La loi des mâles (28/03/2014)

Raw edge (La proie des hommes) – Un film de John Sherwood - 1956

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Voici, voilà Raw edge (La proie des hommes), un petit western B américain des années cinquante, un peu mal fichu, un peu bancal, mais qui repose que une idée assez étonnante. C'est déjà pas mal. Nous sommes dans l'Ouest encore sauvage des années 1840 et il y a si peu de femmes dans le coin que Montgomery, le potentat local, a imposé une règle : la femme qui perd son mari est au premier homme qui la réclamera. Et un mari dans l'Ouest sauvage, ça peut se perdre aussi rapidement que brutalement. C'est ce qui arrive à Paca dont l'époux Dan est accusé (à tort) d'avoir violenté la belle Hannah, épouse de Montgomery. Il y a bien une bonne vieille histoire de terres convoitées, mais c'est du détail. Dan est prestement lynché et nous assistons à cet étonnant spectacle : un trio de mâles à la testostérone exacerbée se lançant aux trousses de la belle indienne (oui, c'était un couple mixte) pour se l'approprier, abattant un indien qui tentait de la protéger, et finissant par se battre comme des chiens avec une énergie qui laisse pantois. Regards dévorés de concupiscence, chemise déchirée sur le torse de Neville Brand (futur tueur à la faux chez Tobe Hooper), idée sous sous-jacente du viol, pulsions sexuelles primitives, tout ceci est exprimé assez crûment dans le cadre policé du cinéma de genre de l'époque.

john sherwood

Nous devons cette brillante idée aux scénaristes Harry Essex et Robert Hill, le premier ayant travaillé sur de jolies choses comme Kansas City Confidential (Le Quatrième homme -1952) de Phil Karlson ou Creature from the Black Lagoon (L’étrange créature de lac noir - 1954) de Jack Arnold. Son illustration est l’œuvre de John Sherwood, réalisateur oublié qui a surtout une carrière d'assistant et a assuré la mise en scène de la suite de Creature from the Black Lagoon. Devant la caméra, Rory Calhoun que j'ai aimé dans Four guns to the border (Quatre tueurs et une fille – 1956) de Richard Carlson, est Tex qui vient prendre des nouvelles de son frère. Comme c'est le lynché, la poudre va parler. Notre héros va se trouver ainsi au cœur du conflit local agrémenté d'indiens mis sur le sentier de la terre, et surtout des désirs masculins qui se cristallisent sur Hannah, superbe Yvonne De Carlo, qui va bien sûr en pincer pour le seul homme qui ne cherche pas à lui sauter dessus sans enlever ses bottes.

Le spectacle de ce ballet de désir et de mort est assez réjouissant, amusant aussi les contorsions scénaristiques qui ménagent la morale de l'époque. Une morale qui ne semble pas avoir perçu le sous-texte de Raw edge. J'imagine assez bien une telle histoire entre les mains d'un Russ Meyer. Neville Brand y aurait été parfait. Mais la mise en scène de Sherwood ne permet pas au film de dépasser le stade de la curiosité. Si la photographie en Technicolor de Maury Gertsman, un spécialiste du genre, est assez réussie (couleurs chaudes, jolis extérieurs), si la prestance de Calhoun, la beauté de De Carlo et de Mara Corday en Paca, quelques bonnes têtes burinées dont celle de Robert J. Wilkes (vu chez Anthony Mann, John Sturges ou Jacques Tourneur), font plaisir à voir, les indiens en revanche sont assez ridicules (malgré la jolie vengeance de Paca) et surtout, on ne croit pas une seconde que nous sommes dans les années 1840. Je ne suis pas un maniaque du bouton de guêtre juste, mais ce point pourtant nettement précisé lors d'un carton introductif, ne semble pas avoir été communiqué aux décorateur, accessoiriste et armurier. A vue de nez (les spécialistes préciseront), le colt à 6 coups est apparu une vingtaine d'années plus tard. Surtout, tout l'aspect esthétique du film, des chemises aux chapeaux, renvoie aux westerns classiques se déroulant après la guerre de Sécession, c'est à dire à partir de 1865. D'où un effet de décalage assez curieux. On a suffisamment moqué les italiens pour que je ne relève pas la prouesse de John Sherwood qui néglige une occasion en or et étouffe la belle idée de ses scénaristes dans un cadre trop ordinaire et une réalisation sans souffle.

Photographie Universal

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