parle de cinéma. Je ne m'aventurerais pas plus à vous donner des repères historiques ni de pistes cinéphiles que je ne me risquerais à des informations sur les participants aux films chroniqués. D'abord, faudrait pouvoir, ensuite il me semble clair que si vous envisagez d'acquérir le coffret Ninjas paru aux éditions Artus sous le patronage de Nanarland, ce n'est pas pour découvrir des perles méconnues du cinéma d'action asiatique, mais bien pour rigoler un coup devant un navet certifié délectable. Ou par l'effet d'une curiosité perverse dont je connais bien le mécanisme pour le partager à l'occasion. Ou alors c'est le cadeau d'un ami au sens de l'humour spécial. Ou encore, tu es ami lecteur un ninja toi-même et sois bien certain que je n'ai que respect pour ta noble profession (frappez pas ! ).
Soyons clair d'entrée, l'estampille Nanarland, également producteur d'intéressants bonus, est ici le gage d'une qualité paradoxale. Les trois films proposés, Clash of the Ninjas de Wallace Chang, Ninja in Action de Tommy Cheng et Ninja : American Warrior de Tommy Cheung, sont d’authentiques catastrophes sur pellicule, des monstres de films niant plus d'un siècle d'histoire des arts et techniques du cinéma, œuvres de Frankenstein de l'image, escrocs et infâmes tripatouilleurs de celluloïd, riant telle la hyène en pensant à leurs acteurs, techniciens et spectateurs. Le spectacle sera donc navrant ou hilarant à petite dose selon l'humeur.
Déjà, j'ignore si aucun des trois réalisateurs existe vraiment. Si cela se trouve, ce sont trois faux nez pour le fameux Godfrey Ho, ancien assistant et acteur pour Chang Cheh ou John Woo, responsable depuis d'une foultitude de films aussi mauvais les uns que les autres. Ho existe, mais pour son producteur Tomas Tang, les informations ne sont pas claires. Il est peut être mort, peut être qu'il n'existe pas, peut être que si. Comme à la grande époque du cinéma de genre italien, les génériques des films sont pleins de pseudonymes, le plus gratiné étant celui du scénariste de Clash of the ninjas, Kurt Spielberg. Si. Seuls les hum-vedettes occidentales ont leur nom bien en gros sur les affiches. Les hum-acteurs asiatiques, on ne sait même pas qui ils sont. C'est que ces trois films résultent d'une opération un peu particulière. Voilà : quand j'ai découvert le premier de la série, Ninja : American Warrior, je n'ai rien compris pendant une bonne demi-heure. Qui ? Quoi ? Où ? David Lynch, à côté, c'est Jean Girault. Puis il m'est venu le soupçon que le film que je tentais de regarder n'était pas un mais multiple. Je n'avais pas encore vu le documentaire en bonus qui explique très bien la forme de ces hum-œuvres, le 2 en 1.
le principe en est simple. La production, ici Filmark, achète au kilo des films d'action asiatiques, tourne vingt à trente minutes de film avec des acteurs occidentaux plus ou moins consentants (voir l'entretien avec l'ancienne gloire du peplum Richard Harrison). Mélangez le tout, servez en VHS, emballez c'est pesé. C'est pas cher et ça peut rapporter gros semble-t'il. Il faut juste un monteur astucieux pour relier les morceaux, l'exercice entraînant parfois un surréalisme involontaire. Un exemple : dans Ninja : American Warrior, on démarre avec une jeune femme occidentale (actrice 1) qui se bat contre des ninjas. Pour affronter une redoutable chef de gang, la Mégère, elle décide de mettre un masque et hop ! La voilà transformée en combattante asiatique (actrice 2). Comme le masque ne ressemble à rien et que la motivation est obscure, inutile de dire qu'on ne comprend rien de rien. Mais il y a de l'idée comme quand les acteurs dialoguent d'un film à l'autre : « Vous ici ? ». « Oui, je me suis fait acheter par Godfrey Ho ». Le procédé, à dire vrai, n'est pas nouveau. Mohawk de Kurt Neumann pille sans vergogne Drums along the Mohawks (Sur la piste des Mohawks) de John Ford. Roger Corman ou la firme Eurociné savaient mixer les films à l'occasion.
Pour le reste, le spectateur averti prendra un plaisir pervers à tout l'inverse de ce qui intéresse le cinéphile bien né. Il privilégiera la version doublée pour se délecter des voix atroces ou des accents étrangers grotesques dans Clash of the ninjas. Il appréciera les faux raccords de règle et les incohérences, les différences de couleur et de format, les scènes nocturnes invisibles à force de sous exposition où les couleurs délavées en extérieur-jour. Il se régalera de dialogues sous acide dont le fameux « un cadavre vient de tomber du toit, chef, envoyez des renforts ! ». Il vibrera aux prestations absentes ou approximatives des acteurs, les extraordinaires Louis Roth en méchant, Paulo Tocha alias Bruce Stallion en clone de Stallone ou le grimacier Stuart Smith. Il s'amusera à reconnaitre entre les son synthétiques les morceaux prestigieux pompés (j'ai trouvé du John Williams). Il se délectera d'effets spéciaux qui consterneraient Méliès avec apparitions-disparitions des ninjas dans un « pouf » de fumée. Tout ce qui concerne les fameux guerriers de l'ombre dégage une furieuse poésie déviante et infantile : couleurs vives rouges, jaunes, oranges, armes loufoques (des cerceaux!), un curé-ninja, des triplements, des têtes qui tournent, moi même je me sens nauséeux... C'est Barnum, mais un Barnum mité de province.
Dans tout ce foutoir, le plus curieux est le sentiment devant les scènes issues des films asiatiques piratés, à priori tournées sérieusement et qui contiennent de fortes scènes de violence et/ou de sexe. On devine dans le film caviardé par Ninja : American Warrior un polar violent avec meurtre d'enfant et assassinat d'une femme de policier enceinte. Les combats y sont nerveux. Dans Ninjas in action, Stuart Smith et sa partenaire se livrent à des ébats dignes d'un « porno-soft » tandis que le film asiatique propose une scène de domination sexuelle assez sordide et tout aussi explicite. Dans les parties « occidentales », il y a toujours un décalage entre ce qui est montré et le ridicule de la façon dont c'est montré. Par exemple la scène gratinée de torture de ninja dans Ninjas in action avec briquet dans les valseuses. Un grand écart impossible à maintenir qui laisse atterré.
Voilà. C'est une expérience. Le cinéma peut être ça aussi. A petite dose, ça peut amuser, ou entre amis, mais vous êtes prévenus.
Photographies DVD Artus
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